«Il faut permettre aux volontaires d'aller combattre à l'étranger»
Le président français Emmanuel Macron a annoncé jeudi le retour d’un «service national» de dix mois destiné aux jeunes adultes. Entièrement militaire et fondé sur le volontariat, ce dispositif vise à renforcer les capacités des forces armées face à la menace russe et au risque croissant de conflit. Le général Nicolas Richoux, anciennement commandant de la 7e Brigade blindée à Besançon, nous livre son analyse.
L’annonce de la création d’un service national volontaire par Emmanuel Macron était-elle inévitable? Est-elle dans l’air du temps?
Général Nicolas Richoux: Elle est dans l’air du temps à double titre. On se souvient que le président Macron avait annoncé en 2023 la création d’un service national universel, le SNU, lequel a fait pschitt compte tenu de son coup financier, en raison notamment des 800 à 900 000 personnes qu’il fallait incorporer par an.
Et sur le plan militaire?
Ce service national volontaire correspond à une véritable nécessité dans le monde instable dans lequel on vit. Dans lequel, même si on fait partie de l’Otan, on n’est plus certain de l’alliance américaine. En Europe, il nous reste des armées un peu croupions. L’armée française, c’est 200 000 hommes, la force terrestre, c’est 77 000 hommes. C’est une armée de corps expéditionnaire.
Au vu de toute ma carrière militaire, je peux l’affirmer: on a besoin de réservistes et j’en ai toujours utilisé.
Avez-vous un exemple?
Quand je commandais la 7e Brigade blindée à Besançon, j’ai envoyé des hommes de mon état-major au Mali. Il est arrivé alors qu’un tiers de mon état-major soit composé de réservistes, soit des anciens d’active qui revenaient servir. Sans eux, on ne fonctionnait pas.
Il y a donc aujourd’hui 200 000 soldats d’active, de métier, dans l’armée française. Avec le service militaire volontaire à venir, sur combien de soldats la France pourra-t-elle compter?
A terme, soit en 2035, compte tenu du fait qu’il y a déjà aujourd’hui 45 000 réservistes à disposition, on aimerait pouvoir compter sur 100 000 réservistes, un effectif alimenté par le nouveau service national volontaire.
De la même manière qu’il y a en Suisse le système des cours de répétition, est-ce que ces volontaires, en France, pourraient être rappelés de façon régulière afin qu’ils ne perdent pas la main?
Le système français n’est pas comparable au système suisse. Pour autant, en France, un certain nombre de réservistes, soit d’anciens soldats d’active arrivés au terme de leur contrat, mais volontaires pour la réserve, parmi eux, des officiers, sont rappelés chaque année dans leurs régiments respectifs, à raison de 15 ou 20 jours. J’en ai connu qui faisaient 150 jours. Le problème auquel nous étions toutefois confrontés jusqu’à aujourd’hui était de nature budgétaire. Il arrivait que nous manquions d’argent pour garantir des jours de service à ces réservistes. Mais avec deux milliards d’euros par an accordés à la réserve, le montant annoncé par Emmanuel Macron, ce problème ne devrait en principe plus se poser.
Et si les crédits ne suivent pas?
Quelle sera la solde des futurs volontaires?
Entre 900 et 1000 euros par mois, si j’ai bien compris, mais nourris, logés, blanchis.
Est-ce qu'il y aura suffisamment de personnels pour former les futurs volontaires?
Oui, je le pense. Il y a aujourd’hui des brigades qui sont des unités de formation par lesquelles on passe avant de rejoindre un régiment. Cela dit, je ne sais pas quelle sera la solution retenue pour les volontaires. Pour l’instant, on est dans le déclaratoire.
Est-ce que les femmes seront admises dans ce service national volontaire?
La déclaration choc du chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, appelant la France à «accepter de perdre ses enfants à la guerre», les enfants étant en l’occurrence des soldats, voit sa traduction avec la création de ce service national volontaire. C'est bien cela?
Totalement. C’est le rappel que l’armée, c’est l’armée de la nation, que dans les dangers, ce sont les enfants de la nation qui partent au combat. La phrase du chef d’état-major était peut-être un peu maladroite, mais le fond de ce qu’a dit le général Mandon, que je connais bien pour avoir travaillé avec lui, est absolument indiscutable.
Sa déclaration était-elle concertée avec le président Macron?
C’était bien sûr concerté. Le général Mandon a eu l’autorisation de dire cela, certainement pour préparer l’opinion à l’annonce du président Macron.
Emmanuel Macron souhaite que soit inscrite dans la loi l’impossibilité pour les futurs volontaires de combattre à l’étranger. Etes-vous d’accord avec cela?
Je ne vois pas pourquoi il faudrait rendre cela impossible. Je rappelle que la plupart des 54 parachutistes français tués lors de l’attentat du Drakkar, en 1983, au Liban, étaient des volontaires service long, autrement dit des appelés du contingent qui avaient prolongé leur service militaire.
Je ne vois pas pourquoi on les formerait pour leur expliquer qu’ils n’iront jamais en opération.
Combien de jeunes s’engageant dans un service volontaire pourrait basculer comme professionnels ensuite?
C’est trop tôt pour le dire. Nous rencontrons aujourd’hui des difficultés pour garder tous les jeunes recrutés dans un cadre professionnel. Certains, face aux efforts demandés, préfèrent s’en aller. En effet, durant la période initiale, le contrat peut être résilié. C’est à ce stade qu’on a le plus de pertes dans les effectifs.
On peut aussi proposer des carrières d’officier à ces jeunes volontaires. Car on a aussi besoin d’officiers dans nos états-majors.
«Il y a là une ambiguïté»
Pour accrocher les jeunes, il faudra aussi leur proposer un environnement et un équipement à la page de la technologie.
C’est certain. L’armée française, qui est une armée de haute technicité, est capable de leur proposer ça. Elle est petite mais elle est bien équipée, avec les équipements les plus modernes.
Maintenant, il est évident qu’il ne faudra recruter les réservistes que dans la mesure où l'on sera capable de les équiper. Un soldat, basiquement, c’est quatre treillis, deux paires de rangers, un fusil, un casque, etc. Le but de ce nouveau service national volontaire, c’est, comme je le comprends, de combler les manques ou de grossir les unités existantes, pas de créer une armée de 300 000 hommes permanente. Mais il y a là une ambiguïté.
