Ce poison qui alimente le terrorisme
C’est à mots un peu couverts qu’on parle ce matin sur les radios de ce quelque chose qu’on n’aime pas nommer: l’islamisme. Oui, il y a le terrorisme, qui tue. Et puis, il y a cette idéologie protéiforme, l’islamisme, apparue, s'il faut la dater, en 1928 avec la création des Frères musulmans en Egypte. C’est une idéologie de la renaissance, de la riposte, du sursaut, de la reconquête de l’Islam sur la civilisation occidentale à l’époque expansionniste. L’islamisme est donc une idéologie anticoloniale. Mais pas seulement. Mais pas d’abord. Suprémaciste, elle entend supplanter l’Occident, s’imposer à lui, montrer que l’Islam est le phare du monde.
Deux messages
L’islamisme véhicule deux messages qui s’enchâssent comme une suite causale.
- Toi, musulman, musulmane, porteur de la vraie religion, tu es opprimé par l’Occident.
- Toi, musulman, musulmane, tu dois remédier à cette injustice.
Dans une conférence réunissant les milieux fréristes dans les années 1990 aux Pays-Bas, un frère musulman énumérait les différentes manières, pour les musulmans, selon lui, de parvenir au but ultime: établir le primat de l’Islam. La manière forte, celle des takfiristes, qui punissent de mort les apostats, les «mauvais croyants», à commencer par les musulmans qui ne respectent pas leur religion suffisamment bien à leurs yeux? Non, ce n’est pas la bonne manière. Surtout en Europe. Cela provoquerait le chaos – l'objectif recherché par les djihadistes.
La manière douce
Aussi ce frère prônait-il la manière douce, celle qui consiste à investir les espaces sociétaux. La liaison fut pour ainsi dire immédiate entre cet islamisme sociétal et une partie de la gauche, qui partagent une même cause, instrumentalisée dans le cas islamiste: la lutte anticoloniale. Pour la gauche radicale, le combat anticolonial prendra fin le jour où l’Occident, parvenu au terme de sa marche expiatoire, se sera auto-dissous.
A ce titre et à cette aune, le massacre du 7-Octobre fut cette sortie d’Egypte, suivie d’un massacre des innocents dans la bande de Gaza. Mais la terre promise est au bout: la fin de l’impérialisme pour les uns, l’instauration du califat pour les autres.
Les universités, terrain de jeu
Comme le constate le spécialiste du djihadisme Gilles Kepel dans l’interview qu’il a accordée à watson pour les dix ans du 13-Novembre, les sciences humaines, dans les universités, sont devenues le terrain de jeu de ce qu’il nomme une «alliance gaucho-islamiste» – d’autres mouvements révolutionnaires ont emprunté la voie universitaire dans le passé. L’Occident y bat sa coulpe – pendant qu'on y est, renonçons à faire des «terrasses» mitraillées par les assassins du 13-Novembre un symbole de notre mode de vie occidental.
Le grand carburant de tout cela est le ressentiment. Contre la société capitaliste qui n’a que trop duré, contre le traitement infligé aux musulmans par des sociétés systémiquement islamophobes. Emballé, c'est pesé.
«Rupture normative»
Comme le dit encore Gilles Kepel, le ressentiment pousse à la «rupture normative». C’est plus ou moins gérable lorsqu’il s’agit d’une idéologie séculière. C’est plus compliqué quand Dieu entre en jeu.
Nos sociétés ferment ainsi pour partie les yeux sur un islam fondamentaliste se voulant cool et inclusif. Fondamentaliste en ce qu’il en réfère à un dogme qui demeure relativement intangible, où la bonne tenue pour la femme reste le voilement et qui continue d’entretenir un rapport transactionnel avec la société séculière. Cet islam veut faire croire qu’il représente les musulmans. Dire qu’il pourrait en être autrement fait de vous un «islamophobe». C'est faux: des islamologues, non des idéologues, investissent le terrain de l'historiographie islamique et c'est en tout point salutaire.
Le Conseil fédéral se débine
Le Conseil fédéral a, lui, récemment préféré le «pas de vagues» en refusant, comme le lui demandaient des parlementaires, d’interdire le voile à l’école pour les écolières, au moment où le Kosovo l’interdit de son côté, comme le relevait la spécialiste des droits des femmes dans l’islam, Saïda Keller-Messahli, dans une interview au Tages Anzeiger, reprise par les journaux Tamedia romands.
Les musulmans ne sont pas responsables des violences
En aucun cas, les musulmans ne doivent être tenus comptables des attentats terroristes commis au nom de l’islam, d’autant plus qu’ils ne sont eux-mêmes pas épargnés par ce phénomène meurtrier. Cela vaut d'ailleurs pour tout groupe ethnique, confessionnel ou géographique, dont certains membres verseraient dans le terrorisme. Mais ce qu’il faut avoir en tête, c’est le rôle joué par le ressentiment comme levier de décrochage et de possible porte d’entrée dans l’action violente. La radicalisation djihadiste, seul ou à plusieurs, se nourrit de ce mélange de posture victimaire et de promesse d’invincibilité.
Ayons conscience de cela et cessons d’accabler l’Occident. Cela ne profite à personne, sauf aux éléments les plus radicaux de quelque parti ou obédience que ce soit.
