Saviez-vous que Michelle Obama a un pénis?
N'écoutez surtout pas Alexander Emerick Jones. Non seulement cet ours mal léché ment comme il respire, mais il en a fait une besogne lucrative, un empire à bobards, un geyser à cash. Si l'argent n'a pas d'odeur, il n'a pas toujours beaucoup de jugeote. Ce week-end, le plus grand et le plus dangereux charlatan des Etats-Unis a été libéré par le meilleur allié des extrémistes, Elon Musk. Comme à son habitude, le patron de X s'est (soi-disant) reposé sur la vox populi, armé d'un sondage: «Réintégrer Alex Jones sur cette plateforme?»
Sans surprise, le principal intéressé ne s'est pas fait prier pour déflorer sa nouvelle liberté. Quelques heures plus tard, il interviewait son sauveur, avec des amis taillés dans le même même bois. Citons par exemple Andrew Tate, le représentant ultraconservateur Matt Gaetz ou le candidat à la présidentielle Vivek Ramaswamy. Pour situer l'ambiance, au bout de quelques minutes, le jeune trumpiste qui vise la Maison-Blanche est allé pisser avec son micro ouvert. Grand moment.
Donc hier gros live inaugural pour le retour du pape conspi Alex Jones sur X. Avec ce passage symptomatique du wtf qu’est devenu ce cloaque : le candidat trumpien Vivek qui urine en direct pendant que Jones et Musk parlent. pic.twitter.com/AT9He0EZ4M
— Tristan Mendès France (@tristanmf) December 11, 2023
Si Alex Jones a été sauvé par Musk, il est encore solidement menotté à la justice. Il y a un peu plus d'une année, l'homme de média (le sien) se retrouve condamné à sécher de ses liasses de billets verts, les larmes de colère de huit familles de victimes du massacre de Sandy Hook. Plusieurs dizaines de proches, que ce gourou de 49 ans traite depuis 2012 de «piètres comédiens», s'esclaffant devant leur deuil supposément feint, persuadé que cette violente tuerie dans une école du Connecticut a été préméditée par des opposants aux armes à feu.
Condamné à débourser 1 milliard de dollars, en octobre 2022, il n'a toujours pas déployé son porte-monnaie, cherchant à retarder l'échéance, voire enterrer le verdict sous un amas d'astuces juridiques.
Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas en présence d'un inoffensif abruti de la confrérie de la Terre plate.
Et il faut croire que penser petit peut rapporter gros. C'est simple, toute la vie de cet enfant de Dallas est une méticuleuse et lucrative entreprise de désinformation revancharde. Une sorte d'Amazon de la post-vérité, qu'il fait fructifier sur sa plateforme baptisée «Infowars» depuis 1999. Oui, deux petites années avant le 11-Septembre. Un attentat chausse-pied qui lui permettra d'enfiler ses nombreuses théories fumeuses dans l'esprit poreux d'une part non-négligeable de républicains fatigués par le gouvernement.
Un vivier d'ébahis qui feront de ce bourrin amoureux des complots faciles, le plus dangereux et le plus célèbre multimillionnaire du fake à grande échelle.
Car celui qui fricote avec (et milite pour) Donald Trump, a compris très tôt que si une audience pouvait gober des fables, elle serait tout à fait en mesure d'acheter des remèdes miracles. Lorsqu'il propage par exemple la rumeur d'une eau potable sciemment contaminée par la famille Obama, il s'empresse de défroquer ses muscles à l'antenne pour promouvoir un filtre à eau magique ou quelques gouttes de «Super Male Vitality». Pratique pour huiler, d'une seule cuillère à complot, les systèmes immunitaires et son compte en banque.
C'est con à dire, mais en fédérant les âmes détraquées sur «Infowars» (le joujou préféré de l'alt-right américaine), cet animal de radio et documentariste ordinaire s'est constitué au fil des ans une audience suffisamment solide pour monter un puissant... télé-achat. Devenant ainsi le premier pourvoyeur de poudre de perlimpinpin au nom d'un nouvel ordre mondial. A grand renfort de rabais exceptionnels et de démonstrations tapageuses.
C'est pas souvent que le ridicule fait froid dans le dos.
Ce fils de dentiste était destiné à avoir les crocs affutés: au plus fort de sa carrière, Alex Jones déclarait plus de 10 millions de dollars de revenus par an. Alors quand il assène, le rouge aux joues et la bave aux lèvres, que les jus de fruits industriels rendent les gosses homosexuels ou que Madame Clinton dirige un réseau pédophile derrière le four à bois d'une pizzeria de Washington, on comprend que le conspirateur s'est mué progressivement en homme-sandwich. Qu'il ne croit lui-même pas à toutes ses âneries.
Et qu'importe si, d'année en année, les GAFA l'ont bâillonné chacun leur tour. Comme souvent, la moindre censure lui promettait une nouvelle grappe d'adorateurs compulsifs.
Mais la colère de cet escroc aux grandes bourses n'est pourtant pas née dans un caddie. Bien avant de vendre du matériel de survie contre une apocalypse (qu'il estime proche) ou du dentifrice censé protéger contre le Covid-19, le paléo-conservateur vivra un choc politique: le triste et célèbre Siège de Waco, mené par la police américaine.
En 1993, un interminable blocus décidé par la Maison-Blanche (regretté plus tard par Bill Clinton) fera 89 morts au sein de l'obscur groupe religieux des «Davidiens». L'action la plus meurtrière du gouvernement américain contre ses propres citoyens depuis la guerre de Sécession.
Quelques mois plus tard, Jones fêtait ses dix-huit ans. Au lieu de souffler des bougies et de s'envoyer deux ou trois shots de Jack Daniel's, il s'offrira une guerre lente contre l'establishment et les démocrates, qu'il considère comme des «suppôts de Satan».
C'est aussi dans l'étagère de son paternel républicain qu'il trouvera de quoi nourrir très tôt sa fringale de croyances parallèles. Plus particulièrement entre les lignes du journaliste et écrivain Gary Allen, éminent membre de la John Birch Society, organisation complotiste d'extrême droite durant la Guerre froide.
Il dira d'ailleurs lui-même que personne ne pourra lui faire «digérer l'ingérence, l'hypocrisie et la violence du gouvernement américain». Derrière le sourire white de l'antenne, Jones restera ce gosse instable et cruel dont le ventre gonflé de tristesse n'a jamais été percé par la moindre flèche d'amour. Alors qu'un peu d'attention et un gros hug auraient certainement fait l'affaire.
En s'épuisant, chaque jour que Dieu fait, à nier méticuleusement toutes les tueries de masse de son pays, le magnat du mensonge s'est ruiné. Au propre, comme au figuré. Passant du pauvre type déçu au riche conspirateur déchu.
Si Alexander Emerick Jones n'a pas volé sa réputation de «plus grand prophète de la paranoïa», il avait pourtant trouvé le moyen de transformer sa haine crue en business que seule l'Amérique blanche est capable de produire.
A moins qu'il ne remette aussi en question l'existence du rêve américain?