«Une énigme à 4 000 milliards de dollars» menace la bourse
Pour son second mandat, Donald Trump avait formulé de grandes promesses:
Comme le montre un sondage de l’Université du Michigan, le président américain n’a pourtant pas tenu parole. Le moral des consommateurs est, à l’exception de la période du Covid, au plus bas depuis 40 ans.
Ces derniers temps, le taux de popularité de Donald Trump a baissé. Et, plus récemment, la tendance s'apparente à une chute libre. Le magazine The Economist écrit:
Les puces au secours de Trump
Et sans le boom de l’intelligence artificielle, Donald Trump aurait chuté encore plus rapidement. Au premier semestre, les investissements colossaux dans les data centers et les superpuces ont, selon une estimation, contribué à hauteur de 92% à la croissance économique du pays.
Ce boom est en réalité plus fragile que ne le laisse supposer l’engouement. Il repose même sur une énigme qui, en principe, ne devrait intéresser que des comptables. A quelle vitesse les data centers et les superpuces utiles à l'IA doivent-ils être amortis? Selon la réponse, ce sont jusqu’à 4000 milliards de dollars qui pourraient s’évaporer en bourse. The Economist titre ainsi:
Des sommes qui rendent les marchés fébriles
La question des 4 billions se pose parce que des sommes inouïes sont absorbées dans le boom de l’IA. Ce ne sont non plus des milliards, mais des billions. Pour 2024 seulement, on parle de près d’un billion de dollars investis dans les superpuces, estime la société d’études Gartner.
Dès 2026, ce seront 2 billions. Une grande partie de ces investissements provient des 6 géants américains de l’IA que sont Nvidia, Microsoft, Amazon, Meta, Alphabet et Oracle.
Ces billions servent à acheter les superpuces les plus récentes et à construire des data centers à tour de bras. Tout se veut immense, visionnaire, révolutionnaire. Et pourtant, tout doit être comptabilisé, et donc amorti financièrement. Comme un four ou un réfrigérateur dans un restaurant, il faut que les sommes investies finissent par revenir dans la poche de ceux qui ont payé.
Pour les superpuces, le rythme de l’amortissement dépend de la vitesse à laquelle de nouvelles générations de composant arrivent sur le marché, et à quel fréquence ont les remplace. Le fabricant Nvidia veut lancer chaque année de meilleurs modèles. Mais comment un tel modèle économique peut-il être tenable sur le long terme, là est toute la question.
Se serrer la ceinture pour amortir plus vite
On se pose alors la question: quelle est la durée réaliste pour amortir les data centers? Eh bien, tout dépendra du bénéfice que les géants de la tech se décideront à empocher. D’après les calculs de The Economist, ces récents data centers représentent un montant estimé à 156 milliards de dollars, qu'il est prévu d'amortir sur une durée de 6 ans, soit 26 milliards pour l'année 2024.
Si les géants de la tech souhaitaient amortir leurs puces en trois ans, ils devraient alors amortir des sommes deux fois plus élevés. En 2024, ils n’auraient pas amorti 26 milliards, mais 52 milliards, soit 26 milliards de bénéfices en moins. Pour ces géants, cela ne représenterait toutefois que 8% de leur bénéfice annuel.
La pression boursière est intense
Mais le véritable choc pourrait survenir dans la bourse. Chaque dollar de bénéfice gagné par les géants de l’IA équivaut en bourse à 30 dollars, soit 30 fois plus. A l’inverse, un dollar de bénéfice perdu équivaut lui aussi à 30 dollars de moins sur la valeur boursière. Vingt-six milliards de bénéfices en moins, cela entraînerait une réduction de 780 milliards de dollars en bourse.
Si tout devait être amorti encore plus rapidement, soit sur 2 ans, cela ferait au total 52 milliards de bénéfices en moins, pour l'équivalent de 1560 milliards de perdus en bourse pour la tech. Et si le scénario le plus brutal se produisait et que les groupes devaient amortir en un an la totalité des 156 milliards investis, ils enregistreraient quelque 130 milliards de bénéfices en moins. En bourse, ce serait ainsi 3900 milliards de dollars qui s’évaporeraient, soit les fameux 4 billions que le secteur pourrait voir s'envoler.
Pourquoi est-ce si risqué?
Voilà ce qui est en jeu dans la question aride du rythme d’amortissement des data centers. Le portail Yahoo Finance écrit ainsi que «l’amortissement» est actuellement le mot le plus impopulaire en bourse.
Des investisseurs célèbres sont intervenus sur cette question qui peut se transformer en choix cornélien. Si Meta, le groupe de Facebook, devait effectivement amortir ses superpuces plus rapidement, «la plupart de ses bénéfices seraient largement surévalués», avertit l'expert Jim Chanos.
Michael Burry avait, avant la crise financière de 2008, parié sur la baisse des prix de l'immobilier, et avait été immortalisé dans un livre, puis le film qui s'en inspirait, The Big Short. Michael Burry accuse désormais le géant des puces Nvidia de «gonfler artificiellement» leurs bénéfices en ayant recours à des amortissements trop faibles et peu réalistes dans le temps. Cette pratique serait «l’une des formes de fraude les plus courantes de notre époque», selon Burry.
Des puces sollicitées jour et nuit
La question de la valeur réelle des superpuces pourrait bientôt recevoir une réponse de la part des puces elles-mêmes. Il ne s’agit pas seulement de la vitesse à laquelle de nouvelles générations arrivent sur le marché. Leur usure compte tout autant, sinon davantage, explique Paul Kedrosky, chercheur au Massachusetts Institute of Technology et associé d’un fonds de capital-risque.
Dans un entretien avec Bloomberg, Paul Kedrosky avertit que les superpuces sont utilisées d’une manière totalement différente des puces ordinaires, et s’usent donc beaucoup plus vite.
Les puces classiques servent notamment à stocker d’immenses volumes de données. Elles sont alors sollicitées à peu près autant qu’une voiture que l’on ne sortirait que pour aller à l’église le dimanche. Leur usure est faible, et une durée de vie de 6 ans est, selon Paul Kedrosky, tout à fait possible.
Les superpuces, en revanche, sont utilisées d’une manière totalement différente, explique-t-il. Lorsqu’on sollicite des puces Nvidia actuelles pour entraîner un modèle d’IA, celles-ci tournent jour et nuit, en permanence à pleine charge, à haute température, tout en consommant énormément d’électricité et d’eau.
Paul Kedrosky illustre ainsi la situation: les superpuces, c’est comme une voiture qui courrait chaque jour les 24 Heures du Mans. Leur durée de vie serait probablement de deux ans seulement, peut-être même de 18 mois. Une durée de vie aussi courte suffirait sans doute à provoquer un sérieux séisme en bourse.
Traduit de l'allemand par Joel Espi
