Emile est introuvable. Le petit garçon au pissenlit sur l'oreille et âgé de deux et demi s'est volatilisé le 8 juillet dernier, s'est volatilisé sans laisser la moindre trace. Pas loin de cent hectares de champs, de forêts et de terrains escarpés ont été passés au peigne fin, d'abord par de larges battues participatives, puis par la gendarmerie, l'armée, mais aussi une brigade cynophile et un escadron de drones. En vain.
Ce jour-là, Emile a été aperçu une dernière fois aux alentours de 17h30, non loin de la propriété de ses grands-parents. Il y était pour les vacances, comme tous les étés. Les deux villageois affirmant l'avoir croisé n'y avaient pas prêté une attention particulière, puisque «les enfants ont l'habitude d'aller et venir en liberté» dans ce hameau d'une petite trentaine d'habitants. Ensuite? Plus rien. Une «dizaine de minutes d'inattention» ont suffi à transformer un paisible après-midi de juillet en «affaire Emile».
Un mois (jour pour jour) après la tragique disparition, pas l'ombre d'une empreinte de pas ou d'un morceau de vêtement qui permettrait aux enquêteurs de privilégier une piste plutôt qu'une autre. Le maire du Vernet, lui, ne peut aujourd'hui s'empêcher de le faire pour eux. François Balique en a la certitude, Emile «a nécessairement été déplacé». Au micro de CNews, lundi, il pensait à «quelqu'un de forcément fou», un «adulte» ou un «groupe d'adultes».
L'élu évoque un enlèvement et refuse de croire que l'un de ses concitoyens puisse être responsable de ce drame. Une population qui a d'ailleurs été interrogée, parfois à plusieurs reprises, par les enquêteurs et dont les habitations ont été retournées de fond en comble, à la recherche du moindre indice.
A la fin du mois de juillet, l'atmosphère semblait irrespirable dans le hameau, selon les différents témoignages récoltés par les médias locaux. Fatigue, silence et suspicions avaient pris le relais, après une grande bouffée de solidarité durant les battues: «Quand vous voyez qu’il n’y a que 30 habitants, on va se regarder d’un drôle de regard…», disait notamment une voisine au Parisien. Pour ne rien arranger, le village a été «sanctuarisé» pendant quatre semaines par les autorités, isolant la trentaine d'âmes du reste du monde.
Qui a bien pu faire quelque chose d'aussi atroce? L'anthropologue française Fanny Parise nous explique que, face à une catastrophe, une petite communauté «où tout le monde se connait» passe rapidement du «nous» à «moi» et «les autres». Un mouvement de recul abrupt et instinctif, qui permet «de se protéger et d'accepter l'inacceptable».
Une communauté doit donc être en mesure de se reposer sur un coupable idéal, pour pouvoir supporter la douleur et la colère. Une «colère» que le maire du Vernet ne cache pas face aux journalistes, en évoquant une enquête qui «patine».
Du côté du pôle d'instruction d'Aix-en-Provence, contacté par la rédaction régionale de BFMTV, «rien n'a évolué». «Nous ne souhaitons faire aucune communication». Bouche cousue, les investigations sont toujours en cours. Pour la famille, nombreuse, tournée vers la foi et recluse dans sa maison de vacances du Haut-Vernet, pas question de parler aux médias. Bouche cousue, zéro tract, pas d'avis de recherche incarnés et dispersés à grande échelle ou encore de demande de soutien sur les réseaux sociaux.
Un simple appel à témoin, diffusé par la gendarmerie, avait pourtant attiré plus de 1600 signalements en moins d’une semaine. «Une masse considérable d'informations à analyser», soufflait Rémy Avon, procureur de Digne-les-Bains, une semaine après la disparition d'Emile. Pourquoi tant de discrétion de tous les côtés?
L'enquête n'est bien sûr pas terminée, mais littéralement au point mort. Aucun suspect n'a encore été interpellé ou placé en garde à vue. D'autant qu'un mois après le drame, si Emile s'est perdu tout seul dans la forêt, il n'y a cette fois plus aucune chance qu'on le retrouve sain et sauf.
Seul un vieux fait divers est venu (doucement) troubler le vide anxiogène. En 2019, un incendie avait ravagé l'une des propriétés de la famille d'Emile, située à environ 10 kilomètres du Haut-Vernet. Les enquêteurs étaient tombés sur des «des systèmes de mise à feu», privilégiant ainsi la piste criminelle.
Les deux affaires sont-elles liées?
Devant Netflix, on serait tous tentés de dire oui. Selon une source anonyme s'exprimant pour BFMTV, les autorités se contentent d'envisager cet incendie comme «un élément non prioritaire». Il y a aussi eu cet homme, accusé récemment d’agression sexuelle sur mineur, qui s’est suicidé quelques jours après son inculpation. Une piste qui, selon BFMTV, a occupé les enquêteurs du Haut-Vernet, avant d’être définitivement abandonnée.
Dans la bouche d'un membre de la gendarmerie, interrogé par Le Figaro ce dimanche, on perçoit même le début d'un essoufflement.
Samedi 5 août, le hameau a été rouvert à la circulation. Pour de bon? «Sauf si les journalistes embêtent les habitants du Haut-Vernet. Là, je reprends un arrêté aussi sec! dira le maire au Huffington Post. Dans les ruelles, la «vie reprend peu à peu». Selon plusieurs témoignages, l'exercice n'est pas simple: «Oui, la vie reprend, on est bien obligé, mais est-ce que ça m'empêche de penser à Emile et à sa famille? Bien sûr que non». La famille, elle, veut rester discrète et s'agace de ce qu'elle découvre sur elle dans les médias ou sur internet.
Effectivement, si le père d'Emile est ingénieur, il est aussi activiste politique de droite. La mère, elle, est la plus grande parmi ses neuf frères et sœurs et ce jeune couple vient de se constituer partie civile, principalement pour avoir accès au dossier, par l'intermédiaire de leur avocat.
L'éventuel responsable de cette tragique disparition est-il un étranger de passage, un «fou machiavélique» comme l'affirme le maire du hameau? «Si oui, la petite communauté s'en retrouvera renforcée», nous expliquait l'anthropologue Fanny Parise, le 19 juillet dernier. Dans le cas contraire? «L'avenir se structurera autour du responsable, pour que ça ne puisse plus se reproduire au sein du village.»
Aujourd'hui, les habitants sont évidemment «torturés» de tristesse et l'espoir est un muscle qui fonctionne à l'endurance: «l'affaire Emile» n'abrite toujours pas le moindre suspect, mais n'est pas encore ce qu'on appelle un cold case. Jusqu'à quand?