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Ukraine: la guerre, notre routine

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La guerre, notre routine

Il est des anniversaires qu'on n'imaginait pas devoir (apprendre à) fêter.
23.02.2023, 18:4723.02.2023, 19:50
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Le 27 mai 2022, qui l'eut cru, nous philosophions sur l'agilité du char russe BMPT «Terminator». Avec le même naturel que notre voisin de palier lorsqu'il nous bassine avec sa nouvelle paire de ski.

Trois mois seulement s'étaient écoulés depuis l'annonce, par Vladimir Poutine, d'une «opération militaire spéciale» en Ukraine. C'est fou comme on peut basculer dans une nouvelle routine, fût-elle plus sanglante que la précédente.

Assez souffert que diable!

Quelques dodos plus tôt, nous nous libérions tout juste de ce masque réfractaire aux interactions sociales. Une «dictature sanitaire» pour les esprits dystopiques, une lente et barbante angoisse chez beaucoup d'entre nous, une dégringolade financière pour d'autres. Et un deuil à digérer pour des millions d'êtres humains ayant perdu un proche, disparu du Covid-19.

Très vite, une partie de l'humanité s'est mise à mendier un «monde d'après», comme si nous méritions une parenthèse féérique après le cauchemar sanitaire. Sorte de sucette après le dentiste. Nous rêvions de villes annexées par la nature et d'un ciel sans avion. Les premiers bombardements russes ont assourdi celui de l'Ukraine, le 24 février 2022. Le 26, les soldats du Kremlin toquaient à la porte de la capitale, Kiev.

Se farcir du jour au lendemain les frustrations d'un autocrate d'un autre âge, alors qu'on hésitait encore à abandonner le télétravail, c'était fort de café. Emmanuel Macron n'imaginait probablement pas devoir se ridiculiser sur Instagram, en sweat à capuche du commando parachutiste de l'Air nᵒ10, deux ans après avoir hurlé que «nous sommes en guerre», décrétant du même coup la «mobilisation générale» contre le coronavirus.

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Les premiers jours de la guerre, qui ne s'est pas entraîné au moins une fois à placer les "y" au bon endroit dans le prénom d'un président qui, deux jours plus tôt, n'était pas plus éminent (ou en danger) qu'un autre? Pour nous, naïfs rejetons de la Seconde guerre mondiale, les tanks, les missiles, c'est loin et surtout pas ici. Et puis, c'est quoi ces réfugiés blancs et catholiques, trimballés dans des voitures comme les nôtres?

D'autant qu'il a fallu se replonger dans une dispute vieille de neuf ans. Réaliser que l'Ukraine est bien en Europe et que des hommes mourraient déjà pour un bout de terre qui s'appelle la Crimée. La guerre n'a pas démarré tout à fait en même temps, que l'on soit Poutine, Zelensky ou la communauté internationale. Dans un couple, quand l'un date les débuts des emmerdes au premier missionnaire, l'autre reste obsédé par le premier «je t'aime».

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C'est d'ailleurs parfois très utile, un anniversaire. Ça permet, par exemple, à une question embarrassante de refaire méchamment surface, dans la bouche d'une première ministre finlandaise.

«Nous avons fait une grosse erreur en 2014 lorsque nous n'avons pas réagi plus fortement lorsque les Russes ont envahi la Crimée»
Sanna Marin, le 18 février 2023, durant la Conférence de Munich.

Car ce «nous», ce n'est pas seulement le peuple qui assiste, depuis une année et son canapé, à cette nouvelle routine militaire. Les chefs d'Etat occidentaux ont dû réviser leur vocable guerrier, potasser les manuels de diplomatie en période chaude patate. Prononcer des mots que l'on pensait réservés aux pays qui sont, au mieux des destinations balnéaires, au pire des contrées à éviter. Mine antipersonnel, sobriété, sanction ont remplacé sans trop de mal virus, vaccin et confinement.

Pour pas mal de ministères européens, il était temps de jeter un œil fébrile sur les vieux stocks de munitions, tripatouiller les budgets, réaliser à quel point la Russie nous chauffait le cul et les spaghetti, assumer le fait que mamie UE se repose toujours pas mal sur daddy USA.

La guerre a aussi titillé l'envie de Joe Biden de rester dans le coup, Macron dans l'Histoire et la Suisse dans une neutralité qui fait un peu pouffer les voisins. Et puis, la liste des alliés et ennemis de la nation, un peu comme celle d'un gamin qui change de classe, méritait bien une petite mise à jour. S'assurer qu'Olaf est toujours notre meilleur copain.

En un an, nous avons aussi beaucoup parié sur la chute du tyran. Au moins aussi souvent que des experts ont tenté de mesurer la distance entre l'index de Poutine et le bouton atomique. Depuis 80 ans, les chutes, on en connait pourtant bien quelques-unes. Celle du mur, de Saddam Hussein en barbe trop longue et trop blanche. Ou bien celle de Ceaușescu, fusillé en direct et en couple. Des souvenirs télévisuels qui placardaient à chaque fois la santé pétaradante du «monde libre».

Ce n'est pas très nouveau: pour que certains se mettent à mendier un «monde d'après», il faut que d'autres le fassent miroiter.
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Le passé, ça n'a jamais été mieux avant. Mais nos proches aïeux avaient suffisamment de paix sur la planche pour ne pas se contenter de l'espérer. Le 24 février prochain, nous fêterons donc un an de guerre épais. Une année dense et bousculante, durant laquelle les armes lourdes ont été envoyées à une cadence plus soutenue que les brouillons de traités de paix.

Douze mois, c'est aussi ce qu'il a fallu à Emmanuel Macron pour passer d'une bromance téléphonique avec Vladimir Poutine (très à l'aise au début dans la peau du conseiller conjugal) au souhait tiède d'une «défaite de la Russie» sans «l'écraser».

Quelque part sur terre, la guerre sera toujours une routine. Celle désirée et menée par le maître du Kremlin a eu au moins le cruel avantage de rappeler aux Européens, après une courte pause de sérénité militaire, qu'ils sont bel et bien dans le «monde d'après», fût-il un poil plus tendu et armé que celui tant fantasmé.

Le 27 mai 2022, nous nous sommes effectivement surpris à énumérer les qualités du BMPT «Terminator», comme si nous l'avions toujours fait. Un «char russe agile». Au moins autant que notre capacité à nous habituer aux heures les plus terribles.

Après-demain, comme l'ont fait nos grands-papas, c'est à nous que reviendra la lourde de tâche de raconter la guerre. De narrer la victoire (ou la défaite) de l'Etat de droit contre un vieux morceau d'autocratie. Car, une année après l'annonce de cette «opération militaire spéciale», l'Occident a plus que jamais un pied dans une guerre, en dépit d'oser empoigner les mots pour la définir.

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