La série Alexandre Ier a été diffusée pour la première fois fin mars sur le télévision d'Etat: elle raconte les victoires du souverain, qui a remporté des batailles décisives contre Napoléon. Et elle révèle bien davantage les véritables motivations impérialistes de la Russie que les déclarations de son dirigeant. Cette série s'inscrit dans une longue tradition de films et de programmes télévisés sur les tsars russes, une stratégie de propagande qui dure depuis plus de dix ans.
La série consacrée à la vie de l'impératrice Catherine II, qui régna de 1763 à sa mort en 1796, a participé de cette évolution. C'est sous son règne qu'ont eu lieu, entre autres, les partages de la Pologne, mais aussi l'occupation de vastes régions de l'actuelle Ukraine. Rétrospectivement, le fait que la première saison ait été diffusée précisément en 2014 ne relève probablement pas du hasard: elle coïncide avec l'invasion de la Crimée et l'occupation du Donbass par les soldats russes, comme l'avaient déjà fait les troupes tsaristes au 18e siècle.
Le succès de la première saison sur la chaîne d'Etat Rossija-1 a encouragé les créateurs de la concurrente Erster Kanal à lancer leur propre production en 2015, également consacrée à l'impératrice. Alors qu'elle s'est arrêtée après une seule saison, Rossija-1 a poursuivi sa lancée en 2017 et 2019. Enfin, les deux chaînes ont chacune produit leur propre suite, diffusée en 2023 et qu'il faut donc comprendre comme une réaction directe à l'invasion de l'Ukraine.
On ne peut que spéculer sur les raisons de la popularité de l'impératrice russe. Les récits de ces séries suivent toutefois tous un modèle très similaire, qui veut absolument faire des parallèles avec le présent. La Russie y est constamment menacée par des ennemis internes et externes. La méfiance à l’égard de la cour du tsar, mais aussi dans les relations internationales, apparaît donc comme une réponse plausible. En même temps, Catherine se met en scène comme une souveraine certes sévère, mais aussi bienveillante, qui ne veut en fin de compte que le meilleur pour sa propre population - quel que soit le prix à payer.
Ce qui est intéressant dans son cas, ce n'est pas seulement la durée de son règne, supérieure à la moyenne, mais aussi le fait qu'elle n'était pas une Russe de souche. Elle était issue d'une famille prussienne et s'est mariée à la cour de Saint-Pétersbourg. Le premier épisode de Rossija-1 traite précisément de cette période: Catherine devient russe en apprenant la langue, en adoptant la foi orthodoxe, et finalement en changeant de nom (elle est née Sophie Auguste Friederike). Dans le descriptif de la série, les réalisateurs expliquent que la tsarine n'était pas russe par son sang, mais par sa volonté.
Dans un pays où les productions sur petit écran rencontrent toujours un succès exceptionnel, de telles séries et de tels films revêtent une grande importance. Aujourd'hui encore, près des deux tiers de la population s'informent par ce biais, les médias sociaux n'arrivant qu'en deuxième position. Et c'est à la télé qu'une moitié tout pile accorde la plus grande confiance en termes d'actualités. Ces tendances s'observent tout particulièrement chez les personnes âgées, ainsi que dans les classes sociales pauvres et peu éduquées. Or, la propagande de Poutine vise précisément ces groupes: ils sont une part conséquente de la population.
La dernière série consacrée à Alexandre Ier met en lumière la vie d'un tsar qui semblait jusqu'alors plutôt discret. Son règne, qui a commencé avec l'assassinat de son père en 1801 et s'est achevé par sa propre mort en 1825, a notamment été marqué par les guerres contre Napoléon et le Congrès de Vienne.
Avec le recul, ces deux événements semblent essentiels: seule la Russie est parvenue à stopper l'avancée de l'empereur français, au prix d'innombrables sacrifices humains. Et lors des négociations de paix de 1815, l'Europe a été divisée par les grandes puissances victorieuses, ce qui a détruit de nombreux Etats-nations, notamment en Europe centrale et orientale.
Ces œuvres télévisées présentent les piliers de l'identité russe sous une forme simple, très accessible, notamment pour un public à faible capital éducatif. On y définit le pays à travers ses personnalités illustres, mais aussi ses victoires militaires et une histoire millénaire qui n'a jamais cessé et qui se mêle de plus en plus au présent.
Dans les nombreux épisodes consacrés à la vie de Catherine, cette intemporalité s'illustre dans une simple figure de style: bien que plusieurs décennies séparent le premier et le dernier épisode de la vie de l'impératrice, elle apparaît toujours aussi jeune (elle est d'ailleurs incarnée par la même actrice du début à la fin). Vladimir Poutine a lui-même précisé à maintes reprises qu'il la considérait comme sa parente directe. Idem pour d'autres souverains comme le tsar Pierre Ier ou Alexandre Ier justement.
En regardant ces séries, on comprend ce que le chef du Kremlin veut dire lorsqu'il évoque des négociations de paix «sans conditions préalables»: les territoires ukrainiens conquis au 18ᵉ siècle sont pour lui non négociables en tant que parties «historiques». Et après que ses prédécesseurs tsaristes ont déjà soumis et écrasé les pays voisins, le président russe pense clairement que l'histoire ne fait aujourd'hui que se répéter - c'est finalement aussi le message central de nombre de ces fictions. En tout cas, l'Europe centrale et orientale suivra avec beaucoup d'attention et d'inquiétude la fin de la saison d'Alexandre I.
Alexandre I est aussi disponible sur smotrim.ru.
Traduit et adapté par Valentine Zenker