Cela fait près de trente ans que personne n'a été reconnu coupable d'un tel chef d'inculptation: sédition. Un terme hérité de la guerre de Sécession pour réprimer les derniers rebelles sudistes, et qui implique d'avoir «planifié l'usage de la force pour s'opposer au gouvernement».
S'opposer au gouvernement, c'est justement la spécialité des Oath Keepers («Gardiens du Serment»), fondés par Rhodes en 2009. Un mouvement d'extrême droite pur jus dont les partisans sont convaincus que l'Etat américain veut priver les citoyens de leurs droits.
Elmer Stewart Rhodes III, de son nom complet, est né en 1966, en Californie, dans une famille modeste de chrétiens conservateurs. Il passe ses premiers étés à cueillir des fruits et des légumes dans les champs, aux côtés de ses grands-parents, ouvriers agricoles immigrés du Mexique, des gens «bien assimilés», selon ses mots.
Un accident de parachute et une fracture à la colonne vertébrale coupent court à ses espoirs de carrière militaire. Libéré de ses obligations de servir, Rhodes gagne sa vie comme instructeur d'armes à feu et valet à Las Vegas. C'est là qu'il rencontre sa future épouse, Tasha Adams, au début des années 90.
Le couple commence à peine à se fréquenter sérieusement lorsque Rhodes lâche son arme et se tire involontairement une balle dans la tête. La perte de son oeil gauche lui ouvre les yeux: à 28 ans, Rhodes reprend ses études, après avoir sommé son épouse d'abandonner son poste de professeur de danse de salon et de country, pour devenir strip-teaseuse à plein temps.
Après un premier diplôme de droit à l'université du Nevada et quelques intermittences en tant qu'artiste et sculpteur, Stewart Rhodes, rasé de près et doté d'une prothèse oculaire (mais pas encore de son cache-oeil légendaire), fait une entrée remarquée à la faculté de droit de l'université de Yale.
Son profil a de quoi détonner au sein des 200 étudiants de la volée 2001: père de famille marié, passionné d'armes à feu et aux opinions politiques déjà bien arrêtées dans un bastion académique libéral. Les attentats du 11 septembre aiguisent définitivement l'idéologie, la paranoïa et la sensibilité anti-gouvernementales de ce libertarien convaincu.
En 2004, l'avocat fraîchement diplômé met fin à la parenthèse enchantée et familiale dans le Connecticut. Les naissances et les déménagements dans plusieurs Etats de l'ouest américain se succèdent. Aucun de ses six enfants ne recevra d'éducation dans une école formelle - ni même de certificat de naissance.
Rhodes est un blogueur libertarien peu connu lorsqu'il lance les Oath Keepers en avril 2009, lors d'une session d'écriture nocturne frénétique sur fond de heavy metal - qui laissera ses enfants à moitié traumatisés, d'après leur témoignage sur la BBC.
Son objectif? Rassembler tous azimuts vétérans militaires, policiers et autres premiers intervenants à honorer cette promesse de défendre la Constitution contre les ennemis et pour «lutter contre la tyrannie gouvernementale».
En guise de texte fondateur, une liste d'ordres auxquels les membres promettent de ne pas obéir: désarmer les citoyens ou encore effectuer des perquisitions sans mandat.
Lecteur vorace et orateur charismatique, Rhodes sait capter les foules - et surtout, comment donner à sa milice, qu'il présente comme «un groupe pro-Constitution composé de patriotes», des airs de respectabilité.
Sur le site web des Oath Keepers, qui mélange forums de discussion, écrits de l'idéologue fondateur et inscriptions à des formations militaristes, comptez une cotisation annuelle de 30$ - puis de 50$, à mesure que les dépenses de la milice et le nombre d'adhérents augmentent.
La famille Rhodes peine à suivre la cadence. Tandis que Stewart régale femme et enfants d'histoires de repas raffinés pris sur la route et de récits d'entraînements avec sa milice, il astreint les siens à un régime militaire. Au menu: repas à base de flocons d'avoine et de tranches de fruits secs, pressions psychologiques, brimades et menaces.
Au début des années 2010, les Rhodes emménagent dans une cabane au fond du Montana, au sein d'une communauté isolée qui partage les idéaux libertaires et fantasques du fondateur de la milice.
Le fils aîné de la fratrie, Dakota, est sommé de passer son été à creuser des tunnels d'évacuation sur la propriété. Une préparation à ce que son père croit être «un assaut inévitable du gouvernement contre l'enceinte familiale».
En février 2018, au terme d'une fuite rocambolesque, Tasha se résout à embarquer le reste de la troupe et quelques affaires dans le coffre de la voiture. Quatre ans plus tard, sa demande de divorce ne lui a toujours pas été accordée.
Pour ce qui est du fils prodigue, Dakota, il s'est porté volontaire pour la section locale du Parti démocrate. En 2020, il se joint à une manifestation de soutien au mouvement Black Lives Matter à Kalispell. Bousculé par un milicien de son père dans le camp adverse, il raconte:
La milice de Stewart Rhodes draine de plus en plus de membres et passe de la parole à l'action: Oath Keepers se joint à d'autres militants antigouvernementaux pour des confrontations armées avec les forces de l'ordre.
A cette époque, un certain Donald Trump prend son envol sur la scène politique nationale. Le mouvement patriote croit trouver, pour la première fois, un allié à la Maison Blanche. La rhétorique du groupe commence à changer.
Rhodes et ses Oath Keepers se muent soudain en protecteurs imaginaires de Trump. Avec, pour nouveaux ennemis communs: démocrates, immigrants sans papiers, musulmans, antifa, militants Black Lives Matter, groupes antifascistes.
Le 7 novembre 2020, Joe Biden remporte l'élection présidentielle. Réaction immédiate de Rhodes sur le groupe de discussion Stone:
Mise en place d'équipes de «force de réaction rapide», de stocks d'armes et amplification de la thèse d'une élection volée.
Les semaines suivantes, le chef des Oath Keepers réunit ses partisans et les presse à se préparer à une «rébellion armée».
On connait la suite. Le 6 janvier 2021, un curieux mélange des genres - Oath Keepers, Proud Boys, Three Percenters ou encore partisans de QAnon, ainsi que des centaines d'individus apparemment sans lien avec aucune organisation - se rassemblent devant le Capitole. Rhodes n'est jamais entré à l'intérieur.
Au terme de huit semaines de procès, le plus important depuis l'émeute du Capitole du 6 janvier, Stewart Rhodes et un compère ont été reconnus coupables d'avoir organisé un complot armé pour empêcher le Congrès de ratifier la victoire électorale de Joe Biden par la force. Ils seront fixés sur leur peine en 2023.
Leurs avocats ont défendu que la milice s'était rendue à Washington uniquement pour assurer la sécurité de personnalités de droite lors d'événements, avant l'émeute. Selon eux, il n'y aurait jamais eu de plan pour attaquer le Capitole.
Défense balayée par les procureurs lors de ce procès historique. Le 6 janvier 2021 ne relève pas simplement de la manifestation pacifique devenue incontrôlable:
Le procès du 6 janvier porte un coup aux Oath Keepers. Ce qui ne signifie pas que les idées de Stewart Rhodes se sont estompées.
«Il a proposé un plan qui sera utilisé à l'avenir par des personnes que nous ne connaissons même pas», affirme Jason Van Tatenhove, ancien porte-parole de Oath Keepers, qui a quitté la milice en 2017, à AP News. «Je pense qu'il est très important pour nous d'être attentifs.»