«Si vous voulez un ami à Washington, prenez un chien.» On attribue cette phrase au président Harry Truman, même si son origine reste floue. En revanche, elle pourrait trôner au-dessus de la cheminée de Kevin McCarthy, le speaker républicain qui a été démis de ses fonctions, cette nuit, par une courte majorité de la Chambre des représentants. Le condamné s'est dit «complètement choqué» que celui qu'il considérait «comme un ami», Tim Burchett, du Tennessee, choisisse de l'évincer.
C'est surtout un vote historique (comme tout ce qui se passe aux Etats-Unis depuis six mois), car personne avant lui n'avait encore été démis de cette fonction. Un vote qui a surtout dévoilé des démocrates parfaitement unis dans la croisade personnelle du député Matt Gaetz. Alors que McCarthy aurait pu, jusqu'au bout, espérer un discret baiser du diable, les démocrates de la Chambre ont préféré fricoter avec le chaos, en lui faisant mordre la poussière.
Mardi, 16h45 (heure de Washington) le coup de marteau final a froidement retenti dans l'hémicycle. Sur un score de 216 à 210, le speaker Kevin McCarthy a été officiellement démis de ses fonctions de président de la Chambre des représentants.
🚨 “The office of Speaker of the House of the United States House of Representatives is hereby declared vacant”
— Benny Johnson (@bennyjohnson) October 3, 2023
pic.twitter.com/K3S3HbjU9Y
L'heure qui a précédé la mise à mort n'avait rien à envier à une interminable décapitation en public. Chaque vote, comptabilisé oralement dans une atmosphère irrespirable, claquait comme un coup de lame sur la nuque du républicain.
Pendant le vote, un député a soudain hurlé «quelqu'un déclenche l'alarme incendie!» Une simple référence humoristique à la mésaventure du démocrate Jamaal Bowman, qui déclarait dimanche avoir «accidentellement» activé l'alarme du Congrès, au beau milieu du vote sur le budget qui évitera de justesse le shutdown. Une enquête a été lancée pour connaître le fin mot de l'histoire.
Les mauvaises langues diront que la Chambre des représentants était pourtant bien en feu, cette nuit.
«Les fous et les Qanon contrôlent vraiment le GOP en ce moment!», s'est exclamé sous le coup de l'émotion, Denver Riggleman, un ancien représentant républicain.
«Non, pas pour l'instant!» La fantasque Lauren Boebert, pourtant l'une des plus ferventes alliées de Matt Gaetz et jamais en retard d'une polémique, a décidé de sauver le président McCarthy, cette nuit. Sa raison?
Idem pour Marjorie Taylor Greene, qui dit «partager les frustrations de Matt Gaetz». Mais elle avoue surtout «combien il est difficile en ce moment de nous mettre tous d'accord au sein des républicains».
En voilà deux décisions qui paraissent étonnamment modérées et réfléchies, dans cet indescriptible chaos.
A quoi pensait-il au moment de quitter l'hémicycle? Le regard dans le vide, le pas mécanique, Kevin McCarthy a été escorté par une nuée de journalistes et d'agents de sécurité, quelques secondes après son éviction de son poste de speaker. Une déambulation historique, pour un vote historique.
McCarthy being escorted out 🤣
— TONY™️ (@TONYxTWO) October 3, 2023
What comes to your mind when you see this? pic.twitter.com/PG5Y9qfA7v
Plus tard, dans le cadre d'une conférence de presse qui sonnait comme une oraison funèbre absolument inédite, le tout frais ex-speaker s'est montré plutôt calme et détendu. Certains collègues républicains sont allés jusqu'à louer son attitude qui «imposait le respect».
Entre moments de nostalgies et (derniers) règlements de compte, McCarthy a ensuite annoncé sa volonté de ne pas se représenter à son propre poste. (Oui, non seulement c'est autorisé, mais, ironie d'un système, il aurait eu ses chances.)
Choisi par Kevin McCarthy lui-même, son remplaçant s'est fait un malin plaisir à s'approprier le fameux marteau de speaker. Malgré un nœud pap' plutôt élégant, Patrick McHenry, tout frais président intérimaire de la Chambre, a failli briser le desk en mille morceaux. Alors qu'il a défendu McCarthy jusqu'au bout, McHenry a sans doute trouvé ici le moyen d'exprimer sa colère sans ouvrir la bouche.
Mock the Rep. Patrick McHenry gavel slam all you like.
— Chip Franklin.com (@chipfranklin) October 3, 2023
But when Kevin McCarthy takes him to a carnival, he's walking out of there with the biggest stuffed teddy bear you've ever seen.pic.twitter.com/YkEX2WXCqh
Surpris par sa propre force, il se retournera une petite seconde pour vérifier qu'il n'avait pas esquinté son nouvel outil de travail. Et, bien sûr, internet s'est moqué. «Ce serait pas le marteau de Thor?», «je pense que ce coup de marteau résonnera jusqu'à l'élection de Trump à la Maison-Blanche». Mmh.
Ce puissant coup de marteau marquait en réalité sa première décision importante (et parfaitement étonnante) en tant qu'intérimaire. McHenry a jugé «prudent» de suspendre le boulot de la Chambre pendant une semaine, afin que les caucus puissent «discuter de la voie à suivre».
Un choix qui n'a pas tant plu à l'instigateur du chaos, l'éternel emmerdeur Matt Gaetz:
We should get to electing a new, more conservative and more trustworthy Speaker immediately.
— Rep. Matt Gaetz (@RepMattGaetz) October 4, 2023
I'm calling on @PatrickMcHenry, who is currently the Speaker Pro Tem, to reconsider the decision that he just made to send everyone in Congress home for a week.
This is not the time to… pic.twitter.com/DWb1MFhRQ5
Après avoir renvoyé les élus du peuple au bercail, Patrick McHenry a décidé que c'était le moment idéal pour priver la vénérable Nancy Pelosi de son... bureau caché. On parle de l'une des pièces prêtées aux plus vaillants parlementaires. Dans un email que Politico s'est procuré, le speaker par intérim a chargé l'un des soldats d'avertir la démocrate (et ancienne speaker) de plier bagage.
Problème: non seulement la principale intéressée n'était pas dans les parages au moment de ce ménage d'automne, mais la raison de son absence ne pouvait être plus excusable, puisqu'elle assistait, en Californie, aux obsèques de la démocrate Dianne Feinstein, la doyenne du Sénat décédée vendredi, à l'âge de 90 ans.
Pelosi, qui fut la speaker juste avant lui, déteste McCarthy. Au point que les jours précédents sa mise à mort, elle a participé activement à convaincre les démocrates à s'unir pour le jeter aux ordures.
Oeil pour oeil, dent pour dent? Avec tous ces règlements de compte, il y a de quoi devenir marteau.
Bien sûr, le milliardaire a déjà un agenda plutôt chargé, entre ses différents procès et sa campagne présidentielle. Mais non seulement le speaker n'a pas besoin de faire partie de la Chambre pour être élu, mais des rumeurs persistantes le prédisent en bonne place pour remettre de l'ordre au sein du Congrès.
Alors qu'il avait fortement poussé les républicains à hisser McCarthy au bout du marteau, Trump n'a cette fois pas mis son grain de sel pour le sauver. Et puis, en 2022, le milliardaire avait avoué ne pas être intéressé par le job: «Tout le monde parle de moi pour le prochain speaker, mais, non, je crois que je n'en veux pas.»
Ironie du sort, en janvier dernier, un certain... Matt Gaetz, trumpiste parmi les trumpistes, avait secoué la Chambre dans une énième provocation, en affirmant vouloir élire Donald Trump.
Quoiqu'il en soit, Trump aurait beaucoup de peine à récolter 218 voix, donc à obtenir le soutien d'une poignée de démocrates. Mais le fait que son nom fasse à chaque fois irruption dans les discussions prouve que les républicains ont définitivement un problème de leadership à l'intérieur du Congrès.
Alors qu'on ne lui avait littéralement rien demandé, Vivek Ramaswamy a donné son avis sur l'éviction de Kevin McCarthy. Manifestement dans sa voiture et au moyen d'un téléphone dont l'objectif n'a pas été nettoyé depuis un moment, le candidat à la présidentielle américaine a loué les «avantages du chaos».
Yes, “chaos” was the point. But that’s not necessarily a bad thing. pic.twitter.com/WO17pt1ITP
— Vivek Ramaswamy (@VivekGRamaswamy) October 3, 2023
Personne n'a vraiment compris sa prise de parole, mais une chose est sûre: tous les moyens sont bons pour sortir de la mêlée et montrer sa tronche.
On raconte que Joe Biden a suivi consciencieusement la mise à mort de McCarthy, mais qu'il a finalement décidé de ne pas réagir. De son côté, pile au moment où les derniers votes s'abattaient sur le malheureux républicain, le couple Obama criait son bonheur. Ont-ils suivi cet événement historique? Même pas.
Si le 3 octobre est désormais une date historique pour la politique américaine, c'est d'abord le jour le plus cher aux yeux de Barack et de Michelle: le 3 octobre 1992, l'ex-président et l'ex-First Lady s'étaient dit oui, jusqu'à ce que la mort les sépare.
Happy anniversary, sweetheart! @MichelleObama, you're brilliant, kind, funny, and beautiful—and I'm lucky to call you mine. pic.twitter.com/Ak147b5zDJ
— Barack Obama (@BarackObama) October 3, 2023
Fêter 31 ans de mariage, c'est plus chic que de pleurer neuf petits mois de boulot comme speaker, n'est-ce pas Kevin?