Au début du mois d'août, alors que son successeur vient tout juste d'être inculpé pour la troisième fois, Joe Biden et son épouse Jill se rendent dans un cinéma de Rehoboth Beach, dans le Delaware, pour découvrir le blockbuster estival Oppenheimer. On ignore si le président a ouvert la bouche pour y fourrer une généreuse poignée de popcorn. En tout cas, sur les évènements dramatiques en cours dans l'Etat de Géorgie concernant son rival, il la garde hermétiquement fermée.
Un mois plus tard, toujours rien. Alors que le président démocrate a tout à gagner des péripéties judiciaires en série de son concurrent, il refuse obstinément d'aborder le sujet. Allant jusqu'à opposer un «Non!» net, tranchant, à la demande de commentaire d'un journaliste, juste après la deuxième mise en accusation de Donald Trump, en Floride.
Selon NBC News, le président va même jusqu'à éviter de nommer son prédécesseur dans ses conversations privées. Lors d'un événement de collecte de fonds avec des donateurs cet été, celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom n'a pas été mentionné une seule fois, selon un participant.
Un silence qui ne se limite pas au seul président, mais qui s'étend à toutes les entités contrôlées par la Maison-Blanche. De la campagne de réélection, au Comité national démocrate (DNC), en passant par les membres du Congrès, tous les démocrates sont expressément priés de se la boucler sur l'épineux dossier classé «T».
Pour Biden, rester au-dessus de la mêlée est un choix relativement facile. Le meilleur moyen d'éviter de tomber dans le piège tendu par les républicains: à savoir prouver, malgré lui, que Donald Trump est bien victime d'une cabale politique. La «chasse aux sorcières» que le 45e président a si souvent dénoncée ces dernières années.
En respectant sa promesse de campagne de ne jamais interférer avec le travail du ministère de la Justice, Joe Biden espère prouver aux électeurs qu'ils peuvent avoir confiance dans un système judiciaire et une justice non partisane.
Une posture qui contraste avec le brouhaha généré du côté des partisans du milliardaire, pour qui chaque nouvel acte d'accusation est une occasion de se ruer vers les micros et les claviers pour manifester son mécontentement. Créer un contraste: c'est précisément ce que cherchent Joe Biden et ses collaborateurs. En espérant que cette accumulation judiciaire parlera d'elle-même et finira par convaincre les électeurs indépendants, décisifs dans les élections, de pencher en faveur des démocrates.
A défaut de miser sur les failles judiciaires de son vieux rival, Joe Biden entend convaincre les indécis par d'autres moyens: vanter ses propres réalisations, son bilan économique et sa vision d'avenir. Et puis, il ne manque pas d'autres prises pour attaquer Donald Trump: droit à l’avortement, armes à feu et gestion de l’économie du pays.
Selon des proches de la campagne, l'approche de Joe Biden devrait être assez similaire à celle d'Obama en 2012. Vanter ses mérites jusqu'à la fin de l'année, pour monter en puissance au printemps 2024. D'ici là, les démocrates laissent aux candidats de la primaire républicaine le soin «de se dévorer parmi».
Mais alors que les conseillers du président meublent gentiment le terrain pour sa future campagne, ses alliés sont conscients que ce silence persistant peut aussi s'avérer périlleux. Face à la situation judiciaire inédite auquel fait face l'ex-chef d'Etat américain, faire preuve de prudence, voire de retenue, n'est-il pas synonyme de complaisance?
Voire une preuve de culpabilité?
D'autant que ce manque de réaction expose Joe Biden à des mois de critiques sans retour par une partie des républicains pro-Trump. Autant d'attaques qui pourraient finir par s'immiscer dans la conscience publique. Et le blesser sérieusement.
Cette mollesse manifeste a suscité quelques rares voix critiques chez les démocrates. «Les problèmes juridiques de Trump ne concernent pas une contravention de stationnement ou le paiement de la pension alimentaire de ses enfants», juge bon de rappeler l'éditorialiste Charles M. Blow dans les colonnes du New York Times. «Il s'agit d'une attaque continue contre notre démocratie.»
L'ancien représentant démocrate de l'Ohio, Tim Ryan, est aussi un partisan d'une réplique plus dure: «Ce que Trump a fait est tellement flagrant, tellement inacceptable, que nous devrions tous adopter une position très ferme, agressive et hostile à son encontre», a martelé avec véhémence le démocrate à la chaîne NBC.
Pourtant, selon un sondage mené par Politico Magazine au début du mois d'août, une majorité d'Américains – dont les deux tiers d'indépendants – pensent que l'acte d'accusation de Trump du ministère de la Justice est basé sur «une évaluation équitable des preuves et de la loi». La preuve que la stratégie du silence fonctionne? Pour l'instant. Car notre époque n'est pas vraiment à la faveur des taiseux.