Pendant des années, Antonio Luis B. a battu et maltraité sa femme. Elle a porté plainte à plusieurs reprises et s'est déjà séparée de lui. Un tribunal a condamné cet Espagnol de 56 ans, originaire de Séville, à 15 mois de prison pour des violences répétées liées au genre.
Lundi dernier, Antonio Luis B. aurait dû commencer à purger sa peine. Mais son incarcération a de nouveau dû être reportée et suspendue. La raison: aux yeux de la loi, Antonio Luis B. n'est plus un un homme qui frappe, mais une femme trans qui frappe. En effet, quelques semaines seulement avant son incarcération, il s'est fait inscrire comme femme dans le registre d'état civil. Il ne s'agit donc plus d'un cas de violence sexospécifique.
Antonio Luis B. est loin d'être le seul à avoir évité son incarcération en Espagne en changeant de genre ni à chercher à obtenir un nouveau procès. Le week-end dernier, un agent de la police régionale basque, déjà suspendu de ses fonctions, qui avait menacé sa femme avec un couteau dans la ville côtière de Saint-Sébastien, au nord de l'Espagne, a également pu éviter son incarcération en utilisant la même procédure.
A Madrid et à Majorque, le ministère public enquête actuellement sur sept cas de «fraude à la loi», car les hommes qui battaient et maltraitaient leur partenaire ont fait changer leur genre et ne peuvent donc plus être condamnés dans un contexte de violence sexiste. Le juge Alvaro Bellas du tribunal pénal de Carthagène explique en effet:
Ces cas suscitent actuellement un tollé dans tout le pays. Les associations de femmes sont inquiètes. Gregorio Gómez Mata, président de l'association espagnole contre la violence domestique ALMA, dénonce:
Les crimes spécifiques au genre sont, depuis des années, examinés en Espagne par des tribunaux spécialisés qui agissent plus rapidement et de manière plus ciblée afin d'améliorer la protection et l'assistance aux femmes. Le problème? La modification de l'identité de genre, qui empêche cette protection, est totalement légale.
La précédente coalition de gauche a adopté, fin 2022, l'une des lois sur les transgenres les plus progressistes au monde, rendant le changement officiel de genre un processus simple et sans formalités administratives complexes. En Espagne, les jeunes de 16 ans peuvent ainsi changer de genre sans l'autorisation de leurs parents ni avis médical ou psychologique. Il suffit de faire deux déclarations officielles, espacées de trois mois, pour modifier leur genre.
Depuis des années, l'Espagne est en réalité célébrée pour sa politique féministe exemplaire, du congé menstruel à la loi «Seul le oui signifie oui». La plupart des initiatives, comme la loi sur les personnes transgenres, ont été lancées par le parti de gauche Podemos, qui dirigeait encore, jusqu'à fin 2023, le ministère de l'égalité dans la coalition gouvernementale de l'époque avec les socialistes du premier ministre Pedro Sanchez, toujours au pouvoir.
Mais les réformes législatives de Podemos, qui ne font pas toujours l'unanimité, donnent aussi des maux de tête à la justice espagnole. Il est déjà arrivé que la réforme du droit pénal sexuel de Podemos, non moins controversée, ait même entraîné la fin de la coalition gouvernementale entre les socialistes et Podemos.
La ministre de l'Egalité de Podemos, Irene Montero, a introduit, en 2022, la loi dite «Seul un oui est un oui», malgré les réserves des socialistes. Selon cette loi, un acte sexuel n'est pas considéré comme un viol uniquement si la femme y consent explicitement. Rappelons que les victimes de viol restent souvent immobiles ou silencieuses par peur ou parce qu’elles sont sous le choc.
Irene Montero a salué cette loi comme la fin de la «culture du viol» en Espagne. Paradoxalement, elle a entraîné une réduction massive des peines pour les délinquants sexuels, car la réforme du Code pénal a également réduit certaines peines minimales. Des centaines de violeurs ont même été libérés plus tôt que prévu. Le tollé dans les médias et la société a été immense.
La ministre de l'Egalité a rejeté la faute sur la justice, accusant les procureurs et les juges de «machisme» et d'une «application erronée» de la «bonne loi» en soi. Finalement, le chef du gouvernement Pedro Sanchez a tiré sur la corde au printemps 2023 et a décidé, avec l'opposition conservatrice et contre son propre partenaire de coalition, de réformer la loi Podemos. La rupture entre les deux partis était ainsi scellée. Aujourd'hui, les socialistes de Sanchez gouvernent avec la gauche de Sumar.
Traduit et adapté par Noëline Flippe