Il y a neuf mois, on disait déjà de lui qu'il était le «cauchemar vivant du Congrès». C'est peu dire que Matt Gaetz fait honneur à sa réputation. Faute d'avoir réussi à paralyser l'administration du pays tout entier ce week-end, le républicain de Floride au penchant assumé pour l'agitation et la polémique, a annoncé qu'il comptait mettre son propre patron, Kevin McCarthy, à la porte.
Ce dimanche, c'est à la télévision que le truculent Matt Gaetz a clamé son intention d'«arracher le pansement». Entendez: se venger de l'accord de dernière minute conclu par le speaker de la Chambre, avec les démocrates, afin d'empêcher le très redouté «shutdown» du gouvernement. On parle tout de même d'un projet de financement à très court terme, qui doit garantir à l'administration de ne pas se retrouver à sec, ces 45 prochains jours.
Cette tentative de putsch éhontée n'est pas vraiment une surprise. Pas même pour le principal intéressé, Kevin McCarthy. Cela fait des semaines que Matt Gaetz, 41 ans, brandit à la face du patron sa menace de tentative d'expulsion. Non sans un malin plaisir.
McCarthy a répliqué le jour même, d'une pique et d'un haussement d'épaules sur CBS: «Qu'il en soit ainsi, soit! Si Matt Gaetz est contrarié parce qu'il a essayé de nous pousser à la fermeture, alors que j'ai veillé à ce que le gouvernement ne ferme pas ses portes, menons ce combat.»
Aussi «indigne» de confiance qu'on le dit, Kevin McCarthy n'a pas tout à fait tort. Avec Matt Gaetz, le conflit n'est pas que politique. N'en déplaise au quadragénaire de Floride, à la chevelure gominée et aux costumes impeccables, qui a toujours affirmé le contraire d’un sourire à la fois carnassier et candide.
Difficile, en effet, de saisir pourquoi le Floridien nourrit une rancœur aussi tenace à l'égard de son camarade de parti. Souvenez-vous: en janvier dernier, il faisait déjà partie de la petite bande de six républicains déterminée à faire barrage à l'élection de Kevin McCarthy comme nouveau président de la Chambre. Coûte que coûte. Quinze scrutins et des jours entiers de blocage avaient été nécessaires pour leur faire changer d'avis.
Pour s'emparer du marteau tant convoité, le malheureux prétendant avait dû se fendre d'une belle brochette de concessions. Autant de promesses qui auguraient une présidence quasi impossible.
La plus cruelle? Un changement de règle permettant de faciliter sa propre destitution. A compter de janvier, l'appel à un vote de destitution serait à la portée de n'importe quel législateur. Ce week-end, Matt Gaetz s'est ainsi fait un malin plaisir de tester cette nouvelle possibilité.
Alors quoi? Vengeance personnelle? Soif de publicité? Simple goût pour la sédition et le chaos? D'aucuns prétendent, à raison, que cette vendetta lui assure une large exposition médiatique, avant une potentielle candidature au poste de gouverneur de Floride en 2026, lorsque Ron DeSantis sera démis de ses fonctions.
Sa fronde lui garantit de l'audience, certes, mais aussi une opinion positive de la part d'une base conservatrice farouchement anti-establishment en Floride. Une base d'électeurs indispensable, s’il compte briguer la fonction suprême dans son Etat - ce qu'il nie encore farouchement.
Reste à savoir à qui, de lui ou de leur chef, ses compagnons républicains à la Chambre décideront d'accorder leur soutien. Une poignée d'entre eux n'ont pas caché leur intérêt à l'idée d'évincer McCarthy. D'autres partisans de la ligne dure, en revanche, se sont déjà distancés de la stratégie du trublion Matt Gaetz. Après avoir sondé les législateurs la semaine passée, Politico avance que le président bénéficie encore d’un soutien «significatif» de la part de ses collègues.
Paradoxalement, c'est du côté démocrate que Kevin McCarthy va jouer son destin politique. Sa destitution devrait se jouer sur les doigts d'une main: si plus de cinq républicains votent en faveur de son éviction, le leader parlementaire devra compter sur les démocrates pour sauver son poste et ses fesses.
Plutôt accablant, quand on sait que la logique politique voudrait que les démocrates votent sa destitution aussi rapidement qu'il fait claquer son marteau.
Conscient du poids de cette décision, côté démocrate et en coulisse, on discute. On soupèse ce président jugé peu fiable, qui n'a cessé de céder aux caprices de sa droite et ne s'est tourné vers les démocrates que lorsqu’il était dos au mur. On juge son bilan. A commencer par l'enquête récente qu'il a validée, dans le but de destituer le président Joe Biden. Leur aide ne s'obtiendra pas sans concessions. Après tout, Kevin McCarthy est un habitué des grandes promesses.
Au final, de nombreux démocrates devraient suivre l'exemple de leur chef de file, Hakeem Jeffries: «La plupart feront tout ce que Hakeem nous dira de faire», a déclaré l'un des principaux démocrate de la Chambre, à Axios.
De son côté, le putschiste du Congrès est confiant. «Je ne les aurai peut-être pas la première fois, mais je les aurai sans doute avant le 15e tour, a glissé malicieusement Matt Gaetz sur ABC la semaine passée, en référence au nombre de tentatives qu'il a fallu à son adversaire pour obtenir enfin la présidence. Je suis implacable et je continuerai à poursuivre cet objectif», avait-il conclu. On veut bien le croire.
Reste que «Baby Gaetz», comme on l'appelle en Floride, qui s'est taillé une solide réputation de populiste dans l'alt-right américaine, joue gros. Visé par une enquête du comité d'éthique de la Chambre pour inconduite sexuelle, consommation de drogues illicites et potentielle corruption publique, on murmure que certains républicains seraient impatients de voir partir ce défenseur passionné de Donald Trump.
Toutefois, Matt Gaetz peut encore dormir paisiblement sur ses cheveux bien laqués. Son expulsion coûterait cher au Grand Old Party, qui dispose actuellement d’une très faible majorité. Trop cher. Face au risque de perdre la main sur la Chambre, son parti préférera sans doute s'accommoder des incessantes bêtises de ce trublion politique, aussi habile qu'insupportable.