Oseront-ils? Pour Gabriel Attal, nommé premier ministre, le site Mediapart a titré: «Il est gay, mais pas trop», lui reprochant à la fois son ascendance bourgeoise et son absence de militantisme LGBT. Diront-ils, à propos de Rachida Dati désormais ministre de la Culture: «Elle est arabe, mais pas trop», au motif qu’elle ne surjoue pas la diversité dont elle est issue? Probablement pas. Le feraient-ils qu’ils s’exposeraient à la riposte cinglante de Lady Punchline.
Rachida Dati est de retour. Pas n’importe où. Rue de Valois, dans l’un des plus beaux bâtiments du patrimoine, le Palais-Royal, face aux jardins du même nom, la Comédie française pour voisine. Peut-être l’adresse la plus prestigieuse de tous les ministères. Les titulaires du poste y font rarement la loi. L’institution, avec son poids des siècles, avec ses gilets jaunes permanents que sont les intermittents du spectacle, les intimide, les écrase. Rachida Dati tiendra-t-elle face à la pression?
Poser la question, c’est tendre la perche. Rachida Dati résiste aux plus grands coups de froid comme aux plus hautes températures. Elle a prévenu son monde vendredi matin lors de la passation de pouvoir: «Je suis déterminée à agir», mais aussi, cela va de soi, «à écouter».
Sa nomination à la Culture a fait l’effet d’une déflagration dans le sérail. S'intéresse-t-elle au théâtre, à la danse, au cinéma? Sous-entendu: y connaît-elle quelque chose? Personne ne s’attendait à cela. Chapeau l’artiste! Emmanuel Macron la voulait au gouvernement. Elle y a vu l’opportunité qui la mettra sur les rails pour la mairie de Paris en 2026, aux prochaines élections municipales. Tel est l'arrangement passé entre Rachida Dati et le chef de l'Etat.
En 2007, pour tous les Français, elle était ce petit bout de femme brune, porte-parole de Nicolas Sarkozy, vainqueur, cette année-là, de l’élection présidentielle. Contre toute attente, elle était nommée à la Justice, ministère régalien. La fille de M'Barek et de Fatima-Zohra, deux immigrés, lui marocain, elle algérienne, s’installait dans les ors et lambris de la place Vendôme. Un conte de fées républicain, chargé du passé colonial de la France et du souvenir encore chaud des émeutes de banlieues de 2005.
Elle fait immédiatement sensation. Non tant comme porte-flingue de Sarkozy, qui lui donne pour mission de réduire drastiquement le nombre de tribunaux, que resplendissante en robes et bijoux dans Paris Match. Elle est tout simplement radieuse en Jackie Kennedy des Français. Elle épuise nombre de collaborateurs, grands commis de l’Etat qui jettent l’éponge face à la rudesse de son inexpérience, face à l’aura de son aplomb. Elle reste deux ans à la Justice, puis est élue au Parlement européen. Sa carrière politique est lancée. Le mythe Dati prend forme.
En 2007, Rachida Dati n’était pas une jeunette. Elle avait 42 ans. On n’aurait pas dit. Elle avait rang de magistrate. Le conte de fées républicain avait commencé bien plus tôt. Un conte qui a tout à voir avec la volonté, le culot et l’ambition. Deuxième d’une fratrie de onze, sept filles et quatre garçons, elle grandit dans une cité de Chalon-sur-Saône. Elle passe sa scolarité chez les bonnes sœurs, le choix de beaucoup de parents immigrés voulant le mieux pour leurs enfants. Elle obtient son baccalauréat en 1983. Entame des études de médecine. Les arrête. Enchaîne avec des études en sciences-économiques. Travaille à côté. Puis vient la rencontre qui va tout changer. Le moment charnière dans sa vie.
Fin des années 1980, elle se glisse dans une réception à l’ambassade d’Algérie. Y fait la connaissance d’Albin Chalandon, alors ministre de la Justice, qui sera son parrain. Simone Veil, la grande Simone Veil, sera pour elle sa marraine. Elle est admise à l’Ecole nationale de la magistrature sur dossier. En sort diplômée deux ans plus tard, en 1999. «Elle prête serment dans la robe de magistrate de Simone Veil», rappelle Morad Aït-Habbouche, joint par watson. Ce producteur et réalisateur de documentaires, ancien grand reporter à France télévisions, est un ami de trente ans de Rachida Dati.
En 2004 Morad Aït-Habbouche et Rachida Dati fondent le Club 21e Siècle, où se retrouve la diversité qui a réussi. Un «pied de nez» au Siècle, le club fondé après la Seconde Guerre mondiale, où règne l’entre-soi.
Personnage paradoxal: celle qui a fait sa carrière politique à droite, à l’UMP puis chez Les Républicains, dont elle vient d’être exclue suite à son entrée dans le gouvernement Attal, a des «valeurs de gauche», relève Morad Aït-Habbouche en parlant de Rachida Dati, fille de maçon. C’est la droite, autre paradoxe, qui, en France, fera, avant la gauche, une place à la diversité. Nicolas Sarkozy le premier.
Avec Rachida Dati, le glam est la politesse du drame, si l’on considère que la condition de fille d’immigrés maghrébins prolétaires est plus proche de la dramatique que de la comédie. Elle est drôle, déterminée, intraitable. Elle détonne dans le personnel politique. Elle est peut-être bling-bling, à l'image du sarkozysme arborant Rolex à Roland-Garros, les Français trouvent un cran fou à cette femme partie de rien. En 2008, elle se fait élire au Conseil de Paris, dans l’opposition. Devient maire du très chic 7e arrondissement, envoie promener François Fillon qui a des prétentions sur le secteur. Elle s’impose chez les bourgeois, les intellos comme les cathos – restée musulmane, elle se rend à la messe du dimanche.
En 2009, une biographie à charge, «Belle-Amie», clin d’œil à «Bel-Ami» de Maupassant, la présente comme une intrigante, une séductrice, une prête à tout pour réussir, pour qui l'amitié ne vaut pas plus qu'un marchepied. C’est l’époque où la presse lui compte «huit» amants, parmi eux un procureur général qatari, qui démentira «formellement» être le père de sa fille, Fatima-Zohra, prénommée ainsi en hommage à sa mère, décédée en 2001, à laquelle «elle voue une reconnaissance éternelle», confie Morad Aït-Habbouche.
Ce dernier défend la réputation de sa camarade. Il s’inscrit en faux contre «Belle-Amie», où «rien de ce qui est dit ne repose sur des faits vérifiés», assure-t-il.
Ces dernières années, Rachida la «sarkozyste» – l’ancien président ne serait pas pour rien dans la surprise Dati de l’équipe Attal – s’est signalée au public par son démontage en règle de la maire de Paris, Anne Hidalgo. Lady Punchline n’a pas manqué une occasion d’attaquer son adversaire lors des séances du Conseil de Paris. On n'oublie pas ses «Ooooh chouchoute» et «Faut arrêter le crack», marmonnés suffisamment fort dans le micro pour que tout le monde entende:
Rachida Dati à Anne Hidalgo : « Oooh chouchoute ! » Le sens de la formule 😄
— Ian Levant (@ian_levant) January 11, 2024
pic.twitter.com/5fugm62JXP
Rachida Dati a brillé de mille feux dans l’opposition parisienne. Saura-t-elle convaincre des milieux culturels plus austères, farouchement de gauche, résolument féministes, des plus circonspects à l’annonce de sa nomination à la rue de Valois? «Oui», veut croire Morad Aït-Habbouche.
Les voyants étaient à gauche lors de la passation de pouvoir. Soulignant l’importance de la transmission des œuvres pour lutter contre «la radicalisation, le séparatisme et le communautarisme», Rachida Dati, visiblement émue, s’est mise dans les pas de celle qu’elle remplace, Rima Abdul-Malak, d’origine libanaise.
Rendant hommage à la culture française, «je sais ce que je lui dois », elle a multiplié les appels du pied aux féministes, remontées contre le président de la République après sa défense de Gérard Depardieu: «Nous avons cela en commun, une liberté de penser, notamment pour les femmes, une liberté de parler, notamment pour les femmes, une liberté de créer, notamment pour les femmes, et une liberté de diffuser, notamment pour les femmes».
Même Alice Coffin, une militante féministe réputée ultra, élue écologiste au Conseil de Paris, soutient la nomination de Rachida Dati au ministère de la Culture, car elle «n’a pas peur des hommes».
Aux fonctions qui sont maintenant les siennes, Rachida Dati sera certainement moins «Queen de Paris», moins flamboyante chipie qu’elle ne l’était jusqu’à présent. Avec la macronie, le compteur des vacheries est effacé. Oublié, les «traîtres» s’adressant aux membres d’En Marche, le premier mouvement macroniste, enterré, le «baiser de la mort» qu’était dans sa bouche tout rapprochement avec celui-ci.
Pour susciter l’adhésion, il faut revenir aux fondamentaux : la proximité, les actes, la clarté, la cohérence. Tous ceux qui ont fait des alliances opportunistes avec LREM ont perdu. L’alliance avec En Marche, c’est le baiser de la mort. @OuestFrance https://t.co/TDqXb5gXbB
— Rachida Dati ن (@datirachida) August 28, 2020
Plane sur sa tête un possible renvoi en procès après sa mise en examen pour corruption passive pour le compte du constructeur automobile Renault dans le cadre de son ancien mandat de députée européenne. Une chose est sûre, avec Rachida Dati, on ne va pas s’ennuyer. C’est bien ce qu’Emmanuel Macron voulait, non?