«Ça fait vingt-trois ans que je suis magistrat et c’est la première fois que je suis confronté à une situation de ce genre»: les mots sont du procureur Rémi Coutin, lors d'une conférence de presse mercredi.
Il est vrai que l'affaire a de quoi s'arracher les cheveux. Les gendarmes en sont persuadés: le suspect, un charpentier d'origine polonaise âgé de 46 ans, qui se trouve en détention provisoire, aurait percuté une cycliste sur une route de l'Eure. Après avoir achevé la victime à coup de pelle, il aurait dissimulé le corps.
Huit mois après les faits, la victime n'a toujours pas été identifiée. D'elle, on sait seulement qu'elle portait un sac à dos et était âgée entre 40 et 60 ans. Personne n’a signalé de disparition pouvant correspondre. Ni en France, ni en Europe. Aucune trace de sang n’a été retrouvée. Son corps demeure introuvable.
La dernière chance des enquêteurs de ce «dossier très particulier»? Lancer un appel à témoins pour tenter d'identifier la mystérieuse cycliste.
Retour sur cette étrange affaire.
Nous sommes le 9 mars. Le principal suspect, ivre et paniqué, passe un coup de fil à son ex, pour lui avouer qu'il vient de «tuer quelqu'un». Quelques instants après cet aveu, il la rappelle pour lui dire que, finalement, tout va bien: la cycliste vient de repartir sur son vélo.
Le jour même, une amie commune du couple passe chez le suspect. Elle le décrit ivre, paniqué, les mains et les bras en sang, en train de nettoyer sa voiture frénétiquement. L’amie prend des photos de l’impact, massif, sur le pare-brise de l’Audi A4 noire, avec une «marque rouge» au centre.
Le 12 mars, son ex passe à son tour à son ancien domicile. L'homme est absent. La visiteuse note des «traces d’écoulements» sur l’aile droite de la voiture, qui semblent être du sang.
Le 13 mars, l'ex-compagne le somme de s'expliquer. Il lui révèle avoir percuté une «clocharde» d’une soixantaine d’années à vélo. Il aurait ensuite caché son corps dans un «tallus» avant de revenir avec une pelle. Constatant qu’elle est toujours vivante, il «l'achève» avec son outil. Il aurait ensuite enterré le corps et jeté le vélo, coupé en deux, à la déchetterie de Grand-Bourgtheroulde (Eure).
Le 12 avril, l’Audi A4 est retrouvée calcinée sur un chemin. Le suspect avouera par la suite, lors de son interpellation, avoir incendié lui-même son véhicule, sans expliquer son geste. Après quoi, il se mure dans le silence.
Le 14 mai, plus de deux mois après les faits, l’ancienne compagne du suspect se présente finalement à la gendarmerie de Dieppe (Seine-Maritime) pour relater les faits.
Dix jours plus tard, le parquet d’Évreux ouvre une information judiciaire.
Une autre femme, en cure avec le suspect, a, elle aussi, recueilli des confidences de cet homme «pas bien dans sa tête, car il avait renversé une vieille dame […] qu’il avait achevée avant de l’enterrer».
Le 21 juin, le charpentier polonais, habitant de Saint-Pierre-du-Bosguérard (Eure), est interpellé par les gendarmes. Lors de ses auditions en garde à vue puis devant la juge d’instruction, il change plusieurs fois de version.
Dans la première, il avance que tout cela n’était qu’une «blague», une mise en scène pour tenter d’apitoyer son ex et la faire revenir. L’impact sur la voiture? Il l’aurait fait lui-même, à coups de masse, rétorque-t-il. Les traces rouges? Du ketchup et le sang d’une poule à laquelle il aurait «arraché la tête», pour rendre son récit crédible.
Dans la seconde version, il reconnait qu’il a «bien percuté une cycliste» mais que «celle-ci s'est remise et a pu repartir».
A l’issue de sa garde à vue, le mis en cause est mis en examen pour «assassinat, recel de cadavres, destruction de preuves et dénonciations mensongères à l’autorité judiciaire» et placé en détention provisoire.
Le 10 novembre, lors de sa dernière audition face à la juge d’instruction, il revient sur la version de la mauvaise blague.
Le 16 novembre, les gendarmes lancent un appel à témoin. Les recherches se poursuivent pour tenter de retrouver le cadavre. Le colonel Jourdren, commandant la section de recherches de Rouen, ne peut que s'interroger: