Commençons par une devinette. Qui a dit, à propos de la Nupes, l’alliance de gauche en France aujourd’hui disparue:
Continuons. Qui a qualifié Jean-Luc Mélenchon de «guide suprême de la France soumise à Poutine, vêtu d’un manteau de cuir qui aurait fait fureur dans les années 1930»? Qui a brocardé une fois encore la Nupes, «attelage improbable de la gauche woke, de la gauche vélib, de la gauche caviar, de la gauche stalinienne, de la gauche trotskiste et de la gauche Hamas»?
Vous l'avez peut-être reconnu, car on parle beaucoup de lui ces jours-ci. Il s’agit du sénateur français Claude Malhuret, devenu la coqueluche mondiale des anti-Trump après sa charge du 5 mars contre le président américain.
Agé de 75 ans, cet ex-«French Doctor», à l’origine de la création de Médecins sans frontières (MSF), appartient à cette génération qui a pleuré de joie à la chute du mur de Berlin en 1989. Dans les années 70, alors en mission en Asie pour MSF, Claude Malhuret avait eu un aperçu des horreurs commises par les totalitarismes d’extrême gauche et du soutien qu'ils avaient reçu à Paris dans des cercles universitaires acquis à la «révolution».
Le sénateur Claude Malhuret est un antitotalitaire cohérent et conséquent. Il n’y a pas de totalitarismes acceptables. Dans son discours contre Donald Trump, il dénonce une dérive totalitaire, celle du trumpisme, qui bafoue la démocratie en hissant le droit du plus fort au-dessus de l’Etat de droit.
En France, des émissions au ton progressiste réservent un accueil de star à Claude Malhuret. L’icône anti-Trump, c’est lui. Mais ces mêmes émissions passent comme chat sur braises sur ses diatribes pleines d’ironie féroce contre la gauche radicale, woke comprise. Dommage de ne pas s'y attarder, car tout se tient.
Il ne faudrait pas que le trumpisme, par ses outrances, réhabilite ou renforce le wokisme, ce qui est à craindre, comme en atteste la décision des Presses universitaires de France de déprogrammer la parution d’un livre dénonçant le wokisme à l’université. Ces dernières années, il n’a pas manqué de vigies démocrates pour mettre en garde la gauche contre les effets politiques indésirables du wokisme, à commencer par la victoire des idées réactionnaires.
Aux Etats-Unis, la catastrophe annoncée s’est produite. A la révolution culturelle wokiste, qu'on peut résumer à un projet de substitution de la société existante par une société supposément plus juste mais en réalité policière, a répondu une autre révolution culturelle, porteuse d’une vision radicalement opposée, qui se veut, elle, l’expression du fait majoritaire reprenant ses droits prétendument naturels sur le fait minoritaire.
Trumpisme et wokisme ont une dimension totalitaire. Mais leur puissance est inégale. Là où le wokisme agit par entrisme à un niveau sociétal, le trumpisme opère avec les moyens de l’Etat. Il est en ce sens plus dangereux. D’autant qu'il tire sa légitimité des urnes, quand le wokisme ignore la logique électorale.
Gardons-nous, dans notre Europe antitotalitaire, qui se réveille enfin face à Poutine et qui réalise que les Etats-Unis ne sont plus son allié indéfectible, de lâcher la bride au wokisme. Les mêmes causes risquent de produire en Europe les mêmes effets qu’aux Etats-Unis. On peut d’ailleurs s’opposer aux dérives wokes sans adhérer au trumpisme. La preuve, ici même, avec Claude Malhuret.
La preuve, encore, avec Anne Hiltpold. Souvenez-vous, c'était en 2024. Alertée, la cheffe du Département genevois de l'instruction publique avait mis fin sur le champ à la diffusion d’un questionnaire conçu par la faculté de psychologie de l’Université de Genève, qui demandait aux élèves d’une école primaire de déterminer leur ressenti de genre et de préciser sous quel sexe ils étaient nés, les parents des plus petits étant appelés à cocher les cases à leur place. La nature facultative du questionnaire, précaution d’usage, ne trompait personne.
Donald Trump et son vice-président JD Vance, l’idéologue du duo, mènent à présent une croisade contre l’université et les savoirs scientifiques. C’est dramatique. La démocratie suppose la liberté académique. Malheureusement, les universités américaines paient là des années de dérive woke, où l’autocensure et la peur d’être «cancellé» étaient devenues la norme. D’où, là aussi, l’explosion trumpiste, qui introduit dorénavant une censure inversée.
Face à l’offensive liberticide des trumpistes, il conviendrait de «sauver la science», entend-on. C'est une évidence. Mais nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion du poids pris par l’idéologie woke dans les sciences humaines, en Suisse aussi, où beaucoup tend au procès de l’Occident, qui aurait tous les torts, quand celui-ci doit au contraire s’affirmer contre les totalitarismes de toutes sortes.
Il y a donc une voie libérale, universaliste et laïque à opposer à Poutine, à Trump, aux wokes, aux théocrates. C’est la nôtre. Elle porte un nom: l’Etat de droit.