Le pouvoir a un coût. Au prix d’un effort de lobbying éreintant de quatre jours et de quinze scrutins, Kevin McCarthy, la «pom-pom girl» du parti républicain (ainsi surnommé pour sa réputation de collecteur de fonds prolifique), est parvenu à obtenir le Graal dont il rêvait: la présidence de la Chambre des Représentants.
Mais avant d'effleurer du doigt le marteau si convoité, le républicain californien, qui fête ses 58 ans ce jeudi, a dû faire face au barrage d'une poignée de représentants d'extrême droite. Un mur d'opposition que Kevin McCarthy a dû dissoudre à grand renfort de concessions et de promesses. Fussent-elles en sa défaveur.
Depuis trois semaines, les ennemis les plus virulents de Kevin McCarthy se voient récompensés de leur affront. L'ultime trophée: des postes au sein des commissions influentes du Congrès. Là où les lois se font et se défont, se négocient les budgets et les finances, se tiennent les débats. Bref, là où se joue le pouvoir législatif des Etats-Unis.
En tête de liste de ces commissions, le «comité des règles», perchoir sur lequel McCarthy a placé un panel de neuf républicains. Parmi lesquels Chip Roy, du Texas, et Ralph Norman, représentant de Caroline du Sud, deux élus qui se sont illustrés en votant contre son élection.
Avec cette nomination, Kevin McCarthy a offert aux membres les plus extrêmes de la Chambre la possibilité d'apposer leur empreinte sur tout – des projets de loi avancés à la Chambre, à la structure des débats, jusqu'aux amendements.
Surtout, le nouveau Speaker s'est placé lui-même dans une position dangereusement bancale. Comme le rappelle Politico, le chef de parti envoie généralement au Comité des Règles un échantillon composé d'alliés et de partisans, susceptibles de respecter ses directives en cas de blocage.
La composition actuelle du Comité sera nettement moins prompte à accepter sagement le leadership, aussi affaibli qu'il soit, de Kevin McCarthy.
Mais il n'y a pas que des adversaires, parmi les trublions du Great Old Party (GOP) gratifiés par de nouvelles attributions. Citons l'élu George Santos, empêtré jusqu'au bout du nez dans l'un des plus gros mensonges politiques de l'histoire du pays. L'élu new-yorkais a été malgré tout remercié avec le comité des sciences.
Une nomination surprenante, certes, mais qui illustre la manière dont Kevin McCarthy perçoit ce comité scientifique - dont le rôle, en pleine crise pandémique et climatique mondiale, est décisif.
Le Speaker a également tapoté sur l'épaule de Jim Jordan, allié de premier plan de Donald Trump, pour diriger le comité restreint chargé de ré-enquêter sur les évènements du 6 janvier au Capitole. Quant à Matt Gaetz, fervent anti-McCarthy, il a été nommé au comité judiciaire, chargé de donner l'aval à une possible procédure de destitution contre le président Joe Biden.
C'est sans oublier Marjorie Taylor Greene, figure de proue de l'extrême droite pro-Trump, partisane QAnon et complotiste notoire, qui impute les incendies de forêt en Californie à des faisceaux laser juifs. Abrégée «MTG», la Géorgienne est devenue une alliée improbable de McCarthy dans sa bataille pour la survie politique.
En rompant avec ses partisans du Freedom Caucus pour appuyer la candidature de McCarthy, MTG a contribué à faire basculer l'élection. Un geste que le nouveau président ne s'est pas privé d'honorer avec deux affectations: l'une au comité de surveillance, l'autre à celui de la Sécurité intérieure.
«Je ne quitterai jamais cette femme. Je prendrai toujours soin d'elle», a-t-il confié récemment à un camarade républicain, rapporte le New York Times. Une telle déclaration aurait sans doute été impensable en 2021, lorsque Marjorie Taylor Greene foulait pour la première fois la colline du Capitole, un tourbillon de controverses et de provocations dans ses bagages.
Il semble loin le temps où les dirigeants républicains la considéraient comme «un mal de tête» et McCarthy, comme «potentiellement irrécupérable». Désormais, Marjorie Taylor Greene assume un rôle de conseillère politique auprès du nouveau Speaker, qui n'a pas tout à fait défini sa propre ligne. Elle lui a déjà servi de modèle pour ses positions anti-vaccination ou sa remise en question du financement de la guerre en Ukraine.
Source bruyante de fake news sur la pandémie et les vaccins, Marjorie Taylor Greene a également été nommée au comité restreint chargé d'enquêter sur le Covid. Dans le viseur de ces élus: les décisions prises par les hauts responsables de la santé, les restrictions sanitaires et les origines du virus.
Ce vaste remaniement n'a pas été sans risque pour le nouveau leader de la Chambre. Conscient de sa faible marge de manœuvre, Kevin McCarthy a dû jouer les équilibristes et tenter de satisfaire tout le monde, partisans comme adversaires. Ce ne sera pas le cas. Certains de ses plus proches collaborateurs, comme le républicain Vern Buchanan, dont la présidence du comité des «Voies et moyens» lui est passée sous le nez, ont dû prendre sur eux. Il y en a d'autres.
A mesure qu'un nouvel équilibre se met en place au sein de la Chambre des Représentants, son président va tenter non seulement de conserver le peu de pouvoir qu'il détient, mais aussi de l'exercer efficacement. Un défi immense, s'il en est.
Si le travail de la Chambre s'annonçait déjà difficile, entre une majorité républicaine maigrichonne et une faction d'extrême-droite intransigeante, les concessions de McCarthy pourraient le rendre impossible. Y compris pour des tâches aussi essentielles que le financement du gouvernement ou la dette fédérale. Pour les dissidents, mission accomplie. Pour le pays, sombre présage.