Le contraste avec Joe Biden est frappant. Mardi soir, Kamala Harris a officiellement décapsulé sa campagne, sur les ruines de la Convention nationale républicaine, à deux pas de Milwaukee, dans l'Etat clé du Wisconsin. Sur scène, la vice-présidente a d'abord prouvé qu'elle n'a pas 81 ans.
Dynamique, déterminée, smart, rassembleuse, souriante, la démocrate s'est exprimée comme si tout a été préparé dans l'ombre depuis six mois. Pour dire, quarante-huit petites heures après l'abandon de son patron, ce premier meeting parvient presque à reléguer «l'affaire Biden» à un passé étrangement lointain.
Sur son estrade de fraîche candidate à l'élection présidentielle, alors qu'elle dégommait le bilan économique de Donald Trump, un slogan s'est imposé à elle, repris dans la foulée par un public conquis. Un moment qui, dans un premier temps, a semblé la surprendre.
When you read Donald Trump’s 2025 agenda, you will see he intends to cut Social Security and Medicare, give tax breaks to billionaires, end the Affordable Care Act, and more.
— Kamala Harris (@KamalaHarris) July 23, 2024
We are not going back.pic.twitter.com/tRPmq7kYcR
Sans compter que le slogan était accompagné d'une chorégraphie, apparemment spontanée. Un majeur dressé, tapant au rythme des mots le chemin à ne pas emprunter, si les Etats-Unis veulent éviter de retomber dans le chaos des années Trump. Dans une époque offrant beaucoup (trop?) de crédit à la communication visuelle, il faut avouer qu'en deux jours, «Make America Great Again» a trouvé un sérieux adversaire.
Plus loufoque et inattendu, cet amour «citron vert» qui déferle sur la vice-présidente depuis dimanche. Pour toute une frange de la jeunesse progressiste, voilà que Kamala Harris serait «brat». Si vous avez moins de 25 ans, il est probable que cette affaire ne vous ait pas effleuré le tympan. En revanche, sur les réseaux sociaux, c'est un véritable tsunami qui est en train de tout ravager sur son passage. La coupable est connue et elle nous vient du Royaume-Uni: Charli xcx.
BRAT SUMMER into KAMALA PRESIDENCY 💚💚💚🥥🌴🇺🇸
— Mikehole 🏳️🌈🥥🌴 (@MichaelDrummey) July 22, 2024
pic.twitter.com/EFitBuQh2L https://t.co/sbEsXGW2es
Cette chanteuse de Cambridge, 31 ans au compteur, fait suer les boîtes de nuit avec ses tubes moites et vient de sortir son sixième album, baptisé «Brat». Traduction littérale? «Sale gosse», «morveuse». Sur la pochette, on retrouve ce vert lime que les plus vieux pouvaient croiser sur les lèvres des skieurs des années huitante. Code couleur? Entre 360 et 365, nous assure Pantone. Et ça tombe bien, puisque ce sont les titres du premier et du dernier morceau de son album.
Bien sûr Charli xcx a une définition un poil plus dense et personnelle du mot «brat».
Et puis, lundi à 2h29 du matin, la star britannique a poussé un cri qui vaut toutes les stratégies politiques: «kamala IS Brat». Trois mots qui ont sonné comme un cri de ralliement spontané, parmi une jeunesse de gauche en manque d'héroïne qu'elle n'osait plus attendre.
kamala IS brat
— Charli (@charli_xcx) July 22, 2024
En quelques heures, la teinte «360-365» a éclaboussé Internet à la vitesse d'un pinceau jeté contre une toile. Au point que l'équipe de comm' de la candidate se l'est appropriée dès le lendemain, trônant désormais au sommet du compte officiel Harris HQ sur la plateforme X.
Un coup de pub inespéré, dans une tranche d'âge que les démocrates peinent actuellement à fédérer. Or, il y a un hic. Kamala Harris, aussi motivée et dynamique soit-elle, n'a rien d'une morveuse instable, fêtarde et désordonnée.
Grave? Pas vraiment. Une sale gosse, comme le dit très bien The Atlantic, se montre aussi provocatrice, vulnérable et ambitieuse. Et la vice-présidente, en étant catapultée sur un ring littéralement possédé par la mâle Donald Trump, des mains d'un parti qui joue sa survie sur la victoire d'une femme métisse, est déjà poussée dans ses retranchements. Un soutien massif d'une génération qui refuse de se laisser marcher sur le talon, même si la couleur irrite la rétine, ne peut que la gorger de courage.
Pour couronner le tout, les derniers sondages semblent confirmer l'euphorie, en donnant Harris légèrement en tête face à Donald Trump. La Kamalamania est bel et bien en marche et on peut se demander ce qui pourrait la stopper. Hormis peut-être le fait qu'elle semble avoir été trop bien huilée pour ne pas dérailler de l'intérieur.
C'est l'avis chuchoté par quelques discrets stratèges démocrates, qui se disent fâchés de cet adoubement instantané et automatique. Sans parler de Barack Obama, qui refuse toujours de soutenir la vice-présidente, se bornant à croire en la «capacité des dirigeants de notre parti à créer un processus qui permettra de faire émerger un candidat exceptionnel». Nancy Pelosi, avant de se ranger derrière Kamala, rêvait elle aussi d'une convention ouverte, supposant dans Politico qu’un «processus non compétitif rebuterait les électeurs».
Or, tout miser sur la soldate Harris, vingt-sept petites minutes après l'abandon de Joe Biden, n'a rien d'un processus.
Si les pontes démocrates marchent désormais en rang d'oignon, certains électeurs se disent fâchés de devoir «se ranger derrière une candidate dont la campagne de 2020 s’est soldée par un désastre», analyse notamment Daily Beast. Sans oublier les rares mécènes qui n'ont pas participé aux 100 millions de dollars engrangés en 48 heures par l'envol de Kamala.
Parmi eux, l'avocat de Floride et grand donateur démocrate John Morgan, qui considère que «le soutien de Joe Biden à Kamala est un signe de sa part à tous ceux qui l'ont poussé à partir. Une vengeance pour ce qu'on lui a fait subir».
A cent petits jours de l'élection présidentielle, il paraît néanmoins insensé d'imaginer que les démocrates se reportent soudain sur un cheval qui n'a, de fait, pas l'avance et la popularité de Kamala Harris. La «brat» de la Maison-Blanche sera sans aucun doute la candidate officielle, mais elle n'est pas au bout de ses peines. Une fois la convention démocrate derrière elle, dans trois semaines, il est probable que l'euphorie des débuts le soit aussi.
Si le parti a réglé son problème majeur, avec l'abandon de Joe Biden, deux autres menaces se présentent à lui: la victoire de Donald Trump malgré Kamala Harris et, dans la foulée, sa propre survie. Et puis, c'est bien connu, quand on fait un choix, «We Are Not Going Back».