International
Economie

Le Qatar a-t-il corrompu l'Union Européenne?

Le Qatar a-t-il corrompu l'Union Européenne? Le scandale en 10 points

Une opération anticorruption de la police belge au Parlement européen, en lien avec le Qatar, suscitait samedi de très vives réactions à Bruxelles. Des députés du Parlement européen ont été arrêtés vendredi, car ils font l'objet d'une enquête pour «corruption» et «blanchiment d'argent» en bande organisée.
10.12.2022, 09:5910.12.2022, 16:58
Plus de «International»
Le Parlement europ
Image: sda

Une vice-présidente grecque et un ex-eurodéputé italien arrêtés: le Parlement européen est éclaboussé par des soupçons de corruption impliquant le Qatar et qui ont mené à une vaste opération de la police belge vendredi à Bruxelles.

Dans la soirée, l'eurodéputée socialiste grecque Eva Kaili, qui est une des vice-présidentes de l'assemblée, a été interpellée à son domicile à Bruxelles pour être auditionnée, a indiqué à l'Agence France-presse (AFP) une source proche du dossier, confirmant des informations de presse.

5e interpellation

Il s'agit de la cinquième interpellation de la journée.

Quatre hommes ont été arrêtés dans la matinée; le compagnon de Kaili, Francesco Giorgi, qui est assistant parlementaire, ainsi qu'un directeur d'ONG, le dirigeant syndical italien Luca Visentini et l'ancien eurodéputé Pier-Antonio Panzeri qui siégea de 2004 à 2019.

Le parquet fédéral belge a annoncé l'opération de police sans identifier les suspects ni nommer le «pays du Golfe» sur lequel pèsent ces soupçons de corruption.

Depuis quatre mois

Mais la même source proche du dossier a confirmé à l'AFP qu'il s'agissait du Qatar, comme l'ont révélé dans une enquête conjointe le journal francophone Le soir et l'hebdomadaire flamand Knack.

Le Qatar «influencerait les décisions économiques et politiques du Parlement européen, en versant des sommes d'argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants»
Le parquet fédéral belge dans un communiqué

L'enquête, pilotée depuis quatre mois par un juge financier bruxellois, vise des faits de «corruption» et de «blanchiment d'argent» en bande organisée, a souligné le parquet fédéral dans un communiqué.

Ce pays du Golfe est soupçonné d'«influencer les décisions économiques et politiques du Parlement européen, en versant des sommes d'argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants», poursuit-il.

Quant aux bénéficiaires, il s'agit de personnalités ayant «une position politique et/ou stratégique significative» au sein du Parlement

«Pas d'un incident isolé»

«Il ne s'agit pas d'un incident isolé», a réagi l'organisation Transparency international. «Depuis plusieurs décennies, le Parlement a laissé se développer une culture de l'impunité (...) et une absence totale de contrôle éthique indépendant».

Ce contrôle dans l'institution est «défectueux», a renchéri sur Twitter Alberto Alemanno, professeur de droit au Collège d'Europe à Bruges.

Cinq personnes ont été arrêtées vendredi à Bruxelles à l'issue d'au moins 16 perquisitions dans une enquête sur des soupçons de versements d'argent «conséquents» par un pays du Golfe pour influencer les décisions des eurodéputés.

Le parquet fédéral n'a pas nommé le pays, mais une source judiciaire proche du dossier a confirmé à l'AFP qu'il s'agissait du Qatar, comme le révélaient les médias Le Soir et Knack.

Un demi-million en liquide

L'opération de police a donné lieu à seize perquisitions au total dans diverses communes de la capitale belge, où le Parlement européen a son siège.

Au cours de l'opération, la police a mis la main sur «environ 600 000 euros en liquide», ainsi que «du matériel informatique et des téléphones portables» dont les contenus seront analysés.

Les cadeaux ou avantages offerts pourraient être liés à la volonté du Qatar d'améliorer sa réputation décriée en matière de droits humains et de traitement des travailleurs étrangers.

Qui est soupçonné?

Parmi les interpellés, le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI, ou Ituc en anglais), Luca Visentini, évoquait encore cette semaine la situation des travailleurs au Qatar, dans un entretien diffusé vendredi par l'AFP.

Ce responsable italien appelait en particulier à «continuer de faire pression sur les autorités et les employeurs» pour de meilleures rémunérations et davantage de mobilité dans le travail.

Dans un message succinct sur son site, la CSI s'est dit «au courant des informations circulant dans la presse», mais a refusé tout commentaire «à ce stade».

L'affaire éclate en plein Mondial-2022 de football, alors que le pays organisateur doit déployer des efforts pour défendre sa réputation décriée en matière de respect des droits humains, notamment ceux des travailleurs.

Surtout, le dossier a pris une dimension supplémentaire quand a été confirmée l'identité de la cinquième personne interpellée vendredi soir.

L'eurodéputée grecque Eva Kaili est une ex présentatrice télé de 44 ans devenue une figure de la sociale-démocratie dans son pays. Elle a aussi le titre de vice-président du Parlement européen comme 13 autres élus.

Quant au parti socialiste grec (Pasok-Kinal) dont Eva Kaili était membre, il a annoncé dans la soirée à Athènes qu'elle en était «écartée».

Les morts des chantiers

Cette ancienne présentatrice télé de 44 ans, qui est un des quatorze vice-présidents du Parlement européen, avait rencontré au Qatar peu avant le début du Mondial de football le ministre qatari du Travail Ali bin Samikh Al Marri.

L'élue grecque avait salué à cette occasion, au nom de l'Union européenne (UE), l'engagement du Qatar à «poursuivre les réformes du travail», selon un tweet de l'ambassadeur de l'Union à Doha Cristian Tudor.

«Le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail»
Eva Kaili

«Aujourd'hui, la Coupe du monde de football au Qatar est une preuve concrète de la façon dont la diplomatie sportive peut aboutir à une transformation historique d'un pays dont les réformes ont inspiré le monde arabe», avait aussi déclaré Eva Kaili à la tribune du Parlement européen le 22 novembre.

«Le Qatar est un chef de file en matière de droits du travail», avait-elle affirmé.

Le Qatar, pays organisateur du Mondial-2022 de football, a été accusé par des ONG de négliger les conditions de travail et de vie de ses centaines de milliers de travailleurs migrants venus d'Asie et d'Afrique.

Réformes inédites du Code du travail

En réponse, Doha a fait valoir des réformes inédites du Code de travail, saluées par des organisations syndicales, qui appellent néanmoins à une application plus rigoureuse.

Un chiffre a fait couler beaucoup d'encre: celui de 6500 étrangers morts au Qatar depuis l'attribution du Mondial en 2010, avancé en février 2021 par le quotidien britannique The guardian.

Les autorités qataries ont vivement démenti. Et l'Organisation internationale du travail (OIT), présente à Doha depuis 2018, a documenté de son côté cinquante accidents du travail mortels d'employés sur une année, en 2020, et 500 blessures graves. Elle a toutefois relevé le manque de données disponibles.

«Plusieurs sacs remplis de billets»

Samedi les auditions de cinq suspects se poursuivaient à Bruxelles, selon un porte-parole du parquet fédéral.

Un éventuel placement en détention provisoire par le juge d'instruction doit être décidé dans un délai de 48 heures après l'interpellation, soit d'ici à dimanche soir au plus tard concernant Kaili.

L'enquête du juge belge Michel Claise vise des faits de «corruption» et de «blanchiment d'argent» en bande organisée, selon le parquet.

Samedi le journal belge L'Echo affirmait que «plusieurs sacs remplis de billets» ont été découverts au domicile bruxellois d'Eva Kaili, que la police a décidé de perquisitionner après avoir surpris le père de l'élue lui-même en possession d'une grosse quantité d'argent liquide dans «une valise».

Selon des informations de presse confirmées à l'AFP, au moins trois suspects interpellés vendredi sont Italiens ou d'origine italienne: l'ancien eurodéputé socialiste Pier-Antonio Panzeri, le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI) Luca Visentini, ainsi que Francesco Giorgi, un assistant parlementaire du groupe S&D, compagnon de Mme Kaili.

«Lobbying agressif du Qatar»

Outre les cinq en Belgique, il y aussi eu deux interpellations en Italie, d'après les agences de presse italiennes, identifiant l'épouse et la fille de Panzeri.

Eva Kaili s'était rendue début novembre au Qatar où elle avait salué en présence du ministre qatari du Travail les réformes de l'émirat dans ce secteur.

L'eurodéputée française Manon Aubry (gauche radicale) a dénoncé samedi «le lobbying agressif du Qatar», et exigé un débat sur le sujet la semaine prochaine à Strasbourg, où le Parlement se réunit en session plénière.

Où en est l'enquête?

«Nous ferons tout ce qui est notre pouvoir pour coopérer avec la justice», a tweeté pour sa part la présidente du Parlement, la Maltaise Roberta Metsola.

Côté investigations, des téléphones et du matériel informatique saisis vendredi doivent être analysés.

La police a placé sous scellés des bureaux au sein du Parlement anciennement utilisés par Panzeri (qui siégea comme eurodéputé de 2004 à 2019) ou ses collaborateurs.

Les sélectionneurs à la Coupe du monde 2022
1 / 34
Les sélectionneurs à la Coupe du monde 2022
Félix Sánchez Bas - Qatar
source: keystone / petr david josek
partager sur Facebookpartager sur X
La danse des Brésiliens au Mondial
Video: twitter
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
«Israël est obligée de répondre à cette attaque»: voici ses options
L'attaque directe de l'Iran contre Israël a exacerbé la situation déjà tendue au Proche-Orient. Qu'est-ce qui a poussé Téhéran à prendre un tel risque? Comment va réagir Israël? Et quelles sont les conséquences pour la région? L'analyse de Raz Zimmt, du groupe de réflexion Institute for National Security Studies de Tel Aviv.

Depuis que l'Iran a attaqué Israël avec des centaines de drones et de missiles dans la nuit de samedi à dimanche, le Proche-Orient se trouve à la croisée des chemins. En Israël, le gouvernement se penche sur sa réaction à l'attaque. De celle-ci pourrait dépendre la transformation de la guerre de Gaza en un conflit généralisé, qui risquerait d'apporter souffrance et destruction au-delà de la région. Ni les dirigeants israéliens ni les dirigeants iraniens ne semblent le vouloir, mais la logique de l'escalade qui dure depuis des mois a depuis longtemps développé une dynamique imprévisible.

L’article