En théorie, la paix aurait dû s’installer entre les deux nations caucasiennes, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Après plusieurs guerres et conflits, un accord signé en 2020 devait ouvrir la voie à une normalisation entre ces deux voisins. Mais cette paix reste fragile. Des échanges de tirs éclatent régulièrement à la frontière.
Cette instabilité est principalement imputable à l’Azerbaïdjan. Selon le politologue arménien Narek Sukiasyan, ce pays ambitionne de conquérir d’autres territoires en Arménie. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, qui dirige le pays d’une main de fer, a organisé le 5 décembre une conférence à Bakou pour renforcer ses revendications territoriales sur ce qu’il appelle «l’Arménie occidentale».
En 2020, l’Azerbaïdjan a attaqué son voisin occidental, l’Arménie, et a conquis environ un tiers de son petit territoire en l’espace de six semaines. Cependant, il n’a pas réussi à prendre le contrôle du Haut-Karabakh, une région peuplée depuis des siècles par des Arméniens mais annexée à l’Azerbaïdjan sous l’Union soviétique.
Depuis longtemps, la Turquie, sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan, est un allié important de l’Azerbaïdjan dans ses ambitions territoriales, notamment sur l’Arménie et le Haut-Karabakh. Erdogan et Aliev partagent une vision panturque: l’unité des pays de langue turque, incluant la Turquie, l’Azerbaïdjan, ainsi que des nations d’Asie centrale comme l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Turkménistan.
En 2009, ces pays se sont regroupés sous l’Organisation des Etats turciques, dirigée par la Turquie. Lors d’un événement en décembre 2022, Erdoğan a affirmé:
Pour cette vision panturque, l’Arménie constitue un obstacle. Ainsi, la guerre de 2020 s’inscrivait parfaitement dans les objectifs stratégiques de la Turquie et de l’Azerbaïdjan.
Mais Aliev n’était pas satisfait des territoires conquis en 2020. Il voulait aussi contrôler le Haut-Karabakh et a soigneusement préparé cette offensive. En janvier 2023, des partisans du régime azerbaïdjanais ont bloqué le corridor de Latchin, coupant l’approvisionnement alimentaire vers le Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan a ainsi affamé la région.
Lorsque les forces azerbaïdjanaises ont lancé une offensive en octobre 2023, la population arménienne affamée du Haut-Karabakh était incapable de se défendre. En quelques jours, l’armée azerbaïdjanaise a pris le contrôle de cette petite région. Environ 130 000 habitants ont fui, et aujourd’hui, il n’y a plus d’Arméniens au Haut-Karabakh.
Des ONG, comme le Council on Foreign Relations aux États-Unis, qualifient les actions de l’Azerbaïdjan de nettoyage ethnique. Depuis la prise de contrôle, l’Azerbaïdjan s’emploie à détruire les traces de la culture arménienne, vieille de plusieurs siècles, dans la région qu’il revendique. L’Arménie, déjà en difficulté sur le plan économique, a du mal à accueillir et à prendre en charge les réfugiés venus du Haut-Karabakh.
D'après le politologue Narek Sukiasyan, le président azerbaïdjanais a un objectif clair: «revenir à Erevan». Et cela ne s’arrête pas là. Le processus de paix entre l’Arménie et la Turquie est au point mort depuis l’été. Depuis juillet, il n’y a pas eu de nouvelles réunions entre les représentants spéciaux des deux pays. «Cela est également imputable à Aliev», explique-t-il. «Il sabote le processus de paix et pose les bases d’une nouvelle attaque contre l’Arménie.»
Le président Erdogan, de son côté, est actuellement préoccupé par d’autres zones de conflit, notamment en Syrie du Nord. Cependant, ce qui s’y passe inquiète aussi les Arméniens.
Lors de la conférence sur le climat à Bakou, un projet de document de négociation a été dévoilé par la télévision publique azerbaïdjanaise, détaillant les exigences du président pour les discussions futures.
Ilham Aliev exige que l’Arménie modifie sa constitution pour reconnaître comme territoires azerbaïdjanais ceux conquis en 2020. Il demande également que l’Arménie expulse la mission d’observation de l’Union européenne et renonce à toutes ses plaintes et revendications devant les tribunaux internationaux.
Pour Narek Sukiasyan, ces exigences montrent qu’Ilham Aliev n’a aucune intention de parvenir à un accord de paix:
Dans le passé, le sort de cette petite nation caucasienne a souvent été négligé sur la scène internationale. Lorsque, en 2022, 130 000 personnes ont été expulsées du Haut-Karabakh, cet événement n’a fait l’objet que de brèves mentions dans les médias internationaux.
Malgré cela, Narek Sukiasyan espère que l’Europe et le reste du monde prêteront cette fois plus d’attention à la situation en Arménie.
(Traduit de l'allemand par Tim Boekholt)