Peut-on raisonnablement voter pour un président qu'on ose à peine regarder, mal à l'aise que nous sommes à chaque fois qu'il grimpe (difficilement) sur une estrade ou prononce (difficilement) le moindre mot? A l'inverse, peut-on raisonnablement voter pour un ex-président qui cumule 91 chefs d'accusation et qui est accusé d'avoir, excusez du peu, fraudé le pays?
Dieu merci, nous n'avons pas à voter aux Etats-Unis.
Mais 331,9 millions d'êtres humains s'y lèvent quotidiennement avec, tout soudain, la mission de se choisir un nouveau patron. Pour ce qui est de Donald Trump, la justice (et le karma) devraient très lentement s'en charger. Bien que les républicains peinent à s'en défaire publiquement, il paraît peu probable que le monde doive, in fine, composer avec un vieux chef d'Etat réélu derrière les barreaux. Ce qui n'épargne pas les Etats-Unis d'un futur cataclysme démocratique.
Le cas Biden, lui, fait peine à voir. Planqué derrière un bilan qui n'est pas catastrophique, le président surnage autour des évidences. Agé, fragile et fatigué, le patient de la Maison-Blanche est en soins palliatifs politiques. En réalité, pas sûr qu'il soit lui-même tout à fait consentant à rempiler. On l'a déjà dit plusieurs fois, il est même probable qu'il soit en train de creuser un tunnel dans le sol du Bureau ovale, histoire de filer en douce et de laisser sa place à un outsider que personne n'aura vu venir.
Le problème n'est pas (que) Joe Biden, mais son entourage. Persuadés qu'il va vivre (dans tous les sens du terme), la plupart des démocrates sont incapables d'oser imaginer ou préparer la sortie patriarche. Comme au chevet d'un corps politique qui s'accroche, ces stratèges narguent la cruelle réalité, pleurent ou trépignent en cachette. Et tant ils semblent isolés sous leur coupole insonorisée, personne n'a, pour l'instant, l'intelligence d'écouter attentivement le peuple américain:
Surtout, ils voudraient nous faire croire que Joe Biden est un président populaire. Bien sûr, après un mandat de Trump pollué par les ingérences de toutes sortes, il avait la stature, le sérieux, l'expérience. Et Joe Biden a toujours été un démocrate modéré et un homme plutôt pragmatique. Or, rappelons qu'il a tout de même manqué deux fois la marche présidentielle avant de se retrouver hissé, en 2020, au nez et à la barbe d'un Bernie Sanders qui suait de succès sous ses célèbres moufles.
Cette semaine, la frange dure des républicains a appuyé sur le bouton rouge. Voilà Biden sur un siège théoriquement éjectable. Le speaker de la chambre, Kevin McCarthy, a été contraint de soutenir une enquête pour destitution. Bien sûr, le président ne risque pas grand-chose. Si ce n'est une cascade d'emmerdes politiques et un agenda criblé de bombinettes de campagne.
Et puis, jeudi soir, bien que les charges soient mineures et que personne n'ait pu prouver que le président est de mèche, son fils Hunter a été officiellement inculpé. Pour détention illégale d'arme à feu et de fausses déclarations en vue d'acheter une arme. Là non plus, Biden ne risque rien. Hormis une énième chicane qu'on ne devrait pas avoir à contourner lorsqu'on a largement dépassé l'âge de la retraite.
On raconte qu'il n'y a personne pour prendre le relais. Qu'il est le seul mâle à pouvoir maintenir le pouvoir dans son camp. A terrasser Trump, alors que les Etats-Unis méritent mieux qu'un combat de boxe. Surtout, ce n'est pas vrai. Comme le disait très bien David Von Drehle du Washington Post:
Dans la mafia, c'est pareil: tant que le parrain n'est pas enterré, les affranchis ne sortent pas du bois (ni le cran d'arrêt pour le planter dans l'échine du frangin). Joe Biden n'est pas un parrain, mais un papy. Un grand politicien démocrate qui mérite de décrocher. Pour observer le chemin parcouru et dégager la vue à ses alliés, pour qu'ils puissent entrevoir celui qui reste à parcourir.