«Un cirque»: extrême tension à l'audition du premier ministre espagnol
Paroles coupées, invectives et ton agressif: la comparution devant une commission d'enquête sénatoriale du premier ministre espagnol Pedro Sánchez sur un scandale de corruption s'est ouverte jeudi dans une extrême tension.
«C'est un cirque», «Premier rappel à l'ordre, M. le premier ministre», «Un peu de respect», «Vous ne répondez à aucune question»: l'audition de Pedro Sánchez a commencé sur les chapeaux de roues dès 9h00 avec les questions incisives de la sénatrice María Mar Caballero (UPN, droite).
«Jusqu'à quand allez-vous prétendre que vous ne saviez rien de tout ce que faisaient tous ceux qui vous entouraient? Vous avez nommé Ábalos, fait confiance à Koldo, nommé Cerdán, proposé un procureur général qui est aujourd'hui sur le banc des accusés. Vous avez votre frère, votre femme mis en examen», a énuméré la sénatrice, citant les différentes affaires touchant l'entourage du Premier ministre socialiste.
Polarisation de la classe politique
En face, sans se départir de son calme et de son sourire, allant parfois jusqu'à exploser de rire pour dénoncer des questions qu'il juge absurdes, Pedro Sánchez, qui s'est fait très souvent couper la parole, a éludé la plupart des interrogations et dénoncé «un cirque».
«Ce n'est pas une commission de diffamation comme vous dites», l'a repris le président de la Commission parlementaire, Eloy Suárez (PP, droite), qui l'a appelé à faire preuve de «respect». L'audition, qui doit durer plusieurs heures, est régulièrement interrompue par les bruits émanant de la salle, et des sénateurs qui tapent de la main sur leur pupitre.
Elle concentre toute la polarisation de la classe politique espagnole, avec d'un côté le parti à l'origine de cette commission, le PP, majoritaire à la chambre haute, qui compte prouver que le premier ministre était au courant des malversations au sein de son parti, et le gouvernement de gauche dirigé par Sánchez, arrivé au pouvoir à la faveur d'un scandale de corruption ayant éclaboussé le PP en 2018.
Plusieurs millions de commissions illégales
L'affaire sur laquelle se penche la commission est connue sous le nom d'«affaire Koldo», du nom de Koldo García Izaguirre, l'assistant d'un ancien ministre des Transports et ex-bras droit de Sánchez, José Luis Ábalos.
Ce scandale a éclaté au grand jour en février 2024 avec l'arrestation de Koldo García Izaguirre, soupçonné d'être au coeur d'une énorme escroquerie ayant permis à une petite société d'obtenir pendant la pandémie de Covid-19 des contrats d'un montant de 53 millions d'euros pour fournir des masques à diverses administrations. Ces contrats avaient dégagé des commissions illégales de plusieurs millions d'euros.
La justice est vite remontée jusqu'à José Luis Ábalos, le juge chargé de l'enquête considérant qu'il avait joué un rôle d'«intermédiaire» dans la combine. Outre son poste de ministre, Ábalos était surtout secrétaire à l'Organisation du Parti socialiste, poste clé qui en faisait l'homme de confiance de Sánchez.
Il a été expulsé du Parti socialiste, mais l'affaire n'a fait ensuite que s'aggraver pour le premier ministre. Car le successeur d'Ábalos comme secrétaire à l'Organisation du Parti socialiste, Santos Cerdán, a à son tour été mis en cause en juin dernier, après la publication d'un rapport de police selon lequel il était au coeur du réseau de corruption et avait touché des pots-de-vin en échange de contrats publics.
Il a été placé en détention provisoire en juillet. Face à ce séisme, Pedro Sánchez a demandé pardon à plusieurs reprises aux Espagnols, assurant qu'il ignorait tout de l'affaire et que le Parti socialiste, dont il est secrétaire général depuis 2017, n'avait jamais bénéficié de financements illégaux.
Outre cette tentaculaire affaire Koldo, Sánchez est englué dans d'autres affaires judiciaires qui le touchent de près: son épouse, Begoña Gómez, devrait être jugée pour une affaire de corruption et trafic d'influence, son frère David le sera également pour trafic d'influence et le procureur général de l'État, Álvaro García Ortiz, qu'il a nommé, sera jugé à partir de lundi pour violation du secret judiciaire. (jzs/ats)
