Les concepteurs de Lockheed Martin n'auraient certainement jamais imaginé que leur U-2 «Dragon Lady» décollerait un jour pour des vols d'espionnage au-dessus des Etats-Unis. Cet avion a été conçu dans les années 50 pour survoler l'Union soviétique à très haute altitude afin d'étudier son programme nucléaire. Cette légende de la guerre froide n'a jamais été retirée du service et semble avoir à nouveau fait ses preuves - dans la lutte contre le ballon espion chinois qui vient de survoler les Etats-Unis à 20 000 mètres d'altitude.
Avant qu'un avion de combat F-22 n'abatte le ballon samedi à l'aide d'un missile au large de la côte de la Caroline du Sud au-dessus de l'Atlantique, l'US Air Force a envoyé deux de ses U-2 «Dragon Ladies» à la recherche de l'objet étranger, comme le rapporte désormais le magazine spécialisé «The War Zone» en se référant à ses propres sources. «Nous ne savons pas exactement quelle était la mission des U-2, mais leur utilisation semble logique», écrit le magazine.
L'U-2 peut voler jusqu'à 21'300 mètres d'altitude sans problème et ce n'était probablement pas son seul atout contre le ballon. Rempli de caméras, de capteurs, de radars et de brouilleurs, il ressemble à un satellite espion habité: «L'U-2 est parfaitement équipé pour la guerre électronique», écrit «The War Zone».
Il est également possible que les deux «Dragon Ladies» aient pu prendre des photos détaillées du ballon avant que celui-ci ne soit abattu.
Clearest photo of the Chinese Spy Balloon so far. This extremely close shot was taken by @Stormchaser_TS over Washington, MO. Tried to enhance the quality as best as I could! #ChineseSpyBalloon pic.twitter.com/P8P9n901L8
— Nahel Belgherze (@WxNB_) February 3, 2023
L'objet est d'abord apparu au-dessus de l'Alaska, puis a survolé le Canada avant d'entrer à nouveau dans l'espace aérien américain au-dessus de l'Idaho.
Pendant plusieurs jours, le ballon a dérivé en direction du sud-ouest au-dessus des Etats-Unis, provoquant d'importantes tensions diplomatiques entre Washington et Pékin. La Chine a affirmé qu'il s'agissait d'un ballon météorologique et a critiqué le lancement. Entre-temps, d'autres ballons sont apparus au-dessus de l'Amérique latine. Les U-2 n'en sont pas à leur première mission diplomatiquement délicate.
Au grand dam du Kremlin, les appareils américains nouvellement développés ont pu sillonner le ciel de l'Union soviétique pendant près de quatre ans sans être inquiétés. Ce n'est qu'en mai 1960 que la défense aérienne soviétique a réussi à abattre pour la première fois un U-2 avec un missile nouvellement développé.
Ironiquement, le gouvernement américain a d'abord tenté de dissimuler ce vol d'espionnage raté en le faisant passer pour une observation météorologique. Le lendemain, la télévision soviétique a toutefois présenté les débris de l'U-2 et son pilote, Francis Gary Powers, que l'on croyait mort. Le chef du Kremlin, Nikita Khrouchtchev, a exigé en vain qu'Eisenhower reconnaisse sa culpabilité et a annulé sans hésiter une rencontre prévue.
Après cet incident embarrassant, les Etats-Unis ont misé de plus en plus sur les satellites d'espionnage et le SR-71 «Blackbird», plus rapide, également développé par Lockheed Martin. Mais l'incident n'a pas signifié la fin de la «Dragon Lady». En octobre 1962, l'avion a ainsi contribué à documenter le déploiement de missiles nucléaires soviétiques à Cuba.
Les États-Unis auraient également espionné, en 1960, le programme d'armement nucléaire chinois à l'aide de leurs U-2. Même après la guerre froide, le pays a toujours trouvé une utilité aux avions de combat.
En mars 2011, par exemple, un U-2 a survolé le Japon pour mesurer les dégâts causés par le tremblement de terre et le tsunami qui a suivi. En Irak, l'U-2 a encore contribué en 2017 à l'espionnage des positions de la milice terroriste «Etat islamique». Le Pentagone n'a pas encore envisagé de mettre l'U-2 hors service et de le remplacer par des drones de reconnaissance.
(t-online, mk)