Le chiffre n'arrêtait pas de monter et donnait le tournis à la France depuis plusieurs jours. Après le tir mortel d'un policier sur le jeune Nahel, la semaine dernière, une cagnotte a été ouverte pour soutenir la famille du policier concerné. Elle en concurrençait une autre, destinée à aider la mère de Nahel.
La cagnotte de soutien au policier a été clôturée mardi soir à minuit. Elle cumule près de 1,6 million d'euros. Face à elle, celle pour la famille de Nahel peinait à la même heure à dépasser les 400 000 euros. Les deux ont été créées à peu près en même temps, sur deux sites différents.
Comment expliquer une telle différence? Des sommes élevées sont-elles arrivées sur la cagnotte du policier pour la faire «gonfler»? Un bref calcul permettant de comparer le montant moyen d'un don effectué mardi soir infirmait pourtant cette hypothèse. Il est, dans une précision cruelle que seul le hasard permet parfois, quasiment identique: 19,4 euros pour la famille du policier, 19,1 euros pour celle de Nahel.
La cagnotte en faveur du policier a été lancée par Jean Messiha, un proche d'Eric Zemmour. Son existence même, considérée comme indécente par la gauche et d'autres mouvements citoyens, dérange. «Cachez ce soutien aux policiers que l'on ne saurait deviner», pourrait-on dire. Les pressions pour son annulation, lancées notamment par des politiciens du Parti socialiste et de la France insoumise, semblent avoir porté leur fruit.
Mais si le lancement de cette cagnotte était partisan, sa popularité s'est étendue, elle, bien au-delà, avec plus de 85 000 dons. Car soutenir une cause se fait de bien des façons. Participer à une cagnotte, c'est comme glisser son bulletin de vote dans l'urne: un geste anonyme, vite fait, bien fait, le temps de plier une enveloppe ou de rentrer les coordonnées de sa carte bancaire.
Après les évènements de Nanterre, il est forcément mal vu d'aller sur les réseaux sociaux soutenir les forces de l'ordre ou de descendre dans la rue avec une pancarte «Vive la police». Donner de l'argent à la famille du policier, est-ce absoudre ce qui ressemble fort à une bavure? La question restera sans réponse.
Ces deux sommes, ce sont les miroirs froids de deux mondes qui vivent au mieux côte à côte et au pire, face à face, pour reprendre les termes utilisés par l'ancien ministre de l'Intérieur Gérard Collomb en 2018.
Un de ces deux mondes vit au diapason des injustices sociales, réelles ou fantasmées, et se transforme parfois en brasier de colère. Et l'autre en a assez de voir des flammes monter dans le ciel de l'Hexagone, depuis vingt ans. Elle s'est résignée à se taire, tout en montrant sa désapprobation — symboliquement, et financièrement.