Tout récemment, une fausse piste. Un témoin jurait avoir aperçu Emile, deux ans et demi, aux abords d'un camping-car, dans le département de l'Isère. Un signalement parmi plus d'un millier, que les enquêteurs, mercredi, n'avaient pas fini d'éplucher. Le procureur de la République a déjà supplié la population française de ne décrocher son téléphone qu'une fois en possession «d'informations véritablement utiles».
Or, utile ou non, l'information fait cruellement défaut. Quatre jours après la disparition du petit enfant, les enquêteurs n'ont rien. «Aucune piste», «aucun indice». Jusqu'aux chiens, les très performants Saint-Hubert, qui ont fait, curieusement, chou blanc. «C'est troublant. Si jamais il sent l’enfant, qu’il soit mort ou vivant depuis moins de quatre jours, ce type de chien va quand même le trouver», témoignait un spécialiste, sur BFMTV. Un vide qui fait enfler un immense sentiment d'impuissance et d'incompréhension, dans toute la France.
Seule une petite trace de sang sur le pare-choc d'une voiture (finalement d’origine animale), avait réveillé l'enquête quelques minutes, mercredi en fin de journée.
Le hameau du Haut-Vernet a été fouillé à la pince à épiler et tous les habitants ont été entendus par les inspecteurs. Sans oublier le fameux périmètre de cinq kilomètres, ratissé, en rangs serrés, par les autorités et la foule dense de bénévoles. Ce village des Alpes-de-Haute-Provence, 15 bâtisses pour 25 habitants, n'a rien du grouillant complexe hôtelier de vacances balnéaires, d'où la petite Maddie, 4 ans, a disparu ce fameux 3 mai 2007 au Portugal.
Dans le Haut-Vernet, peu d'allées et venues, rares sont les véhicules inconnus en froid avec leur GPS. Un hameau cerné par les culs-de-sac, les chemins pentus, les gros cailloux, les rivières traitres et une nature sévère. Ici, tout le monde se connaît et tout le monde semble (pour l'instant) s'apprécier. La «confiance» règne, si l'on en croit les témoignages récoltés par la presse régionale. Pas le moindre jet d'opprobre d'un voisin, sur l'attitude ou les habitudes d'un frère, d'un oncle, d'un cousin. Idem à La Bouilladisse, cette commune située à 160 kilomètres du Haut-Vernet, où les parents viennent d'acquérir un petit pavillon.
Pour dire, même les trois adjectifs qui décrivent systématiquement la famille d'Emile, «nombreuse», «discrète», «très pratiquante», n'ont pas eu l'écho qu'ils ont déjà pu avoir, dans le passé, dans le cadre d'un fait-divers. Aujourd'hui encore, seuls quelques tweets d'internautes, affamés de raccourcis lorsqu'il n'y a rien de tangible à se mettre sous la dent, se frayent un timide chemin. La plupart du temps, bottés en touche par une grande partie de l'opinion publique.
Ce fut le cas, mardi, de Ségolène Royal, ex-ministre et future chroniqueuse chez Hanouna, qui se dit particulièrement curieuse du profil «très inquiétant» du papa d'Emile, dont des rumeurs le disent proche d'un groupuscule d'extrême droite.
La mère auditionnée seulement mardi ? Et le père, au profil très inquiétant ? On n’a donc pas regardé l’hypothèse d’un problème ou d’une vengeance familiale ? D’un enlèvement ? Pourquoi l’alerte enlèvement n’est toujours pas déclenchée ? Quelle tristesse #Emile https://t.co/Krq9UFrkdH
— Ségolène Royal (@RoyalSegolene) July 11, 2023
Si cette famille «ne passe jamais inaperçue», trimballant régulièrement ses nombreux membres en minibus, c'est toujours auréolée de bienveillance. La maman est active au sein de l'église de son nouveau domicile, aidant aussi à l'organisation de manifestations musicales ou catholiques. Une religion qui, aujourd'hui, permet à la famille de s'en remettre à Dieu pour retrouver le petit enfant, armée d'une étrange prière. Peu après la disparition d'Emile, la mère s'est fendue d'un message pour le moins original, sur Facebook, qui a eu pour effet de rassembler les fidèles tout autour du hameau «sanctuarisé», bouclé par les autorités.
En 1664, la jeune bergère Benoîte Rencurel fait une rencontre qui changera sa vie, sur le plateau du Laus, non loin du Haut-Vernet. Un matin, une «belle dame, habillée en reine, une couronne sur la tête, tout éclatante de lumière», lui sourit en silence, avant de lui révéler son identité: «Je suis Dame Marie, la mère de mon très cher Fils». Cette jeune femme sera reconnue «vénérable» par le pape Benoît XVI, le 3 avril 2009.
Les anges ramèneront-ils le petit Emile comme ils l'ont fait avec la voyante Benoîte Rencurel? Pour l'heure, la famille semble en tout cas préférer prier que d'investir la scène médiatique. Tout le contraire des parents de Maddie qui, dès l'aube, avaient empoigné les micros tendus par les journalistes accourus de partout, dans l'espoir qu'un ramdam planétaire pouvait accélérer les recherches. Ce «talent» pour le storytelling leur avait d'ailleurs été reproché, en son temps et à plusieurs reprises.
Dans l'affaire Maddie, tout aussi dénuée d'indices, l'hypothèse d'un enlèvement s'est pourtant très vite imposée, quelques heures seulement après les premières battues. Les personnalités, du pape à David Beckham, se sont succédé pour catapulter l'espoir et l'angoisse des parents le plus loin possible. Quelques jours plus tard, Interpol s'en est mêlé, hissant le visage de la fillette sur les écrans du monde entier.
Comme dans le hameau de Haut-Vernet, les témoignages avaient afflué, voyant Maddie partout. C'est seulement quinze jours plus tard qu'une première maigre piste fera se pencher les enquêteurs portugais sur le cas de Robert M., un Britannique vivant à l'année à moins de 100 mètres de la chambre où dormait Maddie. Hormis le porno qu'il consommait à outrance, les autorités abandonneront la piste, faute de preuves.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, la probabilité que le petit Emile se soit simplement égaré, seul, dans l'immensité forestière, est désormais quasi nulle. Ou plutôt, «très très réduite», selon les mots de Rémy Avon, procureur de la République de Digne-les-Bains, mardi soir. Même rhétorique lorsqu'il s'agit d'évoquer son pronostic vital, qui serait «très très engagé».
Des mots pesant des tonnes, mais qui sont systématiquement manipulés avec la plus grande délicatesse, sans doute pour ne pas avoir à prononcer trop tôt, celui de «kidnapping». Et à réduire à néant, du même coup, les espoirs de la famille de retrouver rapidement Emile, le petit «suiveur de papillons».
Cette famille «très unie» et «sans le moindre conflit», ce village «où il a toujours fait bon vivre», pourraient d'ailleurs, au fil des jours lacérés par l'angoisse et le vide, dévoiler quelques aspérités. BFMTV révélait mercredi, en fin de journée, qu'une dizaine de personnes séjournaient dans la propriété des grands-parents, au moment de la disparition du garçonnet.
Car mercredi soir marquera la fin des opérations de ratissage, par les militaires spécialisés, autour du hameau. Alors que l'enquête s'est déjà officiellement habillée d'une «dimension nationale», pour avoir l'opportunité de passer de 15 à 20 enquêteurs et «accéder à des moyens scientifiques et techniques élargis», il est probable que dès jeudi, à l'aube, cinq jours après le drame, cette «disparition inquiétante» devienne, hélas, le début de «l'affaire Emile».
En France, la disparition d'un mineur de moins de 15 ans est signalée aux autorités toutes les douze minutes. 95% des cas sont liés à des fugues et une écrasante majorité des enfants en bas âge sont retrouvés saints et saufs.