En temps normal, les Britanniques ne s'intéressent pas à la Suisse. Leur connaissance de notre pays ne va guère au-delà des clichés habituels (chocolate, clocks and mountains). Sur le plan politique, la Suisse n'est de toute façon pas pertinente pour eux. Mais ces derniers jours, on a beaucoup parlé d'elle dans le quartier gouvernemental de Westminster à Londres, et dans les médias.
C'est un article du Sunday Times, généralement très bien informé sur les affaires internes du gouvernement, qui fait débat. Selon cet article, la Grande-Bretagne envisage des «relations à la suisse avec Bruxelles». Il s'agit de se rapprocher à nouveau de l'Union européenne après la sortie définitive du pays fin 2020, le Brexit.
L'ancienne adhésion au marché européen a été remplacée par un accord de libre-échange négocié par le Premier ministre de l'époque, Boris Johnson. Or, il apparaît de plus en plus clairement que ce traité ne remplace pas un accès sans entrave au marché. Au contraire, le Brexit s'est avéré être un lourd fardeau pour l'économie britannique.
Sa croissance souffre désormais d'une faiblesse aiguë. L'inflation dans le royaume est plus élevée que dans la zone euro. Les causes de cette situation peuvent être en partie attribuées à la politique économique suicidaire de l'éphémère première ministre Liz Truss durant ses 45 jours au pouvoir. Mais selon les économistes ou la banque centrale britannique, les répercussions négatives du Brexit n'ont pas fini de se faire sentir.
Les Britanniques commencent à se rendre compte qu'ils se sont tirés une balle dans le pied avec le référendum de 2016. Dans l'enquête au long cours de l'institut de sondage YouGov, l'écart entre les opposants et les partisans du Brexit ne cesse de se creuser. Actuellement, 56% des personnes interrogées considèrent la sortie comme une erreur. Seuls 32 % continuent de penser que c'est une bonne chose.
Des représentants du gouvernement ont laissé entendre que l'on souhaitait supprimer les plus grandes barrières commerciales avec l'UE, comme le chancelier de l'échiquier Jeremy Hunt, qui avait refusé le Brexit en 2016. Une option serait de conclure des accords bilatéraux sur le modèle suisse, afin d'obtenir au moins un accès sectoriel au marché. Des arrangements que les milieux économiques réclament depuis un certain temps.
Les commentateurs considèrent l'article du Sunday Times comme une prise de température. Comme prévu, l'idée a été mal accueillie par les partisans d'un Brexit dur. Toute reprise des règles de l'UE, que ce soit à la manière suisse ou non, serait «assez inacceptable», a déclaré David Frost, négociateur en chef à qui l'on doit le Brexit définitif.
Officiellement, le gouvernement conservateur est du même avis. Un porte-parole a qualifié de «totalement fausses» les spéculations sur une «solution suisse». Lundi, lors de la réunion annuelle de la Confederation of British Industry (CBI), le premier ministre Rishi Sunak a rappelé qu'il avait voté en faveur du Brexit en 2016. Il pourrait fournir «d'énormes avantages et opportunités».
L'actuel ministre de la santé et ancien ministre du Brexit, Steve Barclay, a reconnu sur Sky News «des difficultés dues à des frictions plus importantes» après la sortie du marché unique. Mais le Brexit crée également de «grandes opportunités». Jusqu'à présent, on n'en voit point. L'accord de libre-échange espéré avec les Etats-Unis, par exemple, est encore loin.
Malgré tout, le gouvernement ne devrait que partiellement s'inspirer du modèle suisse. A Londres aussi, on a réalisé que le bilatéralisme à la carte est un modèle dépassé. Les 27 exigent de la Suisse une reprise «dynamique» du droit européen et la Cour de justice européenne (CJE) comme instance de règlement des litiges.
Raison pour laquelle le Conseil fédéral a fait échouer l'accord-cadre alors en négociations. Mais la Suisse réalise maintenant à quel point un nouveau départ est difficile. Ce n'est pas la seule raison pour laquelle le modèle devrait avoir un effet plutôt dissuasif sur le gouvernement britannique. Car la «voie suisse» comprend également des contributions régulières au titre de la cohésion et la reprise de la libre circulation des personnes.
Cette clause est rédhibitoire pour de nombreux Britanniques. La forte immigration, notamment en provenance d'Europe de l'Est, était la principale raison pour laquelle une courte majorité avait voté en faveur de la sortie en 2016. C'est pourtant dans ce même domaine que les inconvénients apparaissent de plus en plus clairement. La suppression de la libre circulation des personnes aggrave la pénurie de main-d'œuvre en Grande-Bretagne.
Le chef de la CBI, Tony Danker, a appelé lundi à davantage de «migration économique» dans les secteurs où il y a un manque de main-d'œuvre qualifiée. Même Simon Wolfson, patron de la chaîne de magasins de mode Next et partisan du Brexit, a mis en garde sur la BBC contre une «forteresse britannique» qui se barricade contre la main-d'œuvre étrangère, pénalisant ainsi sa propre économie.
Parmi les conservateurs au pouvoir, on fait (encore) la sourde oreille. Les Tories doivent pour l'instant enterrer le rêve d'un «Singapour sur la Tamise», avec des impôts bas et une dérégulation. Ils continuent néanmoins à vouloir orienter leur pays vers les «secteurs d'avenir» à forte croissance tels que la fintech, les énergies vertes, l'intelligence artificielle ou les sciences de la vie.
Pour cela, il faut en revanche encore plus de personnel qualifié. Il en faudra aussi pour des domaines peu glamour, mais vitaux, comme le service national de santé (NHS), qui dépend de l'immigration. Enfin, la Grande-Bretagne importe une grande partie de ses produits alimentaires du Vieux Continent, et donc de l'Union européenne mal aimée.
Après le vote sur le Brexit, les opposants locaux à l'UE ont regardé leur île avec admiration. La perspective d'un accord de libre-échange tel que celui conclu par l'UE avec le Canada était enthousiasmante pour échapper à l'accord-cadre. Aujourd'hui, les Britanniques ont un tel traité et constatent que celui-ci ne suffit pas. C'est pourquoi certains considèrent désormais les accords bilatéraux suisses comme un modèle.
Ce changement de perspective semble bizarre et pourtant il est symptomatique de la relation perturbée des deux pays avec l'Union européenne. Tous deux ont du mal à admettre que l'UE est trop grande et trop importante pour être simplement ignorée.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker