Alors que la date anniversaire du conflit en Ukraine approche, les liens entre la Chine et les Etats-Unis semblent de plus en plus fragilisés. A l'occasion de la conférence sur la sécurité qui s'est tenue à Munich, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a rencontré, samedi soir, le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les déclarations des uns et des autres n'étaient guère enrobées de l'onguent de la diplomatie.
Les relations sino-américaine seraient «glaciales», ose même le média T-Online. Guerre en Ukraine, ballons-espions, Taïwan et micro-puces: aucun dossier ne semblait pouvoir adoucir les angles, malgré une volonté affichée de part et d'autre pour stabiliser les liens.
Dans ce jeu des semi-vérités où la table de poker est posée au centre d'une arène multilatérale, réussir à cadrer l'adversaire comme une force menaçante est une carte que chacun a avantage à abattre. En 2007 déjà, Vladimir Poutine annonçait à Munich sa volonté de mettre fin à un monde unipolaire.
Devant une Angela Merkel et un parterre de diplomates sidérés, il avait encore lancé: «Il me semble évident que l’élargissement de l’Otan n’a rien à voir avec la modernisation de l’alliance ni avec la sécurité en Europe. Au contraire, c’est une provocation qui sape la confiance mutuelle et nous pouvons légitimement nous demander contre qui cet élargissement est dirigé».
A la lueur de cette réminiscence, pas de surprise donc, quant au ton sec et franc employé par les différentes parties.
Côté chinois, la charge la plus vive concernait la récente affaire des ballons-espions, alors que Washington a fait abattre, le 4 février, un aéronef détecté au-dessus d'une base militaire du pays. Une réponse qui n'avait pas été au goût de Pékin, qui estimait qu'il s'agissait d'un «abus à 100% de l’utilisation de la force», et d'une réaction aussi «absurde» que «hystérique».
La violente diatribe, si elle a eu l'air de prendre de court Blinken, ne lui a pas coupé la chique pour autant. L'incident est le fruit d'un «acte irresponsable» qui ne doit «plus jamais se produire», a-t-il rétorqué. Et dimanche, le chef de la diplomatie américaine informait les médias que la Chine envisageait de fournir des armes à la Russie.
Assertion à laquelle Pékin s'est vivement opposée lundi.
La Chine n'a, en outre, pas lésiné sur l'appréciation de la situation, accusant Washington de «propager de fausses informations», rappelant que, pour l'heure:
C'est que Washington soigne les platebandes de son hégémonie mondiale, timidement revitalisées par un an d'engagement à la tête de l'alliance occidentale en soutien à l'Ukraine. Prise au dépourvu par la charge chinoise sur les ballons-espions, Washington se devait de sortir l'artillerie lourde en matière de communication.
L'enjeu: tenir Pékin à distance de Moscou, alors que les rumeurs d'un axe tant redouté par l'ouest fait mine de se confirmer à l'ombre du Kremlin. Et celui-ci semble toujours plus effectif, alors que la Chine a augmenté ses importations de gaz et de pétrole russe de plus de 50% depuis le début de l'invasion russe de l'Ukraine, et que Wang Yi était en partance ce lundi pour Moscou «afin de rencontrer de hauts responsables russes pour renforcer la coopération entre les deux pays».
Comme l'analyse T-Online, «la Chine s'est rangée derrière Poutine dès le début, mais n'a cependant vraiment pas apprécié l'attaque violente de la Russie contre la souveraineté ukrainienne». Malgré tout, les dirigeants chinois ne veulent pas prendre le risque que Poutine finisse par perdre la guerre et peut-être même son pouvoir, alors qu'elle-même est affaiblie par des mois de politique «zéro-Covid».
En cherchant à maintenir un jeu d'équilibriste au long cours, Pékin pourrait bien se prendre un coup de perche dans les jambes par une administration Biden qui peine à dissimuler son impatience.
Tentant de ménager les deux fronts, Pékin a sorti à Munich tour à tour les dents et le dos rond, défendant l'indépendance de ses décisions sur la scène internationale, et disputant à Washington sa place de superpuissance pacificatrice.
En effet, Wang Yi a présenté son pays comme un champion de la «paix». Le mot a même été répété une trentaine de fois pendant la conférence. Le chef de la diplomatie chinoise a en outre déclaré que Moscou et Kiev devaient «s'asseoir autour de la table et trouver» une issue «politique» au conflit. Pékin a même promis de publier une nouvelle proposition de paix pour l'Ukraine, laquelle doit être présentée le 24 février, un an exactement après le début de l'invasion russe.
Le plan de paix de Xi Jinping, salué par la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock, a de quoi surprendre. Notamment «parce que les dirigeants chinois ont plutôt fait semblant de ne pas se sentir concernés par la guerre en Ukraine au cours des douze derniers mois». En conséquence, la méfiance reste de mise pour nombre d'observateurs internationaux, qui y voient une stratégie de Pékin pour gagner un statut de leader sur la scène mondiale, en profitant d'un manque de cohésion à l'ouest:
Comme l'explique Kori Schake, directrice des études de politique étrangère et de défense à l'American Enterprise Institute, au média Bloomberg:
Pris en étau, le reste du monde observe, et de nombreux pays refusent d'entrer dans la danse avec un partenaire ou l'autre. A l'instar du Brésil, membre du groupe Brics, ou de Singapour, lesquels ont mis en garde contre les retombées militaires et économiques d'un affrontement prolongé entre les deux plus grandes économies du monde.
Outre la question brûlante du statut de Taïwan, le commerce international ne risque guère d'offrir une épaule pacificatrice. C'est sur ce dernier aspect que Wang Yi a poursuivi sa charge, dénonçant les restrictions américaines aux exportations de puces électroniques. Wang Yi a jugé que ces restrictions témoignaient «d’une perception erronée de la Chine» de la part des Etats-Unis.
Les semi-conducteurs font l’objet d’une féroce bataille entre les deux puissances économiques pour la domination technologique. Les Etats-Unis accusent régulièrement la Chine d’espionnage industriel et de menaces à sa sécurité nationale. En réaction, la Chine a déposé le 15 décembre 2022 une procédure auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les Etats-Unis.
Une démarche qui vient alimenter la guerre latente que se livrent les deux pays à l'OMC depuis 2005. Ils s'y affrontent à grand renfort de procédures au sein de l'Organe de règlement des différends (ORD):