On aurait dit le pape, avec plus de pep's et d'emmerdes. Mardi, devant le Tribunal fédéral de Wilkie D. Ferguson Jr., des embrassades comme des prières, une marée de fidèles, des flics sur les dents. Certes, les autorités de Miami n'étaient qu'en mode «verrouillage doux», mais des vagues de «We want Trump» résonnaient dans la ville depuis l'aube. On n'est jamais sûr de rien avec les vagues.
Une journée, tout entière, aux couleurs d'un accusé VIP en état d'arrestation. Du moins, le temps de l'inculpation: quarante-cinq minutes. «La journée la plus triste de l'histoire des Etats-Unis», osera encore précisé le principal intéressé, toujours aussi modeste et mesuré, quelques heures avant sa comparution.
Bien sûr, d'irréductibles ennemis brandissaient des pancartes insultantes, appelant à «l'enfermer pour de bon», à «lever les yeux» sur la «réalité». On a déjà fait pareil au moindre déplacement du Saint-Père. Une minorité très vite noyée sous un soleil caniculaire et les visières MAGA, car le ton (pour une majorité de républicains) est à «l'acharnement personnel» et au «coup monté politique» fomenté par «les charlatans démocrates».
Pour tout dire, la petite délégation «Blacks For Trump» faisait plus de bruit que les trouble-fêtes.
Une «réalité» somme toute assez simple, mais qui s'inscrit dans un contexte foutrement extraordinaire: c'est la première fois qu'un ancien président américain se mange une inculpation fédérale. A 15 heures locales et tapantes, 37 chefs d'accusation se sont officiellement abattus sur les traditionnelles épaulettes désespérément eighties du milliardaire.
On parle notamment de «rétention illégale d'informations portant sur la sécurité nationale», «entrave à la justice» et «faux témoignage». En cause, les cartons de documents classifiés, que l'actuel candidat républicain a décidé d'embarquer sous le bras à son départ (non désiré) de la Maison Blanche. Plusieurs centaines de pages qui avaient été rangées dans sa tentaculaire propriété de Mar-a-Lago, de la cave aux toilettes.
Entouré de ses deux avocats, Christopher Kise et Todd Blanche, Donald Trump a dû se résoudre à écouter sagement les (nouvelles et lourdes) charges qui pèsent contre lui. Niveau ambiance, sachez que Chris Kise est le seul de l'entourage juridique de Trump à pouvoir plaider dans l'Etat de Floride, mais s'était récemment distancé de l'ex-président. Selon une information du Washington Post, notre homme aurait d'ailleurs eu toutes les peines du monde à se dégotter de tous frais défenseurs spécialisés.
Une disette qui s'explique par le délai très court, mais aussi par sa réputation de client ingérable et la gravité de l'accusation. Il se susurre même que les éventuelles violences qui pourraient émaner des fanatiques les plus féroces ces prochains jours ont effrayé jusqu'à ses plus proches larbins.
Dans une salle d'audience pleine à craquer, quelques rares reporters politiques ont pu se frayer un chemin, tous armés de leur smartphone, prêts à tweeter. En revanche, et c'est plutôt inédit: les appareils photo et les caméras ont été priés de rester à quai. Il n'y avait pas que les fans en transe qui s'étaient agglutinés devant le tribunal, depuis le début de la semaine. Une centaine de journalistes du monde entier, armés de chaises longues et de patience, ont dû se résoudre, eux aussi, à planter le campement. Beaucoup resteront sur le trottoir à se coltiner la foule bariolée.
President Trump arrives at courthouse 🙏 pic.twitter.com/AYPPoIBO9Q
— Freedom 🇺🇸🦅 (@PU28453638) June 13, 2023
Malgré les cordons de sécurité, les hordes de fidèles et l'aura historique rappelons que cette journée ne fut le théâtre que d'une simple «comparution initiale». Le procureur spécial Jack Smith, bête noire à l'origine des déboires judiciaires de Trump, n'a pas mené la danse, se contentant de jouer l'observateur mystérieux, en fond de salle. Pour l'instant.
Certains chanceux présents à l'audience ont beau avoir jugé l'ex-président «frustré tout au long du processus», «fixant désespérément le sol», il n'allait pas le rester bien longtemps. L'absence de caméras a évidemment profité à Trump, lui laissant la main sur la mise en scène de sa comparution. En se débarrassant du costume de justiciable, il s'est offert l'allure d'un chef d'Etat en déplacement officiel, paradant sur des routes nettoyée de ses voitures.
Donald Trump avait bien sûr la possibilité d'inscrire son plaidoyer. Ce que ses avocats ne se sont pas gênés de faire. Et comme son équipe juridique l'avait encore martelé sur Fox News dimanche, le Dieu MAGA a plaidé non coupable. Quatre-cinq petites minutes plus tard, le voilà libre comme l'air, sans menottes et sans avoir dû passer par la case mugshot. Walt Nauta, son assistant personnel (et ancien distributeur humain de Diet Coke au temps du Bureau ovale) était également sur le banc des accusés.
Avant de quitter la Floride, Donald Trump s'est autorisé une pause pipi, câlins et prières, dans un restaurant cubain baptisé Versailles. L'occasion pour ses groupies (et un rabbin qui traînait dans le coin) de lui souhaiter un joyeux 77e anniversaire, avec quelques heures d'avance. Un calendrier qui ne s'invente pas et qui a certainement troublé les esprits les plus cartésiens: les fêtes d'anniversaire ne se déroulent pas toujours aussi bien que l'arrestation expresse du 45e président des Etats-Unis. On aurait dit que Trump avait remporté le Super Bowl ou l'élection présidentielle, alors qu'il a évité les menottes aux poignets.
Trump Supporters sing “Happy Birthday” to him at the Versailles Bakery.
— Benny Johnson (@bennyjohnson) June 13, 2023
pic.twitter.com/4Y27MngVWs
Ensuite? Direction son club de golf de Bedminster, dans le New Jersey, où une orgie d'argent, de nourriture l'attendait. Le temps d'armer une conférence de presse logiquement vindicative, plongée dans une ambiance d'éternelle «chasse aux sorcières» et Trump pouvait reprendre le cours de sa tumultueuse existence.
Bien sûr, dans la foulée de l'audience, les fidèles ne se sont pas fait prier pour gueuler leur amour au prévenu, mais la foule est restée globalement sage. Seul un anti-Trump, affublé d'un vague costume de prisonnier, a manqué de se jeter sous les roues de la trumpmobile. Les prochains jours seront d'ailleurs décisifs en ce qui concerne les menaces de représailles musclées, notamment brandies par l'alt-right américaine.
WATCH: Protesters, one wearing a prisoner costume, jump in front of Trump's motorcade as he leaves court pic.twitter.com/3TFcZGWE5j
— BNO News (@BNONews) June 13, 2023
Mardi, devant le tribunal, régnait d’abord une atmosphère christique. Trump, en comparution à Miami, n'avait rien à envier à l'arrivée d'une Mylène Farmer à Genève ou d'un nouvel iPhone chez Apple. Les acclamations, les déclarations d'amour, les bousculades hystériques que connaissent les people sur Hollywood Boulevard, mais surtout l'attitude conquérante de Trump ont perturbé avec une dangereuse efficacité le coeur du propos: un ancien président des Etats-Unis a été mis en état d'arrestation pendant une heure et inculpé par la justice.
Ce talent qu'à le candidat de se nourrir goulûment de ses déboires judiciaires est aussi, quelque part, un rappel: rien n'indique, pour l'heure, une future dégringolade dans les sondages de celui qui pourrait finir sa vie en prison. Trump est adoré par ceux qui n'aiment plus tellement la démocratie. Du moins l'idée qu'ils en ont, à force de boire à la tétine de Fox News. Et le milliardaire messianique n'attendra pas bêtement de savoir de quel bois la justice compte se chauffer.
La campagne présidentielle bat son plein et ce premier véritable épisode judiciaire, dans l'affaire des archives classifiées, va abondamment huiler sa tournée électorale. D'autant qu'on n'est même pas certain que le procès puisse avoir lieu avant le 5 novembre 2024, jour d'élection.
Ses avocats, enfin, vont sans doute jouer la montre et tenter de prouver que l'ex-président était dans son bon droit en emportant ces centaines de documents top secret à la maison. Mais ce ne sera pas non plus une mince affaire: théoriquement, Donald Trump pourrait passer jusqu'à 420 ans à l'ombre.
Et puis, pourquoi tenait-il tant à conserver ces boîtes? Souvenir de la belle époque? Potentielle monnaie d'échange? Simple caprice d'un vieux possessif? En les rendant à temps, le candidat aurait échappé à la plupart des 37 chefs d'accusation. En d'autres termes, la justice n'a toujours pas de véritable mobile.
Une situation tellement extraordinaire que, pour l'heure, et dans le cas d'une peine ferme avant 2024, Donald Trump aurait la possibilité de diriger le monde libre en étant... derrière les barreaux. Certains juristes américains, angoissés et aventureux, imaginent déjà qu'il pourrait être «immédiatement démis de ses fonctions», en vertu du 25e amendement, car «incapable de s'acquitter des pouvoirs et des devoirs de sa charge».
«De la nourriture pour tout le monde!», qu'il a fini par crier, mardi, avant de quitter le resto cubain acquis à sa cause, repu d'amour vache. Jamais un plat de picadillo n'aura eu autant le goût de l'hostie.