Un père et ses deux enfants jouent à Squid Game (en référence à la série phare de Netflix) alors que les fortes pluies menacent sur la ville de Tapei. Les parapluies sont sortis dès les premières gouttes, l'humidité est double avec la chaleur, et les personnes filent se réfugier dans les multiples centres commerciaux pour se mettre à l'abri.
Dans la capitale taïwanaise, durant le mois de juin, les pluies sont fréquentes et les tremblements de terre aussi. C'était même notre cadeau de bienvenue: le sol tremble, nos jambes avec, alors que les locaux sont de marbre, accoudés au bar. «Ça arrive tout le temps. Restez juste à l'écart des murs pour ne pas prendre un tableau sur la figure», nous conseille une employée.
Ce calme et cette confiance alors que vous vous trouvez dans un immeuble de plusieurs étages poussent au respect. Mais cette assurance face à Mère Nature, la population de Taïwan la voit se fissurer face à une autre menace: la Chine. Le territoire de Taïwan échappe depuis la révolution de 1949 au contrôle de Pékin, mais la menace militaire s'est accrue. Le Parti communiste chinois (PCC) intimide son voisin et le spectre de l'invasion, que la Chine appelle de ses voeux, se fait toujours plus insistant.
Les Etats-Unis, qui entretiennent des relations étroites avec l'île, ont accusé, par le biais de leur secrétaire américain de la Défense, Pete Hegseth, la Chine de se préparer «à potentiellement utiliser la force militaire».
Des démonstration de force militaire déployée par la nation du président Xi Jinping, qui souhaite la réunification totale de la Chine.
Le porte-parole des affaires étrangères chinois clamait lors d'une conférence:
Le PCC s'applique à décourager toute résistance de l'île de Taïwan. Et il semblerait que cela fonctionne, selon des personnes rencontrées dans la capitale Taipei.
Si l'anglais fait parfois défaut, les habitants usent d'application de traduction pour converser avec les touristes. C'est le cas de notre conductrice Uber. En conversant à coups de vocaux pour traduire nos propos, elle est la première à nous répondre sans concession sur le conflit: «Personnellement, ça va. Et s'ils (réd: les Chinois) décident d'attaquer, nous n'arriverons pas à résister longtemps.»
Et d'ajouter:
Face à notre étonnement, c'est un sourire résigné qui se dessine sur le visage de cette mère de deux enfants. Elle nous confie même être préoccupée par la situation économique à Taïwan, un facteur lié au conflit avec la Chine (restrictions) et qui nourrit une pression économique sur la population de l'île.
Nous relançons la discussion sur les risques d'un conflit militaire et des comparaisons avec la situation en Ukraine. Emmanuel Macron avait fait ce parallèle (un discours qui avait fortement déplu à la Chine) à l’ambassade de Chine à Singapour: «Ce n'est pas comparable», rétorque notre conductrice.
Avant qu'elle ne revienne sur ce désir de réunification qui obsède la Chine. «Xi Jinping pense que nous sommes un pays satellite. Ce n'est pas vrai. Nous sommes un pays indépendant de la Chine», en faisant référence au modèle «un pays, deux systèmes» désiré par la Chine pour promouvoir l'unification des deux pays, servie avec insistance par le président chinois depuis 2019 et rejetée avec véhémence par les Taïwanais.
Ce sentiment d'indépendance est fort et se ressent lorsque vous échangez avec les locaux. Aucune des personnes rencontrées ne voit d'un bon oeil un rapprochement avec le grand voisin. Les habitants nous regardent même de travers lorsque nous osons poser cette question.
Car il y a une peur stagnante de voir la démocratie s'effilocher. Pour ressentir cette tension, c'est chez une population dans la trentaine. Nos questions sont balayées, souvent. C'est le cas d'une employée d'hôtel, qui accueille notre question froidement, voire glacialement: «Ici, c'est très sensible. Je ne peux pas en parler avec vous, c'est vraiment trop sensible».
Plusieurs personnes interrogées dans la même tranche d'âge s'opposent à répondre concrètement; elles ne veulent pas aborder un sujet «trop politique» et «très sensible». Dans les bars, dans les lieux publics, il reste difficile d'en parler. Les gens effacent leur sourire au moment d'évoquer le conflit.
En discutant avec un habitant de Taipei, la quarantaine cette fois-ci, il rappelle qu'il faut «suivre» et «apprendre» de Hong Kong. Si le fatalisme ressenti est parfois intrigant, presque désarmant, les Taïwanais s'accrochent à leur indépendance, à l'image de leur président Lai Ching-te.
Car l'ombre de Pékin ramène à la situation de Hong Kong. Les récentes dissolutions des partis pro-démocratie actifs sur le territoire de la «Perle de l'Orient», à force de voir peser des pressions politiques sur leurs épaules, interrogent. La répression est forte et ils sont peu à résister à la propagande chinoise, écrit la presse taïwanaise, rappelant la fermeture d'au moins quatorze médias indépendants.
Les gens rencontrés regardent le cas d'Hong Kong avec attention – et appréhension -, un pays où l'application «un pays, deux systèmes» se solde par une répression. La méfiance de Taïwan envers la Chine est d'autant plus renforcée en raison de l'ingérence omniprésente.
Une résistance relayée dans le Taipei Times, dans un édito qui appelle les taïwanais à combattre pour leur démocratie:
En quittant notre conductrice Uber, avec qui nous avons passé une journée entière à sillonner une partie de l'île, nous immortalisons le moment, avant de nous adresser, une fois devant notre hôtel: «J'espère avoir l'opportunité de vous revoir prochainement ici, à Taïwan, et vous faire visiter un peu plus notre pays.»