Si l'on devait formuler une certitude au sujet de George Santos, c'est qu'on n'en a aucune. On peut seulement affirmer que le New-Yorkais de 34 ans est le premier conservateur ouvertement gay à intégrer la Chambre des représentants, sans avoir occupé de poste électif au préalable.
Pour le reste, rien n'est moins sûr.
Depuis que le New York Times a démontré, en décembre dernier, que ce républicain fraîchement élu a «recomposé» une bonne partie de sa biographie, George Santos se trouve au cœur de l'un des scandales politiques les plus bizarres de l'histoire des Etats-Unis. Chaque jour draine son lot de révélations.
Derniers scoops en date: une interview accordée à un podcast brésilien pour clamer avoir été victime de tentatives d'assassinat et d'enlèvement, déterrée ce mardi par une journaliste de la chaîne MSNBC, et, un peu plus tôt, ses participations à des concours de drag queen, révélées ce week-end par CNN. Un poil gênant, peut-être, pour cette figure de la droite dure du parti républicain, ouvertement hostile aux droits des personnes transgenres.
Au-delà du goût mal-assumé de George Santos pour le rouge à lèvres et les boas en plumes, les mensonges de l'élu new-yorkais sèment sidération, moquerie et zizanie au sein Capitole, pourtant familier des fabulations politiques de tous bords.
Son récit a tout du conte de fées à la sauce américaine. Fils d'une survivante du 11-Septembre, petit-fils d'immigrés juifs brésiliens rescapés de l'Holocauste, George Santos s'affiche en gendre idéal, avec son look preppy de premier de classe et sa liste de diplômes prestigieux. Après les bancs d'Horace Mann, école d'élite new-yorkaise, il aurait squatté ceux de l'université de New York, où il a incarné les espoirs de l'équipe de volley-ball.
Sur le CV initialement publié sur son site de campagne (dorénavant accessible dans les seules archives obscures du web), George se serait finalement catapulté au sommet en tant que «financier et investisseur chevronné», au sein des principales sociétés de Wall Street, dont Citigroup et Goldman Sachs.
Accessoirement, Gorge Santos se pose en «investisseur immobilier prospère», dont le portefeuille immobilier familial compte quelque treize propriétés, ainsi qu'en fondateur d'une association caritative de protection des animaux. Ajoutez à cela un mari, brillant économiste, quatre chiens et une position ouvertement pro-LGBTIQ+: vous obtenez le CV parfait pour rafler un siège au Congrès des Etats-unis.
Dans les faits, tout est faux.
L'enquête du New York Times est très vite suivie de nombreuses autres, par le ghotta de la presse américaine, de Daily Beast à Politico.
George Santos n’a jamais joué au volley, fait d'études ou négocié d'actions à Wall Street.
De lui, nulle trace dans les registres des écoles, universités ou sociétés bancaires.
Ses grands-parents sont de bons catholiques qui vivaient paisiblement au Brésil au moment de la Seconde Guerre mondiale. Sa mère ne se trouvait même pas sur le sol américain le jour des attentats du World Trace Center.
La seule présence de George Santos dans les archives judiciaires se résume à des dettes impayées, une instance de divorce (avec une femme) en 2019 et à une accusation d'escroquerie de 3000 dollars, portée par un vétéran de l’armée américaine, lors d'un crowfunding pour sauver son chien. Pas non plus de mari. Et encore moins de fondation pour animaux domestiques.
Même le véritable patronyme de George Santos est sujet à caution.
Il y a quatre ans à peine, George Santos se présentait encore, au choix, comme Anthony Devolder ou Anthony Zabrovsky, un nom de famille d'origine juive, commode pour grappiller des fonds à destination de pseudos actions de charité.
L'origine de la fortune personnelle de George Santos est aussi nébuleuse que son parcours. Le trentenaire se targue de gagner près d'un million de dollars par an et de posséder des biens immobiliers autant à Rio de Janeiro, qu'en Floride ou à New York.
Un patrimoine considérable pour celui qui, en 2012, n'est en fait qu'un standardiste poli et efficace du service-client d'une entreprise de télécommunication. Quand, selon son CV, il était censé gravir les échelons de la société Citigroup.
Un jeune homme ambitieux et raffiné, qui affiche déjà son goût pour les chemises de chez Brook Brothers, les séjours dans les étoilés de Palm Beach et les dîners dispendieux au restaurant du Bergdorf Goodman. L'entourage de ce «gars sympa» et locataire «respectueux» s'interroge sur ses prétendus biens immobiliers de standing. Lesquels semblent bien loin de son appartement du Queens, dont il a failli être éjecté à trois reprises pour défaut de paiement et qu'il partage tantôt avec sa mère, tantôt avec son ami Gregory Morey-Parker.
L'ex-coloc' clame aujourd'hui (à qui veut bien l'entendre) que son ancien compagnon de chambrée ne lui a jamais rendu son foulard Burberry, emprunté à l'occasion d'un rassemblement pro-Trump. La veille de l'insurrection du Capitole, le 6 janvier 2021.
De George Santos, on connait surtout la sensibilité politique. Ardent partisan de Donald Trump, il fait partie des fidèles jurant que l'ancien président s'est fait voler l'élection de 2020. Bienséance oblige, ses (nombreuses) allégations de fraude électorale ont disparu de son compte Twitter, après son élection à la Chambre.
Lors de son premier échec aux élections au Congrès en 2020, George Santos a trouvé du réconfort auprès du Freedom Caucus et de Maga (Make America Great Again), parmi les franges les plus à droites de la droite américaine. Aux côtés d'une Marjorie Taylor Greene ou d'un certain Matt Gaetz.
Le politicien néophyte fait sien du combat contre le port du masque en pleine pandémie de Covid ou l'accès à l'avortement, et défend bec et ongles l'agressif projet de loi «Don't Say Gay» en Floride. Un alignement politique ultra-conservateur qui n'a pas empêché le républicain d'affirmer à USA Today, en octobre dernier: «Je suis ouvertement gay, je n'ai jamais eu de problème avec mon identité sexuelle au cours de la dernière décennie, et je peux vous dire et vous assurer que je serai toujours un fervent défenseur des LQBTIQ+».
Bousculé même par la conservatrice Fox News, George Santos s'est excusé pour les «embellissements» sur son CV. Un mea culpa un peu vague qui n'a pas permis de contenir la cascade d'appels à la démission. Du côté démocrate, évidemment, où l'on sent bien l'opportunité derrière ce scandale, mais aussi du côté républicain - dont le GOP du comté de Nassau, longtemps considéré comme le plus puissant du comté de New York.
Pourtant, l'élu républicain est encore loin, très loin, de prendre la porte.
Pour Kevin McCarthy et les dirigeants républicains de Washington, George Santos apparaît aussi gênant qu'indispensable. En cas d'élection spéciale, le district aurait toutes les chances de repasser en mains démocrates - et ainsi, de faire basculer la courte majorité républicaine à la Chambre.
En ce qui concerne les ambitions de l'élu, la seule motivation à quitter son poste pourrait être «un sentiment de honte», spécule la journaliste politique du Daily Beast, Ursule Perano. Mais, connaissant le personnage, il lui semble peu probable que George Santos n'atteigne un jour un tel cas de conscience.