Les espions allemands sont-ils des pives? Selon un document que le Spiegel a pu consulter, il semblerait que la réputation du Service fédéral du renseignement (BND) soit bien écornée depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
Des remous qui fragilisent l'agence, surtout depuis une annonce qui a fait grand bruit outre-Rhin: un espion allemand aurait été agent double pour servir les intérêts de la Russie. Et le rapport de la commission des services secrets du Bundestag a «examiné de manière approfondie les processus de travail, les effectifs, les normes de qualité et le cadre juridique des contrôles de sécurité dans les services de renseignement fédéraux», selon le rapport que le média allemand s'est procuré.
Mais revenons au cas de la taupe. Un scandale retentissant qui a éclaboussé le BND le 10 mars dernier, lorsque le Spiegel a publié une enquête explosive concernant un haut placé du BND, Carsten L., responsable de la sécurité et chargé d'étudier la fiabilité des collaborateurs. Cocasse. La taupe de Moscou, portée sur la bière et adepte des mouvances d'extrême droite, est à présent une belle épine dans le pied des dirigeants allemands, sachant que l'espion aurait divulgué des informations classées «top secret».
Depuis décembre dernier, Carsten L. a été écroué. Le procureur fédéral Peter Frank accuse le collaborateur d'avoir remis de nombreux documents internes du BND au service secret intérieur russe (FSB) par l'intermédiaire d'une autre personne.
Plus inquiétant, selon l'enquête, cette poignée d'informations a été presque volée sans effort; le fautif a réussi à sortir des documents sensibles de son lieu de travail et à prendre des photos de documents internes avec son téléphone portable.
Une affaire qui fait écho à un autre cas, celui de Markus R., un employé des archives, qui avait transmis des centaines de documents confidentiels à la CIA. C'est en 2014, en proposant ses services aux Russes, que Markus R. a été démasqué.
Dans un contexte européen et mondial aussi délicat qu'à présent, la colère est montée d'un cran en Allemagne. Surtout que les services secrets du pays ne sont pas à leur première bourde.
En 2020, un ex-traducteur germano-afghan de l’armée allemande et son épouse sont soupçonnés d’avoir espionné au profit de l’Iran. Lors d'une autre opération, l'évacuation critique des ressortissants allemands à Kaboul, alors que les talibans venaient de renverser l'ordre établi, a failli tourner au vinaigre. Les analystes suivaient de près l'évolution de la situation, mais ont manqué d'anticipation avant d'exfiltrer les Allemands d'une zone très inflammable, selon Tagesschau.
Une foule de bévues. Mais le plus gros raté revient à cette bourde sur l'analyse des mouvements tactiques russes pour envahir l'Ukraine. C'est seulement le 23 février 2022, la veille de l'invasion, que le vice-chancelier, Robert Habeck, a découvert les plans de Poutine, par le biais d'un document des services de renseignement américains.
Une situation embarrassante pour le BND qui aurait dû avoir une longueur d'avance. En effet, les services secrets allemands sont réputés pour leurs liens très étroits avec Moscou. Depuis, les espions allemands ont tenté de se rattraper en interceptant des informations clés, des échanges de radio russe confirmant des horreurs faites aux civils, pour les transmettre à ses alliés.
Mais le chemin de la rédemption sera long. L'image de l'organe gouvernemental est ternie par de multiples casseroles. En 2015, les révélations d'Edward Snowden montraient que le BND était utilisé par l'agence de sécurité nationale américaine (NSA) pour garder un œil sur les manœuvres de l'Europe. De hauts fonctionnaires français et de la Commission européenne avaient été surveillés par le BND pour le compte de la NSA.
Si les espions ont été épinglés dans la presse internationale, présentés comme des pieds nickelés de la branche, Bruno Kahl, directeur du service de renseignement depuis 2016, est censé gouverner la maison avec un objectif clair: «Un BND fiable et réactif, qui s'inscrit dans la durée.»
Force est de constater que les vents sont contraires. Sous pression, Kahl est égratigné dans la presse allemande et le monde politique. Une vaste réforme a été mise en place. Des enquêtes internes sont en cours et doivent repérer (rapidement) si un agent entreprend des voyages suspects à l'étranger ou d'autres indices d'éventuelles activités d'espionnage.
Il faut dire que les soucis entre les politiques et les espions ne sont pas nouveaux. A l'intérieur du pays, les relations ne sont pas des plus saines. Aucun pays démocratique n'a un rapport aussi compliqué avec ses espions, selon Radio France. Il a fallu expier les crimes des services de renseignement nazis et réparer les abus de la Stasi après la réunification, renseigne la radio française, dans un épisode intitulé Les espions qui n'aimaient pas espionner: l'Allemagne.
Aujourd'hui, et plus encore depuis le déclenchement du conflit russo-ukrainien, l'équilibre demeure brinquebalant et les cellules de renseignements allemandes n'ont jamais été autant la risée mondiale de l'espionnage. Désormais, il faut limiter les dégâts pour les équipes du BND.