Chez les (nombreux) conservateurs lancés dans la course à l'investiture, on ne change pas de disque. Deux missions, sinon rien: condamner l'assaut du Capitole et faire tomber l'affreux Trump. Non seulement cette tactique confirme, voire renforce, le pouvoir du 45e président des Etats-Unis, mais la primaire républicaine ressemble bientôt au tunnel du Gothard à l'orée d'un week-end de trois jours.
Cette semaine, deux nouvelles candidatures viennent densifier le trafic. Commençons par le plus téméraire et, sans doute, le plus ingrat. Mike Pence, ex-colocataire loyal de Donald Trump, se retrouve aujourd'hui dans la peau du tout premier vice-président de l'Histoire des Etats-Unis à défier son patron. Fâché avec papa depuis ce fameux 6 janvier 2021, ses chances de succès sont pourtant pendues au vote des apôtres MAGA. Les mêmes qui scandaient «Pendez Pence!» devant le Congrès, il y a deux ans et demi. Bonjour l'ambiance.
Le chrétien évangélique aura donc toutes les peines du monde à faire oublier sa «trahison» et à éviter une nouvelle humiliation. S'il a copieusement ignoré l'existence de Donald Trump dans sa vidéo de campagne, publiée mercredi matin, le milliardaire reste sa principale cible, notamment dans cet hommage appuyé à l'investiture d'Abraham Lincoln.
I believe in the American people, and I have faith God is not done with America yet. Together, we can bring this Country back, and the best days for the Greatest Nation on Earth are yet to come! 🇺🇸 #Pence2024 pic.twitter.com/A8EkqgCDAm
— Mike Pence (@Mike_Pence) June 7, 2023
L'autre preu chevalier à vouloir savonner la conscience nationale se nomme Chris Christie. Républicain historiquement modéré, l'ancien gouverneur du New Jersey s'était déjà mesuré à Trump lors de la primaire de 2015 avant de... le soutenir goulûment jusqu'à son emménagement à la Maison-Blanche. Une dévotion qui l'empêche désormais de dormir. Et lui, contrairement à Pence, sort déjà le flingue pour le pointer au beau milieu du front de son ex-grand amour.
Pourquoi tant de haine? En mai 2016 (alors qu'il n'est pas encore élu!), Trump fait de Chris Christie son Rambo de la transition présidentielle. On le dit même sur la short list pour la vice-présidence. Belle récompense pour celui qui a tout entrepris pour reluire la réputation de son patron aux quatre coins du pays. Mais la fierté sera de courte durée: le lendemain de sa victoire, Trump le jette comme une vieille chaussette.
Pas démotivé pour un sou, Christie reste malgré tout persuadé qu'il sera remercié. D'une manière ou d'une autre. Mieux, il s'attend à s'asseoir (enfin) derrière le bureau prestigieux du ministre de la Justice. Une courte échelle qui semblait naturelle, tant cet avocat ambitieux et doué avait fait bonne impression lorsqu'il oeuvrait en qualité de procureur du New Jersey. Rien de tout ça ne lui sera offert et Mike Pence (tiens, tiens) le dépassera par la droite.
D'ailleurs, pour l'anecdote, c'est Chris Christie qui avait fait condamner, en 2005 au New Jersey, le père de Jared Kushner (oui, le beau-fils de Trump) à deux ans de prison. Pour tout un tas d'accusations. Ironie du sort, en décembre 2020, le même Trump lui offrira la fameuse grâce fédérale. Une énième humiliation pour celui qui, un mois plus tôt, était toujours aux petits soins de l'adversaire de Joe Biden.
Un terrible mauvais timing, aussi: en 2012, Chris Christie avait le vent en poupe et pas encore les pieds dans les embrouilles, comme le scandale du Bridgegate (pour ne citer que lui). Alors pressenti pour la primaire républicaine, il se contentera de rester (un bon) gouverneur.
Le calcul semble encore moins bon aujourd'hui. Relégué au rôle d'éditorialiste politique sur la chaîne ABC News, Chris Christie, 60 ans, se contente depuis quelques années de critiquer vertement son meilleur allié d'alors. Comme Mike Pence (et tous les autres lévriers de la primaire républicaine), il s'est époumoné à condamner les émeutes du Capitole et de faire de Trump leur principal détonateur. Léger comme programme politique.
Plus lourdes, en revanche, sont les armes empoignées dans ce duel inégal. Et l'adjectif n'est pas là par hasard: Donald Trump, pourtant pas l'homme le plus mince des Etats-Unis, attaque systématiquement Christie sur son poids. En 2017 déjà, il forçait son proche conseiller à manger du pain de viande, pendant que le reste de l'équipe pouvait littéralement se ruer sur le buffet.
En 2023, rien n'a changé et le buffet est toujours là, un mème plutôt de mauvais goût, crée mercredi par un internaute, a été repartagé par Donald Trump sur Truth Social.
Chris Christie launches his 2024 Presidential Bid.
— NautPoso 🇮🇪☘️ (@NautPoso) June 6, 2023
(meme collab with @drefanzor) pic.twitter.com/49uqUR6JEZ
Fox News s'en est également pris à la carrure de l'avocat-candidat, cette semaine, en précisant que Christie «pourrait boire beaucoup de milkshake s'il le voulait». Enfin, lundi, c'est l'entourage de Donald Trump qui n'y est pas allé avec le dos de la cuiller, assassinant deux adversaires d'un coup: «Ron DeSantis n'est pas prêt et Chris Christie ne perdra pas une minute pour piquer son déjeuner».
S'il y a décidément à boire et manger sur l'autoroute engorgée de la primaire républicaine, les électeurs n'avalent, pour l'heure, que de la junk food politique. Bon signe pour Trump, mauvais pour les conservateurs modérés qui cherchent, désespérément, à changer de menu.