Les gardiens de prison d’outre-Jura sont en émoi. Signées de l’acronyme DDPF pour Défense des droits des prisonniers français, les attaques dont ils font l’objet sont entre les mains du Parquet national antiterroriste (PNAT). La violence à leur encontre a franchi un cap dans la nuit de dimanche à lundi avec le mitraillage de deux maisons pavillonnaires, à Villefontaine, dans l’Isère. Les portes d’entrée de ces habitations ont été incendiées avec des cocktails molotov. Des agents pénitentiaires étaient visés.
Dans un cas, les agresseurs ont visiblement fait erreur sur la personne. «Je n’ai absolument rien à voir avec le monde pénitentiaire, ni moi, ni ma famille. Les criminels se sont trompés de maison», a déclaré une habitante retraitée au Parisien.
Sur la porte de son garage, le nom d’une surveillante de prison a été tagué en grandes lettres jaunes, suivies de l’acronyme DDPF.
Pour l’heure, rapporte Le Figaro, le PNAT est saisi de 13 faits commis entre le 13 et le 21 avril dans 9 départements, dont 3 visant des domiciles d’agents pénitentiaires. Ce mercredi, le premier ministre François Bayrou était en déplacement au centre de détention de Saint-Quentin-Fallavier, dans l'Isère, pour apporter son soutien aux gardiens de prison ciblés par des attaques. Dans la nuit de lundi à mardi, trois personnes ont été interpellées dans une voiture, avec à bord un jerrican d'essence, à quelques mètres de la prison de Varces, en Isère toujours.
Qui se cache derrière ces opérations cherchant à intimider les fonctionnaires de la pénitentiaire, troisième force de sécurité en France avec 45 000 agents? Les méthodes employées font penser à celles du crime organisé. Qui dit crime organisé dit généralement narcotrafic. Un texte de revendication publié sur un groupe Telegram depuis fermé sur ordre des autorités était accompagné de la musique de la célèbre série Gomorra, consacrée à la Camorra napolitaine.
«Vous allez tous mourir pour le mal que vous avez fait. (…) Démissionnez, tant que vous pouvez, si vous tenez à vos familles, à vos proches, aux vraies valeurs essentielles d’une vie. Démissionnez tant qu'il en est encore temps», était-il écrit dans un message adressé aux gardiens de la prison de Luynes, en Indre-et-Loire.
A travers les agents pénitentiaires, c’est l’Etat qui est visé. Confronté aux règlements de compte meurtriers ayant pour décor des quartiers d’habitation situés partout en France, le gouvernement a décidé d’agir avec détermination. Dans une guerre de reconquête de territoires conquis par le trafic de drogue, il a annoncé au début de l’année l’ouverture avant le 31 juillet au plus tard de la première prison de haute sécurité pour les 100 plus gros narcotrafiquants. Quatre sites étaient encore en lice en février.
La campagne d'intimidation déclenchée contre les gardiens de prison, dont certains ne sont même pas affectés à la surveillance de narcotrafiquants, semble être une réponse à la fermeté affichée par les ministres de l’Intérieur et de la Justice face à ces menées criminelles. En échange de sommes d'argent, comme l'indique le message écrit sur une vidéo semble-t-il tournée lors de l'attaque menée dans la nuit de dimanche à lundi dans une résidence pavillonnaire en Isère, des agents pénitentiaires sont priés par les malfrats de dénoncer leurs collègues travaillant au contact de narcotrafiquants et bénéficiant à ce titre d’un anonymat censé les protéger. Cela porte un nom: tentative de corruption.
A côté de la piste du narcotrafic et d'une éventuelle tentative de déstabilisation venue de l'étranger, celle de l’ultra-gauche est également évoquée. Dans l’histoire des prisons en France, un mouvement apparu à gauche dans les années 1970, comptant en son sein des personnalités des milieux artistiques et intellectuels, avait protesté contre les conditions d’incarcération de certains prisonniers jugés dangereux. La bataille était alors menée contre les QHS, les quartiers de haute sécurité.
Alors qu’un centre pénitentiaire ultra-sécurisé doit accueillir dans quelques mois la «crème» des narcotrafiquants, à l'image de ce qui se fait en Italie notamment, ceux qui agissent derrière l’acronyme DDPF entendent peut-être se réclamer de cette époque militante. Une manière de chercher à se victimiser, alors que les attaques meurtrières liés au trafic de drogue ont pour enjeu la possession du «terrain» et un juteux business. Certains observateur évoquent une France en voie de «mexicanisation», allusion à des situations de quasi-guerre civile opposant au Mexique les forces de l'ordre et les narcotrafiquants.
L’enquête menée par le PNAT se poursuit dans la discrétion. Le 14 mai 2024 à Incarville, en Normandie, deux agents pénitentiaires avaient été froidement exécutés lors de l’évasion du narcotrafiquant Mohamed Amra, arrêté le 22 février en Roumanie avant d’être extradé en France. En s’employant à faire peur aux gardiens de prison, les auteurs des attaques défient la démocratie.