Eurovision sous tension: «cette situation est inédite»
Jeudi 4 décembre, après l'annonce du maintien d'Israël au sein du concours, l'Espagne, l'Irlande, les Pays-Bas et la Slovénie ont déclaré boycotter l'Eurovision 2026 qui se déroulera à Vienne. Comment s'est déroulé le vote? Quelles sont les modifications apportées au concours l'année prochaine et quelles seront les conséquences de ces boycotts sur la pérennité du concours? L'analyse d'Oranie Abbes, enseignante-chercheuse, spécialiste de l'Eurovision.
Oranie Abbes, nous allons tout d'abord clarifier une information importante, le 4 décembre dernier, les membres l'Union européenne de radio-télévision (UER) se sont retrouvés en assemblée annuelle pour voter sur les nouvelles règles de vote qui seront appliquées à l'Eurovision 2026. Les membres n'ont pas voté directement pour l'exclusion d'Israël, c'est bien cela?
Exactement. Ce vote devait se passer en deux temps. Tout d'abord l'UER proposait une refonte du cadre de vote durant le concours. Ce qui a été proposé aux membres, c'est de voter pour la mise en application des nouvelles règles, comme la réduction du nombre de votes par carte bancaire ou carte sim, de surveiller le financement des publicités pour un candidat en particulier ou d'acter le retour des jurys professionnels en demi-finales. Selon l'UER, c'était un vote sur le renforcement de la neutralité. Si la majorité des membres acceptaient ces propositions, il ne serait pas nécessaire de voter pour le maintien ou l'exclusion d'un pays en particulier.
On peut dire que c'est une manière subtile pour ne pas aborder le sujet qui fâche, n'est-ce pas?
Je ne le pense pas. Ce que je vois, c'est une volonté de la part de l'EUR de temporiser. Certains médias m'ont demandé si ce n'était pas une sorte de manigance pour empêcher les membres de s'exprimer sur la participation d'Israël, ce n'est pas le cas, car tous les membres savaient qu'il fallait refuser le premier vote pour donner son avis par la suite. Je pense que les membres ont voté en toute connaissance de cause et les nouvelles règles vont s'appliquer l'année prochaine.
D'ailleurs, on ne peut nier que ces nouvelles règles proposées par l'UER sont les conséquences directes des rumeurs d'ingérence du gouvernement israélien dans les votes du public, n'est-ce pas ?
Oui. Durant le concours, il y a eu effectivement des rumeurs de manipulation des votes par Israël. Martin Green, le nouveau directeur du concours, a même déclaré qu'il y avait eu une utilisation politique de l'Eurovision par Israël qui fait appel activement aux votes de la diaspora; cela a été considéré par certains comme de la propagande.
Encore une fois, il n'y avait pas de clauses ni de règles spécifiques qui encadraient ce type de promotion, le nouveau cadre de vote est censé y remédier.
Les nouvelles règles sont donc validées par l'assemblée générale, mais le sujet qui fâche, soit la participation d'Israël au concours 2026 a quand même provoqué le boycott de quatre pays qui n'enverront pas d'artistes à l'Eurovision, dont l'Espagne, membre des «big five» soit un grand contributeur du concours, quelles seront les conséquences de son départ?
Il est certain que perdre un contributeur, c'est déstabilisant. Toutefois, je souhaite rappeler que l'Espagne est le plus petit des quatre contributeurs.
Roland Weissmann, le directeur de la chaîne autrichienne ORF qui diffusera le concours en 2026 a dit que les boycotts n'impacteraient pas l'événement. Maintenant, que va-t-il advenir des éditions 2027 ou 2028? Si le boycott de l'Espagne est prolongé, l'UER devra probablement chercher un nouveau pays pour compléter ses grands contributeurs. L'organisation pourra peut-être demander à la Suède dont la savoir-faire technique contribue déjà au succès du concours.
Est-ce que les pays qui boycottent le concours ne le diffuseront pas non plus sur leur chaîne publique? Si oui, quel sera l'impact en matière d'audience?
Sur les quatre pays qui ont annoncé boycotter le concours 2026, seuls les Pays-Bas ont annoncé la diffusion de l'Eurovision 2026, les autres, on ne sait pas encore. La grande question est de savoir si le concours sera regardé.
On ne sait pas quelle est la proportion du public qui adhère au discours politique et qui ne regardera pas le concours.
Et qu'en est-il de la couverture médiatique de l'événement?
Peut-être que l'Espagne et les autres pays feront une couverture sporadique de l'Eurovision. A mon avis, ils n'enverront pas le même nombre de journalistes que les années précédentes: ils feront le strict minimum. J'ai discuté avec des bloguers espagnols qui se rendent chaque année à l'Eurovision, certains m'ont dit qu'ils boycotteraient la prochaine édition par solidarité avec les Palestiniens.
L'Espagne est accompagnée dans son boycott par l'Irlande, la Slovénie, mais surtout les Pays-Bas. Les Néerlandais ont une affection pour le concours et forment un public fidèle, leur non-participation est une mauvaise nouvelle pour l'UER?
On peut dire que l'impact de l'Espagne est financier et celui des Pays-Bas est plutôt sentimental, je m'explique: les Néerlandais ont déjà organisé le concours de l'Eurovision plusieurs fois et ont eu des postes à responsabilités au sein de l'UER, leur refus de participer à l'édition 2026 doit chagriner les organisateurs. Pour l'instant l'UER semble maîtriser son sujet, si je peux me permettre, quatre défections, dont un des «big five» c'est «gérable».
Les pays membres ont encore jusqu'au 15 décembre pour confirmer leur participation au concours 2026, pour l'instant, seule l'Islande pourrait annoncer à son tour le boycott de l'événement.
Vous avez évoqué la recherche d'un nouveau pays qui pourrait entrer dans le «big five» de l'Eurovision, est-ce qu'Israël pourrait faire son apparition en tant que grand contributeur désormais?
Je ne pense pas que ce sera le cas. Peut-être qu'Israël le voudrait, mais l'UER probablement pas, cela serait interprété comme une véritable provocation. Ils ne vont pas mettre en avant le pays qui a provoqué la perte d'un partenaire historique du concours.
