La décision est historique, dans un pays encore hanté par le souvenir de la dictature militaire (1964-1985), ravivé récemment par le film-phénomène Je suis toujours là de Walter Salles, Oscar du meilleur film international.
Ce mercredi, la Cour suprême du Brésil a décidé à l'unanimité d'ouvrir un procès contre Jair Bolsonaro pour tentative de coup d'Etat. Cela l'expose à une lourde peine de prison et plombe ses ambitions de retour au pouvoir.
L'ex-président (2019-2022), absent à l'audience de mercredi contrairement à la veille, se dit victime de la «plus grande persécution politico-judiciaire de l'histoire du Brésil».
Nostalgique assumé de ces années de plomb, l'ex-capitaine de l'armée, 70 ans, est accusé par le parquet d'être le «leader d'une organisation criminelle» ayant ourdi de longue date une conspiration pour se maintenir au pouvoir «à tout prix» à l'issue de l'élection d'octobre 2022, qu'il a finalement perdue face au président actuel de gauche Luiz Inacio Lula da Silva.
Selon les enquêteurs de la police fédérale, après la défaite, les présumés conspirateurs auraient oeuvré à l'élaboration d'un décret prévoyant la convocation d'un nouveau scrutin, mais aussi projeté l'assassinat de Lula, de son vice-président élu Geraldo Alckmin et d'Alexandre de Moraes, un juge de la Cour suprême.
Les chefs d'accusation sont gravissimes: «coup d'Etat», «tentative d'abolition violente de l'Etat de droit démocratique» et «organisation criminelle armée». Jair Bolsonaro encourt une peine cumulée pouvant dépasser les 40 ans de prison, mais les experts estiment qu'il devrait répondre à son procès en liberté.
Même si la législation brésilienne ne prévoit aucun délai précis pour la tenue de ce procès, «on peut s'attendre à ce que Bolsonaro soit jugé d'ici la fin de l'année», pour éviter toute inferférence avec l'élection présidentielle de 2026, explique Enzo Fachini, avocat spécialiste en droit pénal de la Fondation Getulio Vargas.
Inéligible jusqu'en 2030 en raison de ses attaques sans preuve contre les urnes électroniques, Jair Bolsonaro espère encore voir cette sanction annulée ou réduite pour lui permettre d'être de nouveau candidat en 2026.
Mais une condamnation pour complot contre la démocratie brésilienne briserait cet espoir. Et forcerait son camp à lui choisir un successeur, alors que le jeu semble ouvert face à un Lula plus impopulaire que jamais, sur fond d'inflation.
Dos au mur, Jair Bolsonaro veut croire que Donald Trump, «ami» et modèle politique, jouera de son «influence» en sa faveur.
Alexandre de Moraes, puissant juge honni du camp Bolsonaro, qui voit en lui un «dictateur», a été le premier à voter mercredi pour l'ouverture d'un procès contre l'ex-président.
Invoquant son «intérêt personnel» en tant que potentielle victime d'un projet d'assassinat, la défense avait tenté d'obtenir la récusation du juge Moraes. En vain. Pas plus qu'elle n'a pu écarter deux autres membres du Supremo: un ex-ministre de Lula, Flavio Dino, et l'ancien avocat de l'actuel chef de l'Etat, Cristiano Zanin.
Les magistrats ont également décidé d'ouvrir un procès contre sept autres conspirateurs présumés, dont plusieurs anciens ministres, Walter Braga Netto, son candidat à la vice-présidence en 2022, et Anderson Torres, ainsi que l'ancien commandant de la Marine, Almir Garnier Santos.
Selon l'accusation, le coup d'Etat n'a pas eu lieu faute de soutien de la part d'autres membres du haut commandement de l'armée brésilienne.
Cherchant à démontrer que la démocratie au Brésil a réellement frôlé le désastre, l'accusation s'appuie aussi sur les événements du 8 janvier 2023 à Brasilia. Pour rappel, une semaine après l'investiture de Lula, des milliers de sympathisants bolsonaristes avaient envahi et saccagé les bâtiments de la Cour suprême, du Parlement et du palais présidentiel, criant à la fraude électorale et appelant à une intervention militaire.
Jair Bolsonaro, qui se trouvait alors aux Etats-Unis, dit avoir répudié les «actes violents» commis ce jour-là. (ag/ats)