Les présidents sont des fonctionnaires comme les autres. Enfin, presque. S'il leur arrive, comme à nous tous, d'emporter du travail à la maison, leur paperasse concerne la bonne marche de la nation - un peu plus compromettant, donc, que Chantal qui laisse traîner sa compta sur la table de la cuisine.
Donald Trump, Mike Pence ou Joe Biden peuvent en témoigner. Mercredi, le 46e président des Etat-Unis était le dernier à payer le prix de sa gestion maladroite de dossiers confidentiels, par une fouille en règle de sa résidence balnéaire du Delaware.
Comment expliquer cette mauvaise habitude de hauts responsables américains à «égarer» des données sensibles? Entre abondance de documents, procédures compliquées et tendance à classer «secret» tout et n'importe quoi, voici comment la Maison-Blanche doit dealer avec le cauchemar des fameux «documents classifiés».
Cette mystérieuse (et célèbre) appellation de «secret défense» recouvre tout un éventail d'informations: du briefing de voyage, au résumé d'un article de presse, en passant par un débat en cours ou un rapport technique sur les sonars de la Navy. Même de simples notes griffonnées à la main pendant une réunion peuvent se retrouver estampillées «secret d'Etat».
Vous l'aurez compris: les données classifiées qui circulent à la Maison-Blanche ne contiennent généralement pas les secrets les plus précieux du gouvernement. Le plus souvent, il s'agit d'informations diplomatiques ou militaires qui seraient «préjudiciables» si elles venaient à être révélées au grand public. C'est d'ailleurs ce critère qui permet de les classer selon trois niveaux:
Pour consulter les documents classifiés, nul besoin d'être président des Etats-Unis. Seuls les documents «top secret» sont réservés à une poignée d'officiels haut placés et font l'objet de précautions draconiennes. Pour vous donner un exemple, le briefing matinal du président sur le renseignement, qui fournit les données rassemblées par toutes les agences d'espionnage du pays, fait partie des secrets les mieux protégés des Etats-Unis.
Concernant les autres documents confidentiels, en revanche, la plupart des fonctionnaires de l'Etat sont autorisés à les consulter, voire à les manipuler. Le New York Times s'est chargé de nous décrire la procédure. Accrochez-vous.
Une fois la consultation terminée, l'assistant est chargé de remballer le précieux document dans le sac verrouillé et de le rapporter à la boutique, afin que le retour soit enregistré. Le classeur achève sa course dans un «sac à brûler» et détruit.
Si les responsables de la boutique de renseignements se montrent très scrupuleux sur le suivi et la restitution des documents les plus sensibles - pour le reste, c'est plus compliqué.
En effet, aucune procédure n'oblige les fonctionnaires à enregistrer la création d'un nouveau document classifié. Un job aussi fastidieux qu'impossible, sachant que les informations contenant des informations classifiées deviennent automatiquement classifiées. (Par exemple, un e-mail mentionnant un document confidentiel devient également confidentiel. Oui, c'est méta. Vous suivez toujours?)
Le gouvernement se trouve donc dans l'incapacité absolue de suivre l'itinéraire de chaque «secret défense».
Entre les classeurs ballottés de droite à gauche et ceux qui se retrouvent mélangés aux informations «ordinaires» lors des réunions, le risque de perte est inévitable. D'autant qu'il n'est pas rare que les documents soient conservés pendant des jours, voire des semaines, avant d'être rapportés à la bibliothèque des renseignements pour destruction.
Pour ce qui est du trimballage d'archives, les présidents américains sont des spécialistes: George Bush ou Ronald Reagan emportaient fréquemment du matériel avec eux. Sans oublier Donald Trump, qui délaissait le «marécage» de Washington presque tous les week-ends pour la Floride ou le New Jersey.
Peu de chefs d'Etat, toutefois, ont emporté des dossiers avec autant de régularité que Joe Biden, note le New York Times. L'actuel président des Etats-Unis s'envole systématiquement chaque vendredi pour son fief de Wilmington, dans le Delaware - avec, dans ses bagages, un paquet de données sensibles.
Last but not least: la tendance à «surclassifier» les données par les employés de la sécurité nationale, par peur de se voir reprocher de ne pas les avoir suffisamment protégées. Alors que, dans «90% des cas», la classification s'avère injustifiée, selon Elizabeth Goitein, experte de la sécurité nationale, sur la chaîne MSNBC.
Résultat de cet instinct de survie bureaucratique? Pas moins de 50 millions de documents sont classés confidentiels chaque année. Un cauchemar pour l'administration américaine.
Le fléau est tel que, depuis 2020, les archives nationales se sont dotées d'un comité de «déclassification» pour accélérer la publication d’informations autrefois sensibles. Objectif: améliorer la transparence du gouvernement, réduire les coûts nécessaires à la sécurisation d’un tel volume de données - et, surtout, éviter les pépins judiciaires.
En vertu de (très) nombreuses législations, notamment sur l'espionnage, une manipulation hasardeuse des documents confidentiels est punie par la loi.
Si les répercussions d'une mauvaise gestion des documents classifiés s'avèrent souvent plus politiques que criminelles, elles peuvent coûter très cher. Hillary Clinton le sait mieux que quiconque: l'affaire des emails protégés, envoyés sur un serveur personnel, lui avait coûté la présidence des Etats-Unis.