Une investiture n'est pas seulement un grand moment de politique. C'est aussi (pour ne pas dire surtout) un grand moment de mode. Une véritable scène de théâtre, où chaque décision des protagonistes doit contribuer à la narration de la journée. Ce qui explique pourquoi la tenue de chacun est longuement réfléchie en amont, en collaboration avec une équipe de stylistes et de communicants. Et avec, toujours, une question en tête.
Et ils n'ont pas manqué, ce lundi, alors que tous les yeux de la planète étaient braqués sur le Capitole pour l'investiture de Donald Trump.
A commencer par une forme droite, sévère et pour le moins déroutante: celle d'un canotier bleu marine, délicatement posé sur une longue silhouette, droite et sombre, composée d'un manteau en laine de soie, d'une jupe crayon en laine de soie assortie et d'un chemisier en crêpe de soie ivoire, imaginé par le designer new-yorkais Adam Lippes.
Si le choix de la première dame Melania Trump, réputée pour son style impeccable et habituée à glisser des messages dans chacune de ses tenues, a comblé toutes les attentes, la vedette incontestée de ce 20 janvier restera son chapeau - plus encore peut-être que l'homme du jour, Donald Trump.
Un chapeau qui a accaparé sa part d'attention tout au long de la journée. Un coup de vent au départ d'un hélicoptère a failli le faire s'envoler. La bise compliquée de Donald Trump sur la joue de sa femme, faute de pouvoir s'approcher plus près. La tentative malhabile de Joe Biden de le contourner, pour tenter d'adresser la parole à son successeur, assis de l'autre côté.
Sans oublier toutes les comparaisons possibles et imaginables que ce couvre-chef étonnant a suscité auprès des internautes - de Zorro à Hamburglar, le cambrioleur de McDonald's, en passant par un rempart imaginatif contre son propre époux.
Si le port d'un chapeau lors d'une investiture présidentielle n'a rien d'inhabituel, celui-ci avait surtout de déroutant qu'il cachait entièrement le regard de la première dame. Et c'était voulu.
Tel un immense doigt d'honneur brandi à la face du monde, le message de Melania était simple. Ces quatre prochaines années, l'épouse du président des Etats-Unis ne montrera que ce qu'elle veut bien montrer. C'est-à-dire pas grand-chose. Malgré la publication récente de ses mémoires et un documentaire imminent à son sujet sur Amazon Prime, l'ancienne mannequin trace ses propres frontières.
Pour la petite histoire, ce chapeau a bien failli ne jamais voir la lumière froide de Washington. Son créateur, le modiste Eric Javits, a confié à Vanity Fair un incident survenu quelques jours seulement avant la cérémonie. Lorsque l'accessoire a été livré pour l'essayage final de Melania à New York, «le carton est arrivé mouillé et écrasé; le chapeau à l'intérieur, irrémédiablement endommagé».
Il a donc fallu au créateur se hâter pour fabriquer un second, en moins de quatre jours. Ne restait plus qu'au styliste de Melania de longue date, Hervé Pierre, de venir le chercher à Miami pour le ramener à sa future propriétaire - laquelle, heureusement, se trouvait alors à Palm Beach, à une petite heure de voiture.
Le créateur, qui précise encore que son but ultime est de «créer des formes de chapeau qui flattent et mettent en valeur tous les types de visages», semble encore ému de sa création: «Dans ce cas précis, cela n’a pas été difficile à faire, car Madame Trump a la chance d’avoir une excellente structure osseuse, une grande beauté et un merveilleux sens du style.»
Si Melania nous a encore sorti un tour très melaniesque de son chapeau, d'autres messages, plus subtils, ont été affichés par les autres participants de cette journée d'inauguration. Enfin... Si l'on peut qualifier le total look indigo de l'ancienne première dame Jill Biden de «subtil».
Un complet Ralph Lauren, mais surtout une couleur historiquement associée à la noblesse, privilégiée par les suffragettes et, plus particulièrement, une métaphore du bipartisme: le rouge (républicain) et le bleu (démocrate) réunis. Une couleur considérée comme une main tendue vers le parti adverse.
D'ailleurs, devinez qui a mélangé du rouge et du bleu sur sa cravate? Donald Trump, pardi! Etonnamment, le 47e président a laissé de côté son éternelle cravate rouge vif pour un modèle moins pétaradant. A voir si l'on pourra en dire autant des quatre ans qu'il nous réserve.
Même logique du côté du président sortant Joe Biden, qui a opté de son côté pour une cravate lavande.
Pas de violet en revanche pour Kamala Harris, qui s'était pourtant fait un plaisir de porter un manteau d'un violet aussi chatoyant que bipartisan à l'investiture de Joe Biden en 2021.
Cette fois-ci, nulle volonté de tendre quoi que ce soit à qui que ce soit. Probablement impatiente à l'idée de retrouver sa Californie natale plutôt que de subir cette douloureuse journée d'investiture, la vice-présidente sortante a opté pour un look entièrement noir. Presque tranchant. Pour ne pas dire triste, voire... macabre.
L'heure n'était pas à la fête pour l'ex-vice-présidente et perdante de l'élection présidentielle de novembre. Une veste informe et peu flatteuse était peut-être un moyen d'envoyer elle aussi, à sa façon, un grand doigt d'honneur au camp adverse.
Sa dégaine ne pouvait en tout cas pas contraster davantage avec le manteau rose pivoine d'Usha Vance, la nouvelle deuxième dame. Un nuage en cachemire Oscar de la Renta qui n'est pas sans évoquer Jackie Kennedy - ainsi qu'une certaine Melania Trump, lors de sa première inauguration, en 2017.
A l'époque, le tailleur bleu poudré Ralph Lauren de Melania semblait suggérer qu'elle avait étudié le rôle de la première dame. Maintenant qu'elle s'apprête à jouer selon ses propres règles, c'est à Usha Vance qu'il incombe de respecter les anciennes coutumes. Ce qu’elle a fait délibérément. Et avec succès.