Ces derniers mois, la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie ont imposé des restrictions sur l'importation de céréales ukrainiennes, dont le transit sur leur territoire avait fait chuter les prix locaux. La Commission européenne a annoncé la prolongation de ces restrictions jusqu'à ce vendredi, suscitant la colère de Kiev. La ministre de l'Economie ukrainienne, Ioulia Svyrydenko, a décidé de répondre à nos questions sur cet épineux dossier.
Que se passera-t-il si l'UE décide de prolonger ce vendredi les restrictions à l'exportation de céréales ukrainiennes?
Ioulia Svyrydenko: Le préjudice pour notre économie serait très important. Pour les petits céréaliers notamment, l'augmentation massive des coûts de transport engloutit tout bénéfice. Pour la deuxième année déjà après l'invasion russe, le grenier à blé ukrainien génère des profits pour les logisticiens, les transporteurs et les négociants en céréales, mais pas pour les agriculteurs.
Espérez-vous un accord de dernière minute?
J'espère que Bruxelles mettra fin au boycott des exportations de céréales. Si ce n'est pas le cas, nous porterons plainte devant le tribunal d'arbitrage, comme nous en avons déjà menacé nos collègues polonais et européens. Nous le faisons à contrecœur, mais si nous ne pouvons pas faire autrement, nous utiliserons cette voie. Et ce contre tous les membres de l'UE qui maintiendront ce boycott.
Voyez-vous des progrès en Pologne, qui aime se montrer résolument pro-ukrainienne, en matière de politique étrangère?
C'est en Roumanie que nous avons fait le plus de progrès. Les Roumains augmentent massivement leurs capacités de transport. En novembre, nous commencerons à exporter davantage de céréales via ce pays. La Pologne augmente également ses capacités, sans toutefois atteindre le niveau d'avant le blocage d'avril. Celui-ci n'a pas résolu les problèmes des producteurs de céréales polonais. On peut donc en conclure que la production ukrainienne n'est pas responsable des problèmes de la Pologne. Le boycott de Varsovie est donc uniquement de nature politique.
Les membres de l'UE tentent actuellement de retenir les réfugiés ukrainiens sur leur propre marché du travail. Quelles sont les possibilités pour l'Ukraine d'utiliser des personnes ayant fui à l'étranger pour la reconstruction?
Nous avons mené des sondages et nous voyons que la majorité des dix millions d'Ukrainiens qui ont fui à l'étranger souhaitent revenir. Mais les sondages montrent aussi que pour eux, la situation sécuritaire est le principal problème. Viennent ensuite les situations du logement et de l'emploi. Le ministère de l'Economie estime qu'environ 600 000 personnes ayant fui leur pays reviendront en 2024. Mais tout dépend de la durée de la guerre.
Comment peut-on planifier avec autant d'impondérables?
Seule l'armée peut provoquer une fin rapide de la guerre. Au gouvernement, nous essayons d'assurer l'élimination des mines russes dans les zones libérées. Le déminage est un problème majeur qui nous occupera pendant quelques années. Nous sommes aujourd'hui le pays le plus miné au monde.
Néanmoins, de très nombreuses maisons et appartements ont été détruits.
Pour cela, nous avons mis en place un grand programme d'hypothèques. D'une part, nous accordons des fonds aux habitants qui souhaitent réparer eux-mêmes leur maison ou leur appartement. D'autre part, nous voulons également financer des constructions. Nous avons entièrement numérisé le système de demande afin d'éviter les démarches administratives fastidieuses. Jusqu'à présent, 40 000 personnes se sont inscrites.
Une possibilité de gagner plus de temps pour le déminage serait de transférer les capacités de production et donc les emplois de l'est de l'Ukraine, souvent attaqué par la Russie, vers l'ouest.
Nous avons déjà un programme de ce type en cours. Jusqu'à présent, environ 840 entreprises ont déménagé entièrement ou partiellement du nord et de l'est vers l'ouest du pays. Nous aidons à trouver de nouveaux bâtiments pour les entreprises, mais aussi des logements pour les familles des travailleurs.
Il paraît que des entreprises d'armement de l'Union européenne prévoient également de transférer des unités de production en Ukraine.
C'est le cas. Malheureusement, l'Ukraine est aujourd'hui un grand champ de bataille et donc aussi une grande zone de test d'armes. Même en temps de guerre comme aujourd'hui, nous constatons un fort intérêt de l'industrie de l'armement à investir dans des capacités de production chez nous.
Traduit et adapté par Valentine Zenker