Houellebecq et l’islam, suite et pas fin. La Grande Mosquée de Paris, qui, le 28 décembre, avait dit son intention de déposer plainte contre l'écrivain, a annoncé jeudi dans l'après-midi suspendre ses poursuites. Avant d’empoigner l’affaire, jetons un œil dans le rétroviseur. Le 7 janvier 2015, deux heures avant l’attentat des frères Kouachi contre la rédaction de Charlie Hebdo (douze morts), Michel Houellebecq parlait sur France Inter de son roman «Soumission», qui paraissait ce jour-là et dont l’intrigue consistait en l’élection d’un président musulman dans une France résignée.
La veille, dans l’émission «C à vous» de France 5, le patron du site Mediapart, Edwy Plenel, qui avait publié trois mois plus tôt son plaidoyer «Pour les musulmans» et qui entretenait à l’époque une proximité avec Tariq Ramadan, avait fustigé les Zemmour et Houellebecq pour leur adhésion au «mythe du grand remplacement», dont «Soumission» était selon lui l’illustration insupportable.
Huit ans plus tard, l’actualité de Michel Houellebecq coïncide cette fois-ci avec la commémoration de la tuerie djihadiste qui décima l'hebdomadaire satirique. Fin décembre, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, annonçait le dépôt d’une plainte contre l’auteur à succès suite à des propos tenus dans une discussion avec le philosophe Michel Onfray, parus dans la revue Front populaire.
Voici les déclarations litigieuses, une «provocation à la haine contre les musulmans», soutient la Mosquée de Paris:
Pour la Grande Mosquée de Paris, «ces phrases lapidaires de Michel Houellebecq sont inacceptables et d’une brutalité sidérante. Elles ne visent pas à éclairer un quelconque débat public mais à attiser les discours discriminatoires, et donc les actes».
En l’espèce, Houellebecq ne peut pas s’abriter derrière sa qualité de romancier pour plaider la liberté de création. Il ne revendique d’ailleurs pas cette posture. La question, aux yeux du droit, est de savoir si le prix Goncourt en 2010 pour «La carte et le territoire» se situe dans la description ou la prescription, s’il rend compte d’une atmosphère anxiogène ou s’il y souscrit. Ou si encore, vu sa notoriété, il aurait dû s’entourer de précautions oratoires.
Dans Le Figaro, répondant au chroniqueur de CNews Mathieu Bock-Côté qui craint alors que la plainte ne fasse de Michel Houellebecq «le prochain Salman Rushdie», le recteur de la Mosquée de Paris, jugeant cette analogie «ignoble», s'est défendu de vouloir censurer un auteur:
Dans une tribune au Point parue mercredi, le mis en cause a répliqué. Il n’atténue guère ses propos publiés dans Front populaire. Commençant par rappeler que la Grande Mosquée de Paris, l'une des principales institutions musulmanes en France, réputée proche du gouvernement algérien, l’avait déjà poursuivi il y a une vingtaine d’années après qu’il avait qualifié l’islam de «religion la plus con», il adopte ce ton d’ironie sèche qu’on retrouve dans ses romans:
Il reconnaît ensuite avoir commis un «amalgame»:
En prenant les choses par l’absurde, on pourrait voir dans la plainte initiée puis gelée par la Grande Mosquée de Paris une forme d’hommage au don prophétique de Michel Houellebecq: dans son roman «Plateforme» sorti en 2001 à quelques jours des attaques djihadistes du 11 septembre aux Etats-Unis, il décrit un attentat islamiste dans un complexe touristique en Thaïlande, un an avant un attentat de même signature à Bali, réel celui-là.
Prophète de malheur, Michel Houellebecq? C’est un peu cela. Si, dans un autre article du Point, le philosophe et académicien Alain Finkielkraut apporte son soutien à l’écrivain («il envisage le pire, mais il ne le désire pas»), on se distancie de lui dans l’entourage de Charlie Hebdo – l’hebdomadaire satirique avait fait l’objet d’une plainte de la Grande Mosquée de Paris, puis d’un procès en 2007, après avoir publié un an plus tôt des caricatures de Mahomet, motif à l’attentat du 7 janvier 2015.
Dans l’affaire «Grande Mosquée de Paris contre Michel Houellebecq» – le recteur et l'écrivain sont tous deux sous protection policière –, il n'y a guère de gagnant. La controverse s'inscrit «dans une France de plus en plus atomisée par ses haines intestines», constate Le Parisien.
Surtout, relève Jean-Yves Camus, codirecteur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, joint par watson, «ce que dit Michel Houellebecq avec ses mots, d’autres l’ont dit avant lui». Le politologue français renvoie aux paroles prononcées en 2016 devant une commission parlementaire par le patron à l’époque de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), Patrick Calvar:
«Cette confrontation (réd: voulue notamment par l'ultradroite), je pense qu'elle va avoir lieu, poursuivait Patrick Calvar, toujours cité par Le Figaro. Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d'anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires.»
Dans un tweet en deux parties publié jeudi à 16h52, la Grande Mosquée de Paris annonce donc suspendre son dépôt de plainte contre l'écrivain. L'explication donnée est la suivante:
Le recteur @ChemsHafiz a rencontré ce matin Michel Houellebecq, qui reconnaît "que les paragraphes concernés sont ambigus. Je les remplacerai donc, dans l'édition à venir, par des paragraphes explicitant mieux mon propos, et qui, je l'espère, ne heurteront pas les musulmans." 1/2
— Grande Mosquée de Paris (@mosqueedeparis) January 5, 2023
Michel Houellebecq dit s'engager à modifier les passages litigieux de son entretien avec Michel Onfray. Pourquoi cette volte-face? Les services du gouvernement sont-ils intervenus? Selon Le Figaro, le grand rabbin de France, Haïm Korsia, a pris l'initiative d'une rencontre, jeudi matin, entre les deux hommes. Peut-être fallait-il à tout prix éviter le spectacle d'une déchirure entre le romancier et le recteur de la Grande Mosquée de Paris, l'un incarnant une liberté d'expression contre laquelle l'islam ne devait surtout pas l'emporter judiciairement, l'autre portant sur ses épaules l'espoir d'un islam de France débarrassé du poids de l'islamisme. La raison d'Etat se serait donc imposée.
L'action en justice contre le chroniqueur de CNews Jean-Claude Dassier, elle, suit son cours. L'ancien directeur de l'information de TF1 et ex-dirigeant de l'Olympique de Marseille fait face à trois plaintes pour «injure publique» et «provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence». En cause, ses propos tenus le 27 décembre sur CNews dans l'émission «La Belle Equipe», qui portait ce jour-là sur «La violence des jeunes. Comment dire stop?». C'est à cette occasion, rappelle Le Point, que Jean-Claude Dassier avait déclaré: «Les musulmans, ils s'en foutent de la République, ils ne savent même pas ce que le mot veut dire.»