Emmanuel Macron a condamné un acte d'«antisémistisme odieux». Au mémorial juif de Paris, des inconnus ont tagué une multitude de mains rouges sur un mur commémoratif. Ce symbole remonte à un événement survenu à Ramallah en 2000, lorsque des Palestiniens ont lynché deux réservistes israéliens et montré leurs mains ensanglantées à travers les fenêtres d'un poste de police.
Cependant, il semble que derrière l'attentat de la mi-mai ne se cachent pas des activistes pro-palestiniens, mais des commanditaires russes. Grâce à la localisation d'un téléphone portable et aux caméras de surveillance, le parquet de Paris a identifié l'un des trois auteurs comme étant un Bulgare ayant des liens avec les services de renseignement russes. Le trio s'est réfugié en Belgique, où il a disparu de la circulation.
Selon l'hebdomadaire Le Canard Enchaîné, les autorités françaises estiment que cette attaque au spray s'inscrit dans les tentatives de la Russie de créer des tensions politiques au sein des Etats de l'UE, en particulier en France, avant les élections au Parlement européen du 9 juin. Et plus précisément, d'influencer le résultat des élections en faveur des partis pro-Poutine.
L'ancien diplomate français à Moscou, Alexandre Melnik, a affirmé que cette campagne de désinformation rappelle les méthodes de l'Union soviétique pendant la Guerre froide. Aujourd'hui, l'objectif serait d'une part de transposer le conflit du Moyen-Orient dans les banlieues de Paris et de Marseille; d'autre part, de présenter la France et l'Ukraine, comme un foyer d'antisémitisme et de nazisme.
Paris est dans la ligne de mire du Kremlin depuis que le président français Emmanuel Macron adopte une position ferme vis-à-vis de son homologue russe Vladimir Poutine, n'excluant pas l'envoi de troupes au sol. Les graffitis des «mains rouges» rappellent de précédentes actions similaires, vraisemblablement aussi initiées par la Russie, avec des étoiles de David bleues peintes sur les façades d'immeubles parisiens.
Avant les Jeux olympiques de Paris, des trolls russes ont également attisé les craintes des visiteurs étrangers avec une prétendue invasion de punaises de lit. Le président est aussi personnellement visé, avec des rumeurs circulant sur le net selon lesquelles son épouse, Brigitte Macron, aurait été un homme à l'origine.
Début mai, le gouvernement français a réagi en ordonnant aux plateformes Internet de lutter plus rapidement et systématiquement contre les deepfakes et autres manipulations. La secrétaire d'Etat chargée du numérique, Marina Ferrari, a assuré que la lutte contre la désinformation est devenue une tâche quotidienne pour les démocraties occidentales — «et en période électorale, elle est même vitale».
Le renseignement français, la DGSI, enquête sur un réseau de propagande dirigé par Moscou nommé «Portal Kombat», composé de 193 adresses individuelles. Ce réseau a une dimension paneuropéenne. C'est pour cette raison que, dès le début de cette année, la France a formé un groupe de planification commun avec l'Allemagne et la Pologne pour contrer les avalanches de trolls provenant de l'Est.
De son côté, la République tchèque a imposé des sanctions contre le portail Voice of Europe, appartenant à un oligarque et influençant le Parlement européen à Strasbourg. En outre, Prague a sanctionné trois personnes pour espionnage au profit de la Russie.
Le Premier ministre belge, Alexander de Croo, a déclaré en mars que la Russie payait également des députés européens d'Allemagne, de France, de Hongrie, de Pologne, de Belgique et des Pays-Bas. Le représentant allemand de l'AfD, Petr Bystron, a donc dû mettre fin à son travail électoral. A Paris, Marine Le Pen — qui avait reçu au moins un prêt d'une banque proche de Poutine en 2017 — a assuré qu'elle n'était pas concernée.
Moscou nie toute implication ou instigation, que ce soit dans l'affaire des «mains rouges» ou vis-à-vis des allégations belges. Cependant, l'ancien président russe Dmitri Medvedev, actuellement numéro deux de la sécurité nationale de son pays, avait déclaré ouvertement en février qu'il était important que Moscou soutienne les politiciens occidentaux favorables à la Russie — et ce, «de toutes les manières possibles, officielles ou secrètes».
Le chercheur français David Colon, auteur d'un livre sur la «guerre de l'information» en Europe, observe que le paiement de politiciens, tout comme les cyberattaques, les campagnes de désinformation ou la manipulation des influenceurs, fait partie des «armes hybrides» russes. La corruption des parlementaires permet un espionnage politique efficace, mais pas seulement: si ces «idiots utiles» sont démasqués, cela sape de manière générale la confiance dans les institutions démocratiques. C'est précisément ce que Poutine cherche à obtenir.
Traduit et adapté par Noëline Flippe