Les soldats de Kiev peuvent continuer à se battre. Ils peuvent chasser les Russes de leur territoire, les repousser jusqu'à Moscou s'ils le veulent. Cela ne changera rien au constat. L'Ukraine a déjà perdu très gros dans cette guerre. Même si Zelensky triomphe sur le champ de bataille, son pays est désormais infesté par l'un des pires fléaux sur terre. Des vies seront détruites et l'économie nationale sera paralysée bien après que les combattants aient déposé les armes.
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Selon Kiev, un quart du territoire ukrainien est actuellement couvert de mines. Ce qui en fait officiellement l'Etat le plus miné au monde. La faute de l'envahisseur russe, mais pas que. L'Ukraine aurait, elle-même, disséminé des milliers de mines antipersonnel aux abords de certaines villes pour les défendre. Une stratégie militaire efficace, mais interdite et désastreuse.
En répandant leurs engins de mort, Moscou et Kiev hypothèquent le futur de la population ukrainienne. Il y a bien sûr les conséquences physiques. Vingt ans après la fin de la guerre civile qui a ravagé l'Angola et durant laquelle plus d'un million de mines ont été enfouies, des hommes, des femmes, des enfants continuent de perdre un membre, ou plus, en marchant là où il ne faut pas. L'ONU parle de plus de 80 000 Angolais mutilés ou tués.
Les mots sont crus, mais ils ont le mérite d'être clairs. Pourtant, derrière les souffrances physiques, on oublie trop souvent les conséquences économiques du problème. Il suffit d'une mine, enterrée quelque part sur un terrain, pour le rendre inutilisable. Qui irait risquer sa jambe pour y construire un immeuble ou faire pousser des céréales? Autant d'hectares cultivables qui manqueront forcément à l'Ukraine, grenier de l'Europe avant la guerre.
Car ces dizaines (centaines?) de milliers de mines ne disparaîtront pas par magie, une fois le conflit terminé. Pire encore, personne ne se souviendra où elles ont été enterrées. Il faudra lancer une gigantesque chasse au trésor pour les extraire une à une, comme autant d'épines dans le pied d'un pays qui tente d'aller de l'avant.
Les responsables occidentaux évoquent déjà la future reconstruction de l'Ukraine. Face à cet optimisme réjouissant, de nombreuses questions se posent: qui va financer le déminage de l'Ukraine et surtout, qui va aller gratter le sol?
Pour tenter d'y répondre, la Suisse organise la «Ukraine Mine Action Conference» à Lausanne, en ce moment même. Viola Amherd et le premier ministre ukrainien Denys Schmyhal ont ouvert l'événement qui veut «souligner l’importance cruciale du déminage en tant qu’élément central de la reconstruction sociale et économique».
La Confédération en profitera pour annoncer officiellement qu'elle va fournir des robots démineurs à Kiev. Berne s'est également engagé à verser 100 millions par an jusqu'en 2027 pour soutenir le déminage de l'Ukraine. Un joli geste, mais une goutte d'eau dans l'océan quand on sait que l'ONU a estimé à 34 milliards de dollars la décontamination totale du territoire. Autant dire que le conflit est colossal.
Et ce n'est pas faute d'y mettre de l'énergie et de l'inventivité. Pour accélérer le processus, les démineurs ont utilisé des chiens, des rats et même d'impressionnants chars télécommandés, une invention de la fondation suisse Digger 👇.
Mais la technique la plus simple et la plus utilisée reste de se mettre à genoux et de creuser le sol centimètre par centimètre en risquant sa vie à chaque erreur. Pour vous donner une idée, un démineur nettoie, en moyenne, 30m2 par jour. L'Ukraine fait 600 000 km2: soit 15 fois la Suisse. Ils n'ont pas fini de gratter.
Cet article a été initialement publié en février 2023. Il a été mis à jour et adapté à l'occasion de la «Ukraine Mine Action Conference» à Lausanne.