Nous avons tous nos moments d'égarements. Ce fameux «merde!» angoissé, au moment de réaliser qu'on a abandonné son téléphone dans les toilettes publiques, sa besace au restaurant ou ses lunettes sur la table du bureau. En principe, rien de mortel. En revanche, un oubli à la Maison-Blanche peut s'avérer un tantinet plus problématique. En particulier lorsqu'il s'agit de laisser traîner une substance douteuse. Voire illégale.
C'est pourtant précisément l’incident provoqué par un doux rêveur, le 2 juillet dernier, à Washington.
Alors qu'ils sont chargés d'effectuer une ronde de routine dans l'aile ouest, vendredi après-midi, quelle n'est pas la mauvaise surprise des membres de la division des services secrets de découvrir un mystérieux sachet transparent, rempli de poudre blanche, dans un cagibi. Panique à bord. A 20h45, par mesure de précaution, le bâtiment est évacué.
Le produit à l'origine de cette débâcle? Nulle «matière chimique ou radiologique menaçant la sécurité de la Maison-Blanche». Ni anthrax, cette substance hautement toxique qui a traumatisé les Américains au début des années 2000. Mais rien de totalement inoffensif non plus.
Les analyses révèlent que le sachet oublié renferme une infime dose de cocaïne, d'un poids de 0,07 gramme.
L'étourdi va devoir répondre de ses actes devant les autorités. Mais le retrouver sera aussi aisé que de trouver une aiguille dans une botte de foin. Plusieurs «centaines d'individus» ont accès à cette zone ouverte au public, où les téléphones portables, appareils électroniques et autres effets personnels sont entreposés, avant de prendre part aux visites guidées du monument.
L'entrée du vestiaire se trouve justement à proximité du parking de véhicules de fonction, dont la limousine et le SUV du vice-président. Membres du personnel et visiteurs confondus, la liste des suspects potentiels compte de plus de 500 personnes.
Alors que les services secrets sont en pleine dissection des images de vidéosurveillance et des registres des visiteurs, les noms des premiers suspects émergent dans la presse et sur les réseaux sociaux. Un touriste en gueule de bois, après une soirée en ville? Un employé peu précautionneux?
Evidemment, en bon enquêteur autodidacte, Donald Trump ne résiste pas à la tentation de faire part de ses propres suppositions sur le propriétaire. Pourquoi pas l'avocat spécial Jack Smith, impliqué dans l'enquête le concernant sur les documents classifiés? Voire le président américain Joe Biden en personne?
Les médias conservateurs, eux, préfèrent miser directement sur Hunter, dont les antécédents en matière de consommation de drogue lui ont valu les coups de projecteurs nationaux par le passé.
Toutefois, Biden père et fils ont un alibi en béton: le week-end de la découverte du sachet, la famille ne se trouve même pas à Washington. C'est du moins ce qu'a assuré la porte-parole de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, lors d'une conférence de presse. Lorsqu'une journaliste insiste, «pouvez-vous dire une fois pour toutes si la cocaïne appartenait ou non à la famille Biden?», la réponse tombe, implacable.
Pourrait-il alors s'agir d'un coup monté de l'intérieur, par les services secrets eux-mêmes? Après tout, c'est un secret de polichinelle: l'agence s'est déjà fait épingler pour son goût de la fête... et de l'alcool. Plusieurs incidents impliquant des agents au volant en état d'ébriété ont été rapportés dans la presse. Après l’alcool, pourquoi pas la coke?
Reste que, au terme de six jours d'enquête, la principale théorie est que le responsable se trouve parmi les centaines de visiteurs entrés dans l'aile ouest ce jour-là.
Jeudi, au cours d'un briefing confidentiel devant un parterre de législateurs, les services secrets sont contraints d'admettre leur échec. Malgré l'examen méthodique des systèmes et protocoles de sécurité, l'analyse des images de surveillance, la traque d'éventuelles traces ADN ou d’empreintes digitales et l'implication du FBI, il n'y a «aucune preuve matérielle» suffisante pour «distinguer une personne d'intérêt».
L'enquête est close. Le détenteur de la cocaïne vient rejoindre la longue liste de mystères et de secrets de la Maison-Blanche.
Pas tout à fait. Car de nombreuses voix critiques s'élèvent déjà pour dénoncer l'échec cuisant des services secrets américains. Le manque de réponses et les vagues preuves non concluantes sont loin de satisfaire ceux qui considèrent cet incident comme une grave défaillance de la sécurité, voire une dissimulation éhontée.
Pendant que le sénateur de Caroline du Sud, Lindsey Graham, appelle sur Fox news à couper des têtes («Quelqu'un doit être licencié pour ce laisser-faire»), le représentant républicain Tim Burchett dénonce un «spectacle de clowns». Quant au sénateur, James Comer, il qualifie la débâcle de «moment honteux dans l'histoire de la Maison-Blanche».
Pour mettre les choses au clair, la commission de surveillance de la Chambre des représentants a déjà ouvert sa propre enquête, afin d'évaluer les standards de la Maison-Blanche en termes de sécurité. Cette fois, il est possible que le mystérieux détenteur du sachet ne puisse pas prendre la poudre d'escampette.