637 jours avant la prochaine élection, la course à la Maison-Blanche n'est pas encore lancée. Officiellement.
Officieusement, le président américain Joe Biden s'apprête à larguer les amarres du paquebot de la campagne présidentielle. En guise de rampe de lancement, le discours sur l'Etat de l'Union mardi soir, devant le Congrès. L'un des plus importants de l'année. Une allocution qui devrait slalomer, selon le Politico, entre bilan personnel élogieux, pointage des dysfonctionnements du camp adverse et phares braqués vers 2024.
Côté démocrate, il ne fait plus de doute que Joe Biden se portera candidat à sa propre réélection. La décision est prise. Pour l'annonce officielle, le président prend son temps. Il la fera.
Certains conseillers envisageaient une déclaration précoce à la mi-janvier. Un bon moyen d'asseoir les intentions de Biden et de refroidir les ardeurs de collègues démocrates pris d’aspirations présidentielles.
D'autres ont posé le mois d'avril comme point de repère, en se calquant sur la candidature de Barack Obama en 2011. Un laps de temps amplement suffisant à Biden pour changer d'avis, si le coeur ou les évènements lui en disent. Les tragédies familiales qui jalonnent son parcours lui ont appris une chose: tout le monde n'a pas toujours prise sur le cours des évènements. Surtout le président des Etats-Unis.
L'annonce pourrait donc encore prendre des semaines, voire des mois, après le discours au Congrès.
Mais, sauf imprévu majeur, Joe runs, fort d'une position de plus en plus favorable dans les sondages. Au-delà de l'embarrassant dossier des documents confidentiels retrouvés à son domicile du Delaware, son administration a plusieurs atouts à faire valoir.
Inflation en baisse, nombre d'emplois en hausse, sans oublier des milliards de dollars de subventions dans l'énergie propre, l'industrie de pointe ou encore la réduction du coût des médicaments. Des arguments économiques qui trouveront peut-être grâce auprès des électeurs, le moment venu.
Côté démocrate, c'est une voie royale qui s'offre au président. Aucun candidat de premier plan n'est encore échauffé pour se lancer sur le circuit. Les challengers potentiels trépignent sur le banc, observe le New York Times, sans entamer de démarche précoce. Nulle tentative de rafler des donateurs, d'embaucher du personnel de campagne, de visiter les Etats primaires.
En l'absence d'autres prétendants sérieux, c'est un parti démocrate plus soudé que jamais qui s'est accordé sur cette première candidature. Cette rare entente entre les factions, plus observée depuis des années, pourrait servir à Joe Biden.
Selon le Financial Times, on s'attend logiquement à ce que Kamala Harris rejoigne Biden sur le ticket, en tant que vice-présidente. Le duo forme une équipe soudée. Même si personne ne bénéficierait plus que Kamala Harris du retrait de Joe Biden. Elle a brièvement occupé le poste de présidente par intérim l'an dernier, durant les 85 minutes nécessaires à Joe Biden pour une coloscopie. Une heure et demie pendant lesquels elle n'a jamais été si proche d'effleurer la surface du bureau ovale.
Difficile d'espérer davantage pour une vice-présidente qui souffre d'une cote de popularité en berne, entre gestion des portefeuilles les plus délicats de l'administration, apparitions publiques jugées maladroites et un roulement continu au sein de son équipe.
Quid des autres successeurs démocrates? Quelques noms émergent ici ou là dans la presse politique américaine. Parmi les plus familiers, Bernie Sanders, l'octogénaire qui n'en démord pas, Pete Buttigieg, le flamboyant quadra gay qui s'est illustré lors de la primaire précédente, ou encore Alexandra Ocasio-Cortez, la chérie de la gauche progressiste. D'autres papables, encore méconnus, pourraient faire se faire un nom: Gavin Newsom, l'ex-maire de San Francisco, ou Stacey Abrams, «l'étoile montante du parti» selon People.
Un autre coup de pouce dont Joe Biden pourrait bénéficier vient d'un bord inattendu: les républicains. Les luttes intestines qui déchirent le parti, sous la houlette d'un Kevin McCarthy qui doit cadrer les recrues les plus extrêmes, ne risquent pas de s'améliorer de si peu. Une faiblesse certaine profitable au chef d'Etat démocrate.
Côté droite, la course à la Maison-Blanche est dominée par le seul candidat officiellement déclaré, à savoir Donald Trump. Mais d'autres candidats probables, comme le gouverneur de Floride Ron DeSantis, ou Nikki Haley, l'ancienne gouverneure de Caroline du Sud, sont toujours sur la touche.
Joe Biden et ses principaux collaborateurs sont conscients que leur succès ne doit pas dépendre des seules bisbilles républicaines. La route vers un second mandat est encore juchée d'embuches et d'imprévus. A commencer par une récession en pleine campagne, qui ferait mauvais genre.
Et c'est sans oublier le principal obstacle. Celui contre lequel Biden est paradoxalement le plus impuissant: son âge.
La nation est habituée aux hommes mûrs à la Maison-Blanche. Citons le «grand-père» Eisenhower, 62 ans, Ronald Reagan, 73 ans, ou encore Donald Trump, 70 ans au moment de son élection. Des âges respectables, certes, mais à des années de l'actuel président, le plus vieux de l'histoire américaine.
A l'issue d'un potentiel second mandat, Joe Biden aurait 86 ans.
Un «handicap» sérieux, non seulement aux yeux des électeurs, mais surtout pour Joe Biden lui-même. Contrairement à la campagne de 2020, menée au plus fort de la pandémie, la prochaine élection présidentielle s'annonce des plus traditionnelles. Un marathon impliquant une valse d'apparitions publiques, de discours inspirants, de voyages exténuants, d'heures à trépigner et de sommeil manqué.
Si les républicains décidaient d'abandonner Trump au profit d'un challenger plus jeune, le risque de contraste avec un Joe Biden languissant pourrait être fatal.
Indifférent à ses quintes de toux, sa démarche maladroite, ses gaffes à répétition et la possibilité que le travail le plus stressant du monde convienne mieux à quelqu'un de plus jeune, Joe Biden semble encore convaincu d'être au niveau.
Lorsqu'on lui demande s'il se sent de remballer pour quatre ans, le président donne la réplique. Toujours la même, comme un défi: