On le surnomme parfois X-Factor. Sans bouger de son canapé, Elon Musk est capable d'enterrer des cryptomonnaies, ébranler des chefs d'Etat, exciter des partis d'extrême droite ou faire (plus ou moins) élire Donald Trump.
Devant ses 220 millions d'abonnés, soit 24 fois la population de la Suisse, l'homme le plus riche (et le plus puissant?) de la planète dégaine son propre réseau social avec la même cruauté que Jules César levait ou baissait son pouce. Un seul tweet et c'est un pays tout entier qui se retrouve étourdi.
Un atout aussi paresseux que diabolique.
Le rachat de Twitter, en 2022, s’avère être un gouffre financier, mais l’important a toujours été ailleurs.
Avec son algorithme manipulable à souhait, l'absence d'intermédiaire, l'influence politique et cette puissance de frappe virtuelle quasi sans égal, la plateforme X est devenue l'arme de destruction massive d'un magnat de la tech qui dispose de sa chambre d'amis à la Maison-Blanche.
Ces dernières semaines, de nombreux journalistes et politiciens européens ont évoqué l'avalanche de publications du bras droit de Trump, sur X.
Or, s'il impose son flux à tous les utilisateurs (y compris ceux qui ne le suivent pas), le patron de SpaceX ne tweete pas. Du moins, pas comme Emmanuel Macron (en prenant la plume) ou l'influenceur politique classique (en alignant les threads à rallonge). Et la raison est simple: Elon Musk veut moins se faire entendre qu'influencer à la racine.
Et il dispose de trois techniques pour y parvenir:
Pour faire court, il va utiliser la réponse à un tweet pour susciter le débat, le simple partage pour booster l'audience d'un utilisateur, dont il partage l'opinion, et la republication enrichie pour orienter les foules.
Et s’il est effectivement en mesure de cumuler parfois près d'un millier de tweets par semaine, c'est précisément parce qu'il ne s'embarrasse pas d'en écrire le contenu.
Comme un agrégateur, Elon Musk braque la lumière sur ce qui l'intéresse et sait qu'il n'a pas besoin d'en faire des tonnes pour qu'un message atterrisse sous le nez de plusieurs millions d'internautes. C'est à la fois sa force et le principal danger: des commentateurs locaux, comme en Allemagne ou au Royaume-Uni, bénéficient ainsi d’une audience qu'ils n'auraient jamais atteinte sans le coup de pouce du patron.
Pour mieux comprendre ce mécanisme, on a décidé de scruter son activité sur X, sur une semaine définie, en ignorant ses réponses à d'autres tweets. Du 11 au 17 janvier 2025, juste avant l'investiture de Donald Trump et quelques jours après les premiers feux qui ravageront Los Angeles, on a posé nos yeux sur son compte à 220 millions d'abonnés.
Petite précision: étant dans l'impossibilité de connaître sa localisation exacte au moment des publications, watson a décidé d'utiliser le fuseau horaire du Texas (QG de Tesla), situé entre la Californie et Mar-a-Lago, en Floride.
Soit près de 50 par jour. Et une première surprise saute aux yeux. Alors que les Européens, Joe Biden, les progressistes ou encore les migrants pensent être l'obsession préférée d'Elon Musk, l'industriel sud-africain a une cible encore plus privilégiée: lui-même. Ainsi que les différents exploits de ses nombreuses sociétés.
Comme vous le verrez dans le graphique ci-dessous, on a décidé de diviser son activité sur X en six catégories, par souci de clarté.
Elon Musk adore se citer. Au minimum deux fois par jour, il va dépoussiérer une vieille séquence, dans laquelle il prononce une formule politico-philosophique qu'il juge pertinente et toujours d'actualité. Quand il ne fouille pas ses propres tiroirs, Musk va republier une caresse offerte par un internaute, histoire de prouver qu'il est soutenu.
— Elon Musk (@elonmusk) January 12, 2025
Concernant ses sociétés, l'activité du magnat de la tech est un internaute classique. Et c'est plus ou moins le seul domaine dans lequel il met en ligne des publications de son cru. Lorsqu'une fusée de SpaceX décolle, le patron va diffuser des vidéos en direct, expliquer la démarche, partager des photos. D'autant plus si la mission en question s'avère une réussite. Sans surprise, ce ne sont pas ses publications les plus successful.
Le reste? Ça dépendra toujours de l'actualité et de sa soif personnelle. Mais une fois qu'il a choisi une cible, il ne va plus la lâcher pendant plusieurs jours. Les incendies à Los Angeles sont un bel exemple d'acharnement politique. Contre le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, et le courant progressiste en général.
Accusant les démocrates d'être responsables des conséquences du drame, Elon Musk utilise la technique du fusil mitrailleur pour inonder son réseau d'insultes personnelles et de pressions en tout genre. Rien que le 12 janvier au soir, il va tirer neuf balles en moins de 35 minutes, visant principalement le gouverneur de Californie.
Ses tweets rageurs collectionnent parfois jusqu'à 100 millions d'impressions. Lorsqu'il traitera par exemple Gavin Newsom de «sous-homme», le 12 janvier, sa publication va bénéficier de 38 millions d'impressions, 180 000 likes, 30 000 partages et 8 000 commentaires. En d'autres termes: on a affaire à une expédition punitive visant à orienter l'opinion publique et, plus grave, à déclencher un harcèlement monstre en réaction.
Lorsqu'il a commencé à s'immiscer dans les débats politiques en Europe (52 tweets en une semaine), Elon Musk n'a pas changé de technique. Seulement, il s'adapte. Dans chaque pays, il s'appuie désormais sur des influenceurs ultraconservateurs, pour nourrir son argumentaire et ses croisades.
En Suède, par exemple, le patron de Tesla peut compter sur Peter Imanuelsen, aka PeterSweden sur X, un «journaliste, commentateur politique et supporter de la gentillesse et de la liberté», nous dit sa bio. En réalité, ce Peter est un puissant activiste d'extrême droite, partisan du «Make Sweden Great Again» et persuadé que la gauche suédoise se rend régulièrement coupable de fraudes électorales.
Audience: 852 000 abonnés. Idéal pour propager l'idée d'une déportation massive des étrangers en situation irrégulière et embarrasser les instances dirigeantes.
— Elon Musk (@elonmusk) January 13, 2025
Idem au Royaume-Uni et en Allemagne. Comme le disait notre collègue Antoine Menusier, «sur X, sa plateforme perso, ses attaques verbales contre le chef du gouvernement du Royaume-Uni ressemblent aux propos d’un procureur requérant sous un régime dictatorial».
En appelant à voter pour «nos» extrêmes droites, par de grosses rafales de tweets violents et décomplexés, Elon Musk n'a en réalité qu'une seule et même cible: l'Union européenne et la régulation des marchés économiques.
Il est donc plus simple et plus rapide pour lui de repérer les commentateurs d'extrême droite les plus influents et de se contenter de leur offrir leur quart d'heure de gloire.
S'il ne dégaine pas toujours des théories loufoques pour arriver à ses fins, Elon Musk utilise beaucoup d'actualités controversées et émotionnelles pour susciter la colère de sa plateforme. Jusqu'à déterrer de vieux fait-divers impliquant des étrangers.
The full truth is horrific https://t.co/Gsw0DYUG54
— Elon Musk (@elonmusk) January 16, 2025
Le meilleur exemple? Les gangs pédophiles pakistanais, dans les années 2000, qui embarrassent à nouveau le pouvoir britannique. Le 11 janvier, à l'aube et en rangs serrés, plus d'une dizaine de tweets agressifs contre le Parti travailliste britannique réveillera le Vieux Continent. L'algorithme et le fusil mitrailleur feront le reste. Cerise sur le gâteau, Elon Musk fait toujours bien gaffe de ne s'exprimer qu'aux heures européennes de bureau, quitte à veiller un peu plus tard que prévu.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, Elon Musk ne joue jamais (ou presque) au porte-parole de Donald Trump, contrairement aux nombreux commentateurs d'extrême droite américains. En une semaine, il s’est contenté de «remercier» le président pour «la confiance» dans le cadre du «département de l’efficacité gouvernementale» (Doge) et de partager une interview dans laquelle le gourou MAGA étrille le gouverneur de Californie.
Reste une question qui taraude beaucoup de monde: avec (au moins) quatre compagnies à gérer, ses 1001 enfants et sa présence omniprésente au côté de Donald Trump, Elon Musk trouve-t-il le temps de dormir? Si on en croit sa plateforme, c'est probable. Mais pas beaucoup. Toutes les nuits, le magnat de la tech semble s'offrir au minimum une parenthèse silencieuse de trois à quatre heures, durant laquelle il laisse X à la merci de ses utilisateurs.
De là à dire que c'est une bonne nouvelle...