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Roger Stone, le seul homme à savoir manipuler Trump

Roger Stone, le seul homme à savoir manipuler Trump
Roger Stone, 70 ans, a longtemps été le ventriloque de celui qui deviendra président en 2016. L'extrait d'un documentaire à paraître révèle comment il manipulait son poulain.IMage: keystone, getty. Montage: fred valet

Roger Stone, le «sale menteur maléfique» qui manipule Trump

C'est lui qui l'affirme, un peu malgré lui, dans une séquence vidéo dévoilée ce week-end. Qu'importe si Donald Trump est «un homme qui ne peut pas être dirigé, qui ne peut pas être acheté», son consultant de l'ombre, l'homme qui l'a hissé président des Etats-Unis en 2016, a un truc: lui mentir. On rembobine!
05.06.2023, 18:5505.06.2023, 18:56
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Le conseiller le plus redoutable de Donald Trump a un avis sur l'actuelle campagne présidentielle américaine: «Un combat entre la lumière et l'obscurité, une lutte entre le bien et le mal, un combat épique entre les pieux et les impies.» C'est la plus récente déclaration publique de Roger Stone. Il y a une dizaine de jours, celui qui agit dans l'ombre de Trump depuis 40 ans, et qui se décrit aujourd'hui comme un «soldat dans l'armée du seigneur», invoquait Dieu avec une prière précise à l'esprit: convaincre les trumpistes les plus évangéliques de continuer à soutenir leur messie dans la course à la Maison-Blanche.

Cela dit, Roger Stone n'avait pas encore les phalanges plongées dans l'eau bénite, en 2015, quand ce redoutable spin doctor transformait Donald le milliardaire, en président Trump. Sans doute la plus clinquante victoire de celui qui fut déjà dans les jupes de Nixon, Reagan ou W. Bush et qui chutera, en 2019, condamné pour mensonge, subordination de témoins et entrave à la justice. Mais nous y reviendrons.

Roger et Donald, dans les années nonante.
Roger et Donald, dans les années nonante.getty

Vendredi, un extrait du documentaire A Storm Foretold (une tempête annoncée) a fait ressurgir quelques-unes des manigances de l'ancien «Godfather» du candidat républicain. Le réalisateur danois Christoffer Guldbrandsen, réputé pour fourrer sa caméra là où elle n'est pas toujours conviée, a suivi Roger Stone pendant deux ans, de 2018 à 2020. Avant, pendant et après la défaite de Trump. Pourquoi? «Parce qu'il se passe quelque chose dans votre démocratie qui ressemble à un changement important et que nous ne comprenons pas», dira le jeune nordique quinquagénaire à un journaliste du Washington Post.

Un tournage «long» et «difficile», qui a failli le tuer dans un fitness de Floride, «à cause du stress, de la pression et de la fatigue. Un jour, Roger m'a annoncé qu'il comptait vendre l'entier des droits du film à une société de production américaine. Je me suis soudain écroulé et mon coeur a cessé de battre pendant quelques minutes». Le documentaire, qui n'a pour l'heure été montré qu'au Danemark et dans certains festivals confidentiels, raconte «la loyauté envers le pays et les amis – peut-être même les complices – et la trahison de ceux-ci».

Tout un programme.

Image
capture d'écran du daily beast

Dans la séquence qui s'est échappée des bobines en fin de semaine dernière, et que Daily Beast a attrapé au vol, on découvre un petit morceau de l'artillerie lourde de ce «sale menteur» autoproclamé. En 2019, au club de golf de Donald en Floride, faisant face à un parterre de visières MAGA, Roger Stone prend une grande bouffée d'emphase avant d'ouvrir les vannes.

«Je veux vous parler de Donald Trump»

«Quelqu'un qui est une force de la nature, il a cela en lui. Quelqu'un qui n'est pas manipulé, pas géré. Pas contrôlé. Un homme qui ne peut pas être dirigé. Et ne peut pas être acheté. Ce qui a fait de lui l'un des plus grands présidents depuis Abraham Lincoln.»

C'est beau, mais ce n'est pas tout à fait la vérité. Du moins, si l'on en croit les confidences moins reluisantes qu'il fera dans la séquence suivante. Le réalisateur filme sans filmer, planqué dans une pièce adjacente, et Roger Stone s'imagine à l'abris des oreilles indiscrètes. Face à une tierce personne tapie dans l'ombre, le fantasque faiseur de roi dira combien il lui a toujours été «difficile de traiter avec Trump», mais qu'il a l'habitude, «depuis 30 ans» et «dans son propre intérêt», de le «convaincre» de faire ce qu'il dit.

«Trump n'aime pas réaliser qu'il a été manipulé ou que l'on insinue qu'il l'a été»
Roger Stone, filmé à son insu.
Le réalisateur danois Christoffer Guldbrandsen et Roger Stone, chez lui, en Floride. L'équipe de tournage dira au Washington Post que le «Forrest Gump maléfique» énervait tout le monde, avec «ses capr ...
Le réalisateur danois Christoffer Guldbrandsen et Roger Stone, chez lui, en Floride. L'équipe de tournage dira au Washington Post que le «Forrest Gump maléfique» énervait tout le monde, avec «ses caprices et ses retards».

La technique imparable

Pour déjouer la vigilance de son poulain, Roger Stone avait un truc, bien à lui: mentir. Une technique de manipulation qui consiste à faire croire à son interlocuteur qu'il est à l'origine d'une idée… qu'il n'a pourtant jamais eue. Stone verse alors dans un étrange jeu de rôle, imitant Trump, autant qu'il met du ton dans ce dialogue qu'on croirait tout droit sorti d'un cours d'art dramatique.

Avant d'implanter une idée dans la tête de Trump, il faut lui crée un souvenir de toutes pièces, dans un moment qui a bel et bien existé. Surtout, on pousse le volume de la flatterie au maximum. Stone de donner un exemple: «Souviens-toi de cette fameuse nuit, quand nous étions à Buffalo. T'avais prononcé ce discours devant... mon Dieu, au moins 10 000 personnes. C'était la plus grande foule qu'ils n'aient jamais vue. A un moment tu as commencé à expliquer que blablabla et la salle est devenue complètement folle.» Stone précise que, dans un premier temps, Trump fouillera dans sa mémoire, évidemment, mais sans trouver grand-chose. Le conseiller en remet une couche.

«Donald, je ne sais plus comment tu avais fait, mais ça reste l'une de tes meilleures idées»
Roger Stone, qui ment à Donald Trump pour le manipuler.

Stone prend soudain la voix de Donald Trump pour imaginer sa réaction: «Ouais, c'est vrai, j'avais eu une super idée, je vais la réutiliser». Quand l'inconnu s'enquiert de l'efficacité de cette arme de persuasion massive, le conseiller républicain ne lésine pas sur l'autosatisfaction.

«Putain, ça n'a pas d'importance qu'il ne l'ait jamais dit, ça n'a aucune importance! Alors, ouais, ça prend du temps, mais ça fonctionne. Je l'ai fait pendant trente ans avec Trump»

Contacté par le Daily Beast, Christoffer Guldbrandsen confirme que Stone avait oublié la présence du micro. Le lendemain du tournage de cette scène, le républicain n'avait pas l'esprit tranquille, «il était vraiment, vraiment anxieux à propos de ce que j'avais pu enregistrer».

Roger Stone a été suivi par les réalisateurs danois pendant deux ans, chez lui et aux quatre coins des Etats-Unis.
Roger Stone a été suivi par les réalisateurs danois pendant deux ans, chez lui et aux quatre coins des Etats-Unis.image tirée du documentaire "A Storm Foretold".

Ivanka Trump? «Une salope avorteuse»

Deux ans de tournage, c'est long. Mais c'est précisément ce qui a permis aux deux cinéastes danois de s'infiltrer entre les nombreux moments d'extrême vigilance de Roger Stone. Sans surprise, l'homme ne contrôlait pas seulement l'esprit de Donald Trump, mais absolument tout ce qui l'entourait.

«Roger Stone était très méfiant au début, quand nous l'avons rencontré à Fort Lauderdale, en Floride. Il voulait être payé pour participer au documentaire, comptait nous imposer des interviews officielles et des mises en scène. Ce qui, de mon point de vue, est bien sûr très ennuyeux et sans intérêt.»
Christoffer Guldbrandsen, journaliste et réalisateur danois.

Il faut dire que Stone avait de quoi se méfier. Guldbrandsen et ses caméras sont notamment à l'origine de la démission du ministre danois de la Défense, en 2003, grâce à des propos qui avaient été capturés, là aussi, discrètement. L'épisode de ce micro allumé n'est donc qu'un exemple parmi tant d'autres dans A Storm Foretold. Du plus léger, notamment lorsque Stone avoue ne rien piger à l'obsession de Donald Trump pour le film Sunset Boulevard: «Franchement c'est bizarre, non»?

Au plus sensible, aussi. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que l'homme qui déteste les médias (no shit) se prend une volée de polémiques à cause de ce documentaire qui n'est pourtant pas encore sorti. En octobre dernier, un premier extrait non-autorisé mettait en lumière son amour, plus que modéré, pour la fille de Donald, la traitant de «salope avorteuse».

C'est violent, mais la fronde ne sortait pas (tout à fait) de nulle part. En 2019, Trump avait gentiment commué la peine de trois ans de prison de Stone (entre autres), après sa condamnation pour avoir entravé une enquête du Congrès sur l'implication de la Russie dans l'élection de 2016. Suite à son intervention tel un éléphant dans la jungle judiciaire, quatre procureurs démissionneront en guise de protestation.

Mais il l'abandonnera en 2020. Entendu à plusieurs reprises par le FBI et la justice américaine, Stone semblait au coeur de l'expédition punitive qui consistait à faire annuler, en vain, la victoire de Joe Biden. Pour se venger de «son ami de toujours», alors que le documentaire décrit plus volontiers leurs tensions récurrentes, il déclare, micro ouvert, vouloir «combattre» Jared Kushner, mari d'Ivanka, pour atteindre Trump au coeur.

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Un extrait du documentaire danois est venu à la rescousse du Congrès, le 13 octobre 2022, au moment d'auditionner Roger Stone à propos de son implication dans les émeutes du Capitole.EPA Getty Images North America P

Ce n'est pas tout. Le boulot méticuleux des réalisateurs danois, réalisé entre 2018 et 2020, a résonné durant les nombreuses auditions qui feront suite à l'assaut du Capitole, le 6 janvier 2021. On parle d'un rush en particulier qui a été diffusé à l'occasion de l'interrogatoire de Stone, par le comité du Congrès, le 13 octobre 2022. Des images qui «prouvent qu'il avait prédit de violents affrontements avec des militants de gauche», mais aussi que Donald Trump utiliserait «des gardes armés et des juges» à sa botte «pour rester au pouvoir».

«Fuck le vote, passons directement à la violence»
Roger Stone, dans le documentaire danois, la veille des résultats de l'élection présidentielle américaine, en 2020, selon le Washington Post.

Des dictateurs à Trump

Trump et Stone, c'est un roman lourd, une histoire qui dure depuis les années huitante, alors que le 45e président n'était qu'un baby-magnat de l'immobilier. Une époque où Stone, le «sale filou», adorait soutenir, conseiller et défendre les puissants (Rupert Murdoch ou la Tobacco Institute) mais aussi des dictateurs et des gens peu recommandables, à l'instar de Mobutu Sese Seko, l'ex-président du Zaïre.

ALEXANDRIA, VA - APRIL 22: FILE, Political Consultant Roger Stone in the living room of his Alexandria home on April 22, 1986 in Alexandria, VA (Wayne Partlow/The Washington Post via Getty Images)
Roger Stone, en avril 86, dans ses bureaux à Washington.Image: getty, The Washington Post

En fondant sa société de consulting BMSK (pour Black, Manafort, Stone and Kelly), il devient très vite l'un des hommes les plus puissants du sérail, mais aussi le plus écouté chez les républicains les moins polis. Le grand stratège sans foi ni loi donnera naissance à cette politique du clash et de l'attaque personnelle en politique américaine. Celle que Trump a précisément incarnée (et popularisée) dès le début de sa campagne en 2015. Ted Cruz qui planquerait cinq maîtresses? C'est du Roger Stone. Le scandale des prostituées qui a fait tomber le gouverneur démocrate de New York, Eliot Spitzer, en 2008? Encore du Roger Stone.

L'agent provocateur, qui arbore un tatouage de Richard Nixon sur les omoplates et sort rarement sans ses costumes trois pièces à rayures, agit comme un entraîneur de boxe. Faisant et défaisant ses adversaires à grands coups de genoux dans les valseuses.

«Le Watergate a créé Roger Stone. Trump l'a complété»
Politico, à propos du diabolique lobbyiste, en 2019.

C'est bien la campagne pour la réélection de Nixon, en 1972, qui a permis à ce puissant manipulateur de se faire les crocs. Alors étudiant, il prenait déjà un malin plaisir à trouver de quoi torturer les démocrates et nourrir les médias de phrases assassines et de rumeurs infondées. Une groupie de Nixon, plus qu'un réel collaborateur universitaire du président. Mais sa faim sans fond pour les sales coups et les sabotages politiques s'est logée dans son estomac quand son mentor s'est vu contraint de démissionner, scandale du Watergate oblige.

Beaucoup de politistes américains seront d'ailleurs longtemps empruntés pour le décrire: dans l'ombre? Talentueux, fin stratège. A la lumière? Un «connard nuisible et provocateur». John Aloysius Farrell, le biographe des présidents, avouera qu'il «était sensé, ironique et perspicace - tout ce que sa personnalité publique n'est pas». Et c'est en premier lieu l'«hypocrisie imbuvable du monde politique» qui fera de ce fumeur de cigare, le fécondateur de présidents que Trump engagera, en 2000 déjà, lors de son premier échec à viser la Maison-Blanche.

«Roger a toujours voulu que je me présente à l'élection présidentielle. Et c'est arrivé»
Donald Trump, à propos de Roger Stone.

Trump et Stone, une relation profonde, mais instable. Fragile, mais sincère. Après l'avoir transformé en candidat, de 2013 à 2015, il décidera de démissionner avec fracas, fâché «que l'équipe de campagne ne l'écoute pas assez». Du côté du candidat, c'était un tout autre son de cloche: «Stone utilise ma campagne présidentielle pour sa propre publicité.» On ne connaîtra sans doute jamais le fin mot de l'histoire, entre le patron des MAGA et celui qui fréquentait assidûment les clubs échangistes, par ennui et «parce que c'est le show-business parfait pour les gens moches».

Questionné récemment sur leur tumultueuse relation, Stone, qui a tout de même assisté à deux des trois mariages de sa marionnette MAGA, s'était montré rassurant: «Bien sûr qu'on est toujours ami, ce n'est que de la politique tout ça». Comprenez, un jeu. Un jeu populiste que l'homme de 70 ans aura joué pendant plus de 40 ans, se façonnant un personnage caricatural, que les ultra conservateurs modernes prendront en exemple, Proud Boys en tête.

Le cinéaste, Christoffer Guldbrandsen, a d'ailleurs très vite compris la complexité de l'homme derrière le puissant manipulateur. Un être «vulnérable», «parfois attachant», peu motivé par les confrontations directes: «Il y a un humain derrière tous ces personnages, et la personnalité publique est souvent une créature de Frankenstein qui n'existe pas».

Que pensais Roger Stone en 2020, d'une éventuelle candidature de Trump en 2024? Là encore, et comme à son habitude, c'est une formule à la fois ambigüe et tapageuse que le documentaire révèle haut et fort:

«Si Trump se représente à l'élection présidentielle, il va se faire casser la gueule»

Un documentaire dont on ne connaît pas encore la sortie officielle. En revanche, on soupçonne que c'est une bombe à retardement, puisque les réalisateurs, bien avant d'accepter de collaborer avec le Congrès, avaient juré à Roger Stone qu'il pouvait leur faire confiance: «Si nous avions montré le film plus tôt, il serait déjà en prison».

Un avenir qui pend toujours au nez de ce puissant ventriloque infréquentable, qui semble aujourd'hui en pleine négociation avec Dieu. Et, d'une manière ou d'une autre, dans l'ombre de sa marionnettes, en route pour 2024.

L'assaut du Capitole en images
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L'assaut du Capitole en images
Des manifestants pro-Trump occupent les terrains de la partie ouest du Capitole.
source: epa / michael reynolds
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