L'atout inespéré. Le jeune populiste idéal. L'écrivain qui a compris l'Amérique profonde. Le prochain président des Etats-Unis. Après en avoir fait des tonnes, c'est désormais lui qui pèse trop lourd. Un boulet gênant. L'épine géante dans le pied de Donald Trump. Le type bizarre qui «baise avec un canapé». Celui qui va faire perdre les élections aux républicains.
Que s'est-il passé pour que le sénateur J.D. Vance, nommé vice-président potentiel par un milliardaire MAGA dithyrambique lors de la convention nationale, se retrouve ainsi conspué deux semaines plus tard?
Pour faire court, il a pris la parole. D'abord jugé invisible lors de ses premiers meetings, incapable d'incarner le récit qui l'a rendu riche dans le best-seller Hillbilly Elegy, le sénateur de l'Ohio est ensuite rapidement devenu encombrant.
C'est pourtant son histoire personnelle, celle d'un pauvre petit gars de la Rust Belt bouffant les échelons quatre à quatre, qui a fait craquer Donald Trump. Il fallait vendre ces racines ouvrières menacées par une mâchoire socio-économique intraitable. J.D. Vance ou l'incarnation d'une lutte des classes typiquement américaine; de quoi draguer les bas salaires dans les Etats clés. Sur le papier, le plan semblait bigrement malin.
Il faut préciser aussi que sept petits jours après sa nomination, les projecteurs internationaux se sont braqués sur l'abandon de Joe Biden et, tel un souffle après la bombe, sur une Kamalamania de tous les diables. Hélas pour le colistier idéal, à quatre petits jours de ses 40 ans, les démocrates ne sont pas tant responsables de sa chute brutale. Si le parti républicain n'en peut déjà plus, c'est d'abord à cause de ses propos controversés, au présent comme au passé, qui feraient presque passer Donald Trump pour un Teletubbie des urnes.
Notre homme n'a apparemment pas pour ambition de cacher les siennes. S'il ne le dit plus ainsi une fois sur l'estrade, les déclarations récentes de l'écrivain conservateur tendent à prouver que dans des domaines majeurs comme l'avortement, il se positionne bien plus à droite que le trublion MAGA. Alors qu'il semble rêver d'une interdiction totale et nationale de l'interruption de grossesse, il résumait Kamala Harris ou Alexandria Ocasio-Cortez à...
Dimanche soir, Vance a tenté de faire passer la pilule en parlant de «déclarations sorties de leur contexte» et qu'il voulait simplement rappeler que «la gauche est de plus en plus ouvertement anti-enfants et anti-famille». Quelques jours plus tôt, sa garde rapprochée avait déjà pondu un communiqué loufoque, pour jurer que «J.D. Vance n'a jamais fait l'amour avec un canapé». C'est beaucoup de bruits parasites, en deux petites semaines d'expérience de colistier.
“Obviously it was a sarcastic comment. I’ve got nothing against cats.”
— The Recount (@therecount) July 26, 2024
— JD Vance on his “childless cat lady” comments pic.twitter.com/rt3zLiajFB
Si sa nomination fait jaser dans les dédales républicains, tous les yeux sont tournés sur Donald Trump et son processus de sélection jugé autocratique. On apprend par exemple que certaines huiles du parti avaient tenté de mettre en garde le 45e président sur son choix hasardeux, sinon dangereux de tout miser sur J.D. Vance.
Selon le Washington Post, des noms comme Marco Rubio et Lindsey Graham hantaient jusqu'à la dernière minute l'avion qui a mené la petite troupe vers Milwaukee et la convention nationale. Quarante-huit heures avant sa nomination en fanfare, des donateurs ont eux aussi tenté de faire pression.
Sans succès. Pour Donald Trump, ce sera Vance et son récit, Vance et sa politique économique, Vance et sa jeunesse, Vance et ses puissants soutiens dans la tech, Vance et son grand copain, le fiston Don Jr.
Un point c'est tout.
On dit même que son choix a été scellé deux mois plus tôt. Deux semaines après la convention, on raconte que le candidat autrefois sûr de lui semble déjà regretter son choix. Même si, face à la presse, son porte-parole prétend que les deux populistes sont encore en pleine lune de miel.
Dans son entourage, pourtant, la défiance enfle. «Je suis un peu surpris qu'ils ne l'aient pas examiné aussi minutieusement qu'ils auraient dû le faire», confie un ténor du parti à Politico. «Il va vivre des jours difficiles», avoue un autre. «Sa nomination n’apporte pas grand-chose», lit-on aussi. «Trump va le virer cette semaine», affirme un énième stratège. Kevin Madden, ancien porte-parole de la campagne présidentielle de Mitt Romney, pense que le QG de campagne a été pris au dépourvu par le passé peu reluisant du Vance: «Normalement, on fait passer une coloscopie politique aux candidats. Elle n'était sans doute pas assez méticuleuse», a-t-il glissé à un journaliste du Washington Post.
Ben Shapiro: “If you had a time machine, if you go back two weeks, would [Trump] have picked JD Vance again? I doubt it.” pic.twitter.com/yPXW0JlngD
— Jason S. Campbell (@JasonSCampbell) July 26, 2024
Quoiqu'il en soit, depuis quelques jours, le couronnement du sénateur de l'Ohio ressemble méchamment à une amourette de vacances qui se dégonfle une fois de retour aux affaires courantes.
Ou à un bête caprice de gamin pourri gâté.
Sans compter que «l'ennemi des femmes» fait tache dans cette campagne récemment bouleversée par le retrait de Joe Biden. Kamala Harris, qui ne charrie plus les difficultés rencontrées par Hillary Clinton à son époque, pourra sans doute compter sur un vote féminin beaucoup plus bruyant. «Nous avons vu au cours des sept dernières années un véritable mouvement visant à construire une coalition multiraciale de femmes qui travaillent dur pour se protéger les unes les autres», explique notamment Jess Jollet, directrice exécutive de Progress North Carolina, au média The Hill.
Preuve que les huiles du parti républicain observent les gesticulations sexistes de J.D. Vance avec une grande panique dans les yeux, ils sont désormais nombreux à appeler leurs partisans à stopper les attaques personnelles. A l'image du speaker de la Chambre, Mike Johnson, qui affirme au sujet de Kamala que «cette élection va être une question de politique, pas de personnalité. Son origine ethnique, son sexe, n’ont absolument rien à voir avec cela».
Comme tout va très (trop?) vite dans cette campagne électorale, notamment depuis la tentative d'assassinat de Donald Trump, il est prématuré de parier sur l'avenir de J.D. Vance sur la liste de son mentor. Mais ses frasques semblent en tout cas réjouir ses adversaires, qui on a changé de fusil d'épaule pour attaquer frontalement le ticket Trump/Vance . De «danger pour la démocratie», voilà qu'ils sont devenus simplement «bizarres», souligne Politico.
Jusqu'au chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, qui considère que le choix de J.D. Vance va aider Kamala Harris à gagner du terrain.
Si Schumer se pose la question de la survie de J.D. Vance dans cette campagne, il n'est pas le seul démocrate à penser que les tergiversations vont bon train dans le camp adverse.
Paul Begala, qui fut le conseiller du président Clinton, pense que le colistier gênant va être débarqué, notamment parce que «Trump n’est pas doué pour les relations à long terme»: «Il a été un raté. C'est le premier candidat à la vice-présidence, quel que soit son parti, à démarrer le processus avec une cote de popularité en baisse, depuis les années 1980», a-t-il glissé sur CNN. Paul Begala va même plus loin en suggérant que le milliardaire pourrait bien se tourner vers sa meilleure ennemie... Nikki Haley. Du trolling, bien sûr, mais qui n'a rien de gratuit.
C'est d'ailleurs un avis partagé à droite, par l'ancienne marionnette de Trump, Anthony Scaramucci, qui considérait lui aussi sur CNN que les républicains auraient plus de chance face à Kamala Harris «en nommant Nikki Haley».
Pour l'heure, nous ne sommes qu'au stade des bruissements et des coups de pression. Mais, comme Joe Biden l'a compris à ses dépens la semaine dernière: il n'y a pas de fumée sans feu. Quoiqu'il en soit, Donald Trump n'a techniquement plus que neuf jours pour revenir sur son choix, car les candidats et leur colistier doivent s'avancer jusqu'au 7 août, date à laquelle le scrutin de l'Ohio est bouclé.