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Philippe Pujol: «A Marseille, les gamins sont de la chair à canon»

Philippe Pujol à Bassens, Marseille le 1er juillet 2022.
© Yohanne Lamoulère/Tendance Floue
Philippe Pujol.image: yohanne lamoulère

«A Marseille, les gamins sont de la chair à canon»

Le journaliste et romancier Philippe Pujol vit à Marseille. Ce grand connaisseur de la criminalité liée à la drogue revient pour watson sur le double drame, particulièrement atroce, qui a ensanglanté la cité phocéenne la semaine dernière, faisant apparaître le très jeune âge des protagonistes.
09.10.2024, 18:4710.10.2024, 08:20
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Un jeune de 15 ans poignardé et brûlé vif. Un autre, de 14 ans, transformé en tueur à gages. Cela s'est passé la semaine dernière à Marseille, une ville en proie aux règlements de compte sur fond de trafics de drogue. Le journaliste et romancier marseillais Philippe Pujol, prix Albert-Londres, qui vient de sortir un nouveau polar, Cramés, les enfants du monstre (éditions Julliard), en totale résonnance avec le thème de la présente interview, décrit un monde d'horreurs et donne ses pistes pour essayer d'en sortir.

Pouvez-vous résumer la séquence dramatique qui a ensanglanté Marseille la semaine dernière?
Philippe Pujol: Un dealer de 23 ans, Hacene L., est en prison. Depuis sa cellule, il veut mettre une pression sur un réseau ennemi, appelé les Blacks. Pour ce faire, il essaie de recruter via les réseaux sociaux. Il trouve un premier gars de 15 ans, mentalement fragile. Il lui promet un somme de 2000 euros. Résultat, ce gamin est sauvagement assassiné par le réseau ennemi en question. Il est d’abord lardé de coups de couteau, la torture assez classique des quartiers populaires, avant d'être brûlé vif.

«C’est une réponse qui veut dire: envoyez-nous qui vous voulez, on lui fera ça»

Qu'est-ce qui se passe ensuite?
Sur ce, Hacene L., toujours de sa prison, embauche un autre gamin, de 14 ans cette fois, avec encore plus de troubles cognitifs que le premier. Son contrat, assorti d’une prime de 50 000 euros, est de tuer un ennemi. Il monte dans un Uber pour se rendre à la cité Félix-Pyat, le lieu de l’exécution du contrat, situé dans les quartiers nord. Arrivé sur place, le chauffeur Uber, un père de famille de 37 ans qui n’a rien à voir avec tout ça, refuse semble-t-il quelque chose au jeune – quoi? On ne le sait pas.

«Le jeune tire alors dans la nuque du chauffeur et le tue»

Le commanditaire du contrat va alors, de sa prison, appelé la police pour la prévenir de l’action de son tueur, qui dépasse totalement ses plans. Le tueur est localisé et arrêté. Il dira que le coup de feu mortel est parti accidentellement. Les obsèques du chauffeur assassiné ont eu lieu mardi 8 octobre à Marseille.

Le phénomène des tueurs à gages, avec l’exemple de cet ado 14 ans qui a abattu un chauffeur Uber, est-il quelque chose de récent, à Marseille?
C’est clairement un phénomène récent. Il y a la volonté d’aller chercher des très jeunes pour remplir les basses besognes. Le tueur à gages, c’est le cas extrême. La plupart du temps, les adolescents embarqués dans la criminalité marseillaise, le sont pour des faits d’enlèvement, de séquestration, de torture, tout ce qui participe des énormes coups de pression mis à l’adversaire. Il est rare de tomber sur des gamins capables de passer à l’acte pour tuer.

Comment tout cela s’organise-t-il?
Il y a les dealers. Ils contrôlent le deal de drogue. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils ne sont pas très nombreux à Marseille, environ une cinquantaine.

«Ces dealers exploitent les vulnérabilités des jeunes qu’ils peuvent trouver. La plus grande vulnérabilité, celle qu’ils vont rechercher, c’est la vulnérabilité psychiatrique ou psychologique»

On parle de gamins qui ont des traumatismes liés à leur vie dans la délinquance, par exemple. Les dealers vont vouloir valoriser leurs capacités à être violents en leur donnant de la cocaïne, en les récompensant à chaque action faite. L’avantage de faire appel à des ados, c’est qu’on ne les paie pas longtemps, puisqu’ils vont se faire choper. Autre avantage, on n’embauche pas des tueurs confirmés qui risquent de devenir des concurrents. On embauche des gens d’une grande naïveté, d’une naïveté diabolique.

Hacene L., le prisonnier à l'origine des deux drames de la semaine dernière, se dit d’un réseau?

«Lui se dit de la DZ Mafia, mais la DZ Mafia dément»

Qu’est-ce que la DZ Mafia? Quand est-elle apparue?
Elle est apparue au moment du confinement, vers 2020. Elle existait avant, mais sous d’autres noms. Ceux de la DZ Mafia venaient au début de deux quartiers Nord voisins, Bassens et La Paternelle. Leurs adversaires, eux, s’appelaient le Maga, également le nom d’une cité, avant de s'appeler le Yoda. Bassens et La Paternelle ont trouvé bonne l’idée d’avoir un nom qui sonne comme une marque. Ils ont choisi de se nommer la DZ Mafia, DZ pour Djazair, qui veut dire Algérie.

C'est une mafia?
Non, loin de là. La DZ Mafia, c'est un groupe de gangsters. Alors que la mafia, c’est une organisation qui a une influence forte en politique et en économie, ce qui n’est pas le cas de la DZ. Sauf que la DZ Mafia, ça renvoie à quelque chose de puissant. C’est important, pour un groupe, de montrer sa puissance réelle et symbolique face au milieu du deal, où la concurrence est féroce.

D’où viennent les armes?
Des réseaux de trafiquants, pays de l’Est, pays en guerre. Beaucoup d’armes sont récupérées et bricolées.

Récemment est apparu le terme de «narchomicide», pour désigner les meurtres dans le «narcobanditisme». Vous en pensez quoi?
Pour moi, parler de narchomicide ou de narcobanditisme, et de tout ce qui en découle, c’est une manière de laisser penser que la problématique du trafic de stupéfiants serait extérieure à notre société et à nos institutions. Ça induit l’idée que le banditisme viendrait de l’extérieur poser son mal.

Pour vous, c'est l'inverse?

«Oui. Je dis que ce sont les maux de notre société, que ce sont les vulnérabilités de la plupart des gens, dans ces quartiers populaires, qui permettent à des petits groupes de banditisme de devenir des groupes plus ou moins structurés»

Ce n’est pas du narcobanditisme, mais, à la base, un banditisme territorial, de quartier. Les dealers de Marseille, même s’ils ont de l’argent, n’ont pas les sommes des narcotrafiquants.

Dealers, narcotrafiquants, c'est quoi, la différence?
Les vrais narcotrafiquants ne se trouvent pas en France. Ils sont extrêmement puissants. Ils ont des capacités de corruption et de blanchiment d’argent.

«Nos bandits marseillais sont des semi-grossistes. Ils sont puissants pour Marseille, développent des franchises, c’est-à-dire leur présence, ailleurs en France, notamment en région parisienne, mais ils n’ont pénétré ni le monde politique, ni la police, ni la justice»

Ce n’est pas une mafia, il n’y a pas de corruption majeure. Même le monde économique légal, ils ne l’ont pas vraiment investi. Ils ont des boîtes de sécurité, pas beaucoup plus. Je ne dis pas qu’une transformation en mafia est impossible, mais on n’y est pas.

Quelles sont vos solutions?

«Je pense qu'il faut prendre soin des gens vulnérables, qui sont la chair à canon de ces bandits. Ils vont devenir leurs esclaves et pour certains les bourreaux»

Ils vont être aussi des consommateurs, tant ils sont dans un état de désarroi. La drogue leur permet de donner le meilleur d’eux-mêmes, si l'on peut dire. On n’est pas ici dans la drogue récréative, on est dans l’addiction. A Marseille, la drogue n’est pas une chose récréative.

C'est-à-dire?
La bourgeoisie n’est pas suffisamment présente. Il n’y a pas de bobos, à Marseille. Le monde branché de la nuit, du cinéma, du spectacle, du journalisme, c’est très peu de gens. Les réseaux des dealers reposent sur les addictions des gens qui, encore une fois, sont dans un profond désarroi. Pour répondre à cela, il faut un travail social, politique, économique, en plus du travail de la police, d’où l’urgence de réintroduire une police de proximité – je n’ai pas dit laxiste. Mais ça prendra du temps.

Comment prendre soin des personnes vulnérables?
Il faudrait mettre des moyens considérables sur la santé mentale dans les quartiers. Aujourd’hui, on fait l’inverse, on supprime ces moyens-là. Les deux gamins employés par le prisonnier Hacene L., l’un ayant été tué, l’autre ayant tué, sont passés par toutes les étapes de l’aide sociale à l’enfance, où on avait détecté leurs problèmes mentaux, qui n'avaient pas été traités.

«C’est un laxisme que de permettre aux vulnérabilités d'apparaître et de les laisser à la merci des dealers»

Le dernier polar de Philippe Pujol👇

2024, 224 pages.
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