
Ce rendu graphique fourni par l'armée de l'air américaine montre le F-47.Keystone
A la surprise générale, le président a annoncé que Boeing construirait le prochain avion de combat américain. Si la nouvelle a été accueillie avec enthousiasme par les milieux militaires et économiques, les critiques se font de plus en plus entendre.
31.03.2025, 05:3131.03.2025, 05:31
Bojan Stula / ch media

Donald Trump et une affiche du fameux F-47, ce 21 mars 2025.Keystone
Il y a un an à peine, le chef de l'armée de l'air américaine, David Allvin, évoquait les «choix difficiles» et les décisions à prendre, laissant planer le doute sur un possible abandon du programme NGAD (Next Generation Air Dominance) pour des raisons budgétaires. Ce programme vise à développer un avion de supériorité aérienne de sixième génération. Pourtant, vendredi dernier, à la surprise générale, Donald Trump a annoncé que Boeing avait remporté le contrat pour la construction de cet appareil.
Le nouveau chasseur-bombardier de Boeing porte le nom de F-47, une référence évidente à Donald Trump, devenu le 47ᵉ président des Etats-Unis:
«Le responsable de l'armée de l'air qui a eu l'idée de ressusciter un programme d'armement déjà abandonné en le nommant d'après Trump doit être un véritable génie»
Un commentateur ironise sur les réseaux sociaux.
Parallèlement, le cours de l’action Boeing a grimpé de plus de 10% à la Bourse américaine. Les analystes évaluent le montant total du contrat à plusieurs centaines de milliards de dollars. Donald Trump, quant à lui, s’est abstenu de toute précision sur les coûts, invoquant des raisons de sécurité.
Rapidement, des spéculations sur un possible délit d’initié ont émergé. Ceux qui avaient eu connaissance de l’annonce de Trump à l’avance auraient pu réaliser d’importants bénéfices en investissant dans les actions de Boeing. Un détail frappant: le titre avait déjà enregistré une première hausse significative deux jours avant la révélation à la Maison-Blanche.
Cependant, l'enthousiasme suscité par cette annonce spectaculaire dans les milieux économiques et militaires est tempéré par des interrogations croissantes. Celles-ci portent aussi bien sur la déclaration de Donald Trump que sur des considérations plus larges et se résument en trois points principaux:
Lobbying First
- On peut supposer que l'administration Trump et le Pentagone ont opté pour Boeing principalement dans le but de sauver une entreprise emblématique de l'industrie américaine en difficulté. Selon le magazine spécialisé Aviation Week, la division aérospatiale et défense de Boeing a enregistré des pertes de 12 milliards de dollars l'année dernière. Une grande part de ces pertes dans le secteur militaire est due aux problèmes rencontrés par l'avion de ravitaillement KC-46, qui a cumulé des pertes de 5 milliards de dollars au cours des dernières années.
- Cependant, Boeing est en train de construire depuis près de deux ans une nouvelle ligne de production gigantesque afin de fabriquer des avions de chasse à St. Louis, dans le Missouri. Le projet, d'une valeur de 1,8 milliard de dollars, doit être inauguré l'année prochaine.
Sans le contrat F-47, et avec la fin imminente des programmes de production des F-15 et F/A-18, cet investissement risquait de devenir un autre gouffre financier. Sur X, le sénateur républicain du Missouri Eric Schmitt a salué la décision de Trump, la qualifiant de «victoire majeure pour le Missouri et pour l'Amérique». Un soutien qui s'explique en grande partie par ses efforts de lobbying en faveur de Boeing à Washington.
- Le contrat attribué à Boeing permet également d’éviter qu’un monopole ne se forme autour de Lockheed Martin pour la construction des futurs avions de chasse de l’US Air Force, comme l’a souligné l’expert en aviation Steve Trimble. Lockheed Martin, est le fabricant du très critiqué F-35.
Manque de savoir-faire de Boeing pour le F-47
- Le fait que peu de personnes aient envisagé Boeing comme le lauréat de l’appel d’offres NGAD repose sur des raisons bien concrètes. Le dernier avion de chasse développé en interne par Boeing et produit en série remonte à 1932: il s’agit du monomoteur en métal P-26. Les F-15 et F/A-18 ont été intégrées à Boeing après l’acquisition de McDonnell Douglas en 1997. De plus, les problèmes techniques liés au modèle Boeing 737 Max sont devenus presque emblématiques. Richard Aboulafia, critique de longue date de Boeing et directeur général du cabinet AeroDynamic Advisory, a publiquement remis en question la capacité du constructeur à rassembler «suffisamment de talents au sein de son équipe de développement» pour concevoir un chasseur de haute performance avec des caractéristiques furtives.
- Le journal spécialisé «Breaking Defence» cite des sources anonymes au sein de l'US Air Force, affirmant que «une grande inquiétude règne concernant la capacité de Boeing à livrer pour le programme NGAD». Il y a un mois, Boeing a dû admettre un retard dans son prestigieux contrat de modernisation de l'Air Force One: au lieu de la mise en service prévue fin 2024, le nouvel avion présidentiel ne décollera pas avant 2029 au plus tôt. L'expert en sécurité allemand Benjamin Tallis écrit sur X:
«Il est fort à parier que le F-47 ne sera ni prêt à temps ni produit en nombre suffisant ni dans les limites du budget prévu»
Le marketing raté de Trump
- La désignation F-47 a immédiatement fait mauvaise impression, bien que Donald Trump ait souligné lors de la présentation que «les généraux ont choisi ce nom», officiellement en référence à l'année de création de l'US Air Force, en 1947. Les moqueurs ont déjà surnommé ce projet «Felon-47», soit «criminel condamné». De leur côté, les puristes de l'aviation reprochent le fait qu'un F-47 existait déjà: il s'agissait d'un avion à hélice, le «Thunderbolt», l'un des chasseurs les plus réussis de la Seconde Guerre mondiale.
- Le président américain a fait une erreur de jugement lors de la présentation à la Maison-Blanche en déclarant qu'une version moins performante de 10% du F-47 pourrait être proposée pour les ventes à «certains alliés», sous prétexte que ces alliés «pourraient bientôt ne plus être nos partenaires». En réponse, l'alliance des partis du centre au Parlement européen a rapidement suggéré de privilégier plutôt le «Made in Europe». Plusieurs projets européens de chasseurs de sixième génération sont en développement, comme le Tempest britannique et le système franco-germano-espagnol Future Combat Air System (FCAS).
- L'annonce faite par la Maison-Blanche a eu l'air d'une décision précipitée. En novembre, Elon Musk, le plus proche conseiller de Trump, avait publiquement affirmé que «seuls des idiots continueraient à fabriquer des jets comme le F-35», suggérant plutôt de se concentrer sur la technologie des drones. A peine quatre mois plus tard, le président américain présente un successeur au F-22, un avion dont on ignore non seulement le coût, mais aussi ses performances exactes, son design et même l'état des prototypes, qui seraient en phase d'essai depuis 2019. Un tel projet militaire, d'une envergure colossale, n'a jamais bénéficié d'une validation présidentielle aussi rapide et avec si peu d'informations disponibles.
Traduit et adapté par Noëline Flippe
Une passion pour l'avion?
Donald Trump est photogénique, la preuve
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Donald Trump est photogénique, la preuve
source: corbis news / view press
Le crash impressionnant d’un avion F-35 en Alaska
Video: watson
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