Le «poison insidieux» des attentats de Paris continue de tuer
Survivants du Bataclan, le jeune chimiste Guillaume Valette et l'auteur de BD Fred Dewilde se sont battus plusieurs années contre le poison des attentats avant de se suicider, emportés par de profondes blessures psychiques.
«Jamais je n'oublierai le bruit de ces mitraillettes», avait confié Guillaume à ses parents dans un rare sanglot, se souviennent encore Arlette et Alain Valette, huit ans après la mort de leur fils. Agé de 31 ans, il a mis fin à ses jours dans la chambre de l'établissement psychiatrique où il était hospitalisé, deux ans après le 13 novembre 2015.
Ce vendredi-là, au concert du groupe Eagles of Death Metal, il y a d'abord eu l'effroi, les tirs de kalachnikov, les cris des blessés.
«Guillaume a perdu son sourire»
Après cette tragédie, «Guillaume a perdu son sourire», expliquent ses parents. Atteint de trouble de stress post-traumatique (TSPT), il continue de travailler mais «somatise ses angoisses», décrit son père. Hypervigilance, cauchemars et reviviscences à répétition, peur de sortir: des symptômes caractéristiques du psychotrauma illustrés dans plusieurs ouvrages du dessinateur Fred Dewilde.
Avec ses crayons, il s'est engagé pour «faire comprendre à l'autre cet incommunicable qu'est la souffrance intérieure, qui isole dans le désespoir les victimes, qui les désocialise et aggrave la rupture de vie», raconte sa compagne, Marianne Mazas.
Ce pilier de l'association de victimes Life for Paris s'est, lui aussi, suicidé, en mai 2024, neuf ans après les attaques qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés.
«Victime de l'organisation de la psychiatrie»
«L'illustration dramatique de ce que cause ce poison qui est très long, qui est très insidieux, qui est parfois très invisible», souligne Marianne Mazas. Une troisième victime des attentats s'est donné la mort en 2021. Mais à ce stade, «le lien n'a jamais été fait de manière claire avec le 13 novembre par la famille», explique Arthur Dénouveaux, président de Life For Paris.
Des années après, s'ils ne sont «pas correctement soignés», les traumatismes graves de ce type «restent aussi intenses et provoquent la même détresse», pointe le psychiatre à l'hôpital Avicenne et au Cn2r (Centre national de ressources et résilience), Thierry Baubet.
D'après ce spécialiste, le TPST multiplie par huit le risque suicidaire par rapport à la population générale. Les victimes de guerre, d'attentats ou encore d'accidents nécessitent donc une prise en charge médicale adaptée, ce dont Guillaume Valette n'a «pas bénéficié», estiment ses parents.
«Il a été victime de l'attentat et il a été victime de l'organisation de la psychiatrie, car il ne pouvait pas aller où il y avait vraiment les spécialistes», selon Alain Valette. Son épouse dit même profondément regretter son hospitalisation, évoquant l'absence de psychiatre pendant plusieurs mois, un sentiment de solitude:
«En 2015, il n'y avait pas suffisamment de personnes formées à la prise en charge des psychotraumas», observe Thierry Baubet. Depuis, l’Etat a créé des centres régionaux spécialisés et le Cn2r, source d'information pour les victimes, leurs proches et les professionnels.
Dans certaines régions de France, il est cependant toujours «compliqué de trouver des soins», déplore Thierry Baubet, pointant un manque de psychiatres et des «structures publiques saturées».
La peur de ne pas être compris
Autre obstacle souvent rencontré par les victimes: devoir affronter «la peur de ne pas être compris», souligne le soignant. Et d'assurer:
Pour apaiser l'état mental, des thérapies cognitivo-comportementales ou psychothérapies par mouvement oculaires (EMDR) sont généralement proposées aux patients, ce qui peut considérablement améliorer leur qualité de vie, développe Thierry Baubet.
Après sa mort, les parents de Guillaume Valette se sont démenés pour que leur fils soit reconnu 131e victime décédée des attentats. Aux côtés de celui de Fred Dewilde, son nom est gravé sur les plaques commémoratives du 13-novembre.
