«Evidemment, ce serait beaucoup plus facile pour moi de gagner cette élection si Donald Trump n'était pas dans la course». Il a beau être inconnu, Vivek Ramaswamy a l'assurance des débutants. L'annonce de sa candidature remonte à février déjà. Elle est passée quasiment inaperçue.
Pourtant, le premier millenial - et seul joueur de tennis - à concourir pour la Maison-Blanche est endurant. Prêt à faire du bruit et à se démarquer, alors que le nombre de républicains désireux de se frotter à Donald Trump commence à ressembler à une liste de courses trop longue, dont on risque, forcément, d'oublier des ingrédients.
Pour faire causer de lui, Vivek Ramaswamy a eu une idée: affoler la presse américaine en clamant son soutien à l'ancien président Donald Trump, tout en se présentant contre lui à la présidentielle. Une technique culottée, si ce n'est bizarre.
Mi-juin, au moment de l'arrestation historique de Donald Trump à Miami, le jeune effronté s'engage haut et fort à gracier l'ex-président s'il remporte l'élection l'an prochain - avant de défier ses collègues républicains d'en faire de même. Parmi les candidats, la gêne est palpable.
Résultat, quelques heures plus tard, Vivek Ramaswamy est à l'antenne de Fox News, pour avertir des millions de téléspectateurs des dangers d'une justice à deux vitesses. Il n'en faut pas plus pour le placer dans le radar de Trumpworld. Et de se hisser, là, tout en bas, dans les sondages.
Instinct politique, soif médiatique et approche paradoxalement chaleureuse de l'homme qu'il doit abattre pour remporter la primaire républicaine: l'épisode résume comment ce parfait inconnu a réussi à se frayer une voie, même minuscule, dans le marathon pour 2024.
Vivek Ramaswamy n'est ni gouverneur, ni sénateur, ni même élu. «Juste» un entrepreneur à succès de 37 ans, qui prend sa croisade acharnée contre le progressisme un peu trop au sérieux.
Ce fils d'immigrants indiens - son père était ingénieur-électricien, sa mère psychiatre - ne doit sa réussite qu'à lui-même. Né à Cincinnati, Ohio, il suit une éducation typique de la middle class américaine, avant de faire son chemin vers l'impitoyable élite des universités d'Harvard et de Yale.
Après une startup de biotechnologie fructueuse et deux best-seller contre le «wokisme», Ramaswamy fonde une seconde boîte de gestion d'actifs, très à droite et axée uniquement sur le profit. Autant de succès commerciaux qui lui valent du temps d'antenne chez Tucker Carlson sur Fox News, des invitations à des conférences, le surnom de «PDG d'Anti-Woke Inc.», par le magazine New Yorker et, surtout, un ego surdimensionné.
Bref, à moins de quarante ans, Vivek Ramaswamy est un homme riche. Forbes estime sa valeur nette à 630 millions de dollars. Une fortune que ce fervent défenseur de la méritocratie est fier d'avoir construit tout seul, sans hériter du moindre dollar de papa-maman.
«Fierté nationale» et «culture du mérite», c'est précisément ce que défend cet entrepreneur fraîchement lancé en politique. Comme Donald Trump en 2016, il entend faire campagne avec un esprit d'entreprise, des idées peu orthodoxes et assez peu d'attentes. Il espère ainsi séduire une base suffisamment importante pour toucher du doigt le poste suprême.
Autant dire qu'on est en loin, même si ses fréquentes apparitions l'ont déjà rendu familier dans les Etats de l'Iowa et du New Hampshire. Enfin... presque.
Il a beau être le plus jeune des compétiteurs républicains, le trentenaire semble plus volontiers s'adresser aux retraités de droite qu'à la jeunesse américaine. Parmi ses propositions les plus emblématiques: rehausser le droit de vote à 25 ans et couper le soutien des Etats-Unis à l'Ukraine, pour la laisser se dépatouiller face à la Russie, quitte à se faire écraser.
Opposé à tout ce qui s'apparente à de la justice sociale, il combine une «antipathie à la Elon Musk envers les piétés libérales», avec un «message républicain de viande rouge», selon un journaliste du magazine New York, qui l'a rencontré au détour d'une partie de tennis. Pas faute, pour l'ancien joueur, d'être végétarien.
S'il diffère de son modèle, Donald Trump, par un ton nettement plus polissé et un jargon pseudo-scientifique («wokisme», «idéologie du genre», «climatisme», «covidisme») Vivek Ramaswamy emprunte à l'ex-président la plupart de ses idées politiques, un certain charisme et un sens du show qui passe bien à l'écran.
Selon une source proche à Rolling Stone, Vivek Ramaswamy et Donald Trump auraient d'ailleurs dîné ensemble au club de golf de ce dernier, dans le New Jersey, au cours de l'été 2021.
Depuis, l'ex-président n'a que des mots tendres à l'égard de ce nouveau venu. «Il existe un fort degré de respect mutuel entre Vivek et Trump, d'une manière qui n'existe nulle part ailleurs dans le domaine», affirmait en juin dernier Tricia McLaughlin, porte-parole de Ramaswamy, au Daily Beast.
Les deux politiciens partagent aussi et surtout un véritable instinct de tueur quand il s'agit de torpiller leurs adversaires. En particulier un certain Ron DeSantis, ce candidat «bâclé», incapable «d'avoir ses propres pensées indépendantes», tranche Ramaswamy.
Avec tout l'ego qui le caractérise, le jeune homme d'affaires avait d'ailleurs prédit que le lancement de sa propre candidature allait effrayer son rival, au point de le faire renoncer. Spoiler: ce n'est pas arrivé. Toutefois, il se pourrait que le jeune candidat reste un caillou dans la chaussure du gouverneur de Floride.
Les deux républicains ont le même cheval de bataille: éradiquer le progressisme de la surface de la Terre. (Rappelons que le slogan de campagne de Ron DeSantis en Floride est: «Là où le wokisme va mourir», et que Vivek Ramaswamy a écrit un bouquin intitulé Woke, Inc.).
D'autant qu'il est peu probable pour Ron DeSantis de s'attirer un jour les faveurs des partisans de Donald Trump. Malgré toutes les lois extrêmes promulguées dans son Etat. Contrairement à un petit riche de la tech, largement inconnu jusqu'à récemment, qui n'a jamais craché sur le boss.
Fort de son optimisme, de l'aval de tonton Donald et du petit succès de ses premiers meetings de campagne, Vivek Ramaswamy a-t-il seulement une infime chance d'aller plus loin?
Pour le moment, la plupart des républicains sont sceptiques, les sondages aussi. Le candidat vogue actuellement autour des 3% d'intentions de vote - ce qui est «légèrement mieux que Trump en juin 2015» tient à préciser le jeune intéressé, que rien ne semble décourager.
C'est tout aussi bien que d'autres personnalités politiques plus en vue, lancées dans la course: le sénateur Tim Scott, les anciens gouverneurs Nikki Haley et Chris Christie, ou encore l'ancien vice-président Mike Pence.
Et puis, Vivek Ramaswamy a bien réussi à obtenir les 40 000 dons individuels et le 1% dans les sondages nationaux requis pour participer au premier débat de la primaire républicaine, le 23 août prochain, à Milwaukee.
«Il veut être considéré comme vice-président», spécule un conseiller de Trump au Daily Beast. Une théorie que rejettent la plupart des initiés de la campagne, qui pensent que Ramaswamy n'a aucun intérêt à briguer un poste dans l'administration Trump.
D'autres ont suggéré que cette campagne n'était rien de moins qu'une opération de sabotage intra-parti, destinée à diviser davantage le champ républicain, au profit de l'ex-président.
Pour l'instant, malgré toute l'assurance du monde, Ramaswamy reste un intrus sur la scène politique. Et il va devoir faire mieux que des compliments à Donald Trump, s'il veut prouver qu'il n'est pas un énième businessman vaniteux, avide de publicité.