Lorsque Friedrich Merz s’est rendu chez Donald Trump il y a quelques semaines, la presse allemande s'est montrée plutôt bienveillante. Le fait que le président américain ne l’ait pas publiquement rabroué, se contentant de lui attribuer un rôle secondaire, a été interprété comme un petit succès.
Mais ce traitement mesuré tenait aussi à la fonction de son visiteur: l’Allemagne pèse plus lourd que l’Afrique du Sud ou l’Ukraine. Keir Starmer et Emmanuel Macron ont également quitté le Bureau ovale sans véritable accroc.
Friedrich Merz se voit aujourd'hui crédité d’un nouveau succès: lundi, Donald Trump a annoncé qu'il fournirait à l’Ukraine un large éventail d’armes, notamment des missiles à longue portée. Un virage qui serait en partie le résultat des pressions du chancelier allemand, soutien déclaré de Kiev, contrairement à Donald Trump.
L’Allemagne, d’autres pays européens et le Canada pourraient jouer un rôle clé dans ce projet: au lieu de livrer directement des armes à l’Ukraine, les Etats-Unis se contenteraient de réapprovisionner leurs alliés occidentaux, qui livreraient eux-mêmes à Kiev. Et surtout, ce seraient les Européens et les Canadiens qui régleraient l’addition. Une astuce qui permettrait à Donald Trump de ménager sa base isolationniste.
Ce schéma offrirait ainsi aux Américains la possibilité d’aider militairement l’Ukraine tout en limitant le risque d’escalade avec Moscou. Friedrich Merz endosserait alors le rôle du «méchant flic» face à Vladimir Poutine, laissant à Donald Trump celui du gentil.
Mais le fait même que le président américain se réserve de telles portes de sortie nourrit le doute: son annonce de lundi marque-t-elle vraiment un tournant stratégique, comme l’espèrent les soutiens de l’Ukraine? Donald Trump est en effet connu pour son imprévisibilité.
Les systèmes de défense antiaérienne Patriot, que l’Allemagne ou la Norvège pourraient fournir à l’Ukraine via un échange avec les Américains, offriraient à Kiev une meilleure protection contre les missiles russes.
Mais ils ne doivent pas être considérés comme une solution miracle. Moscou épuise actuellement la défense aérienne ukrainienne en lançant des vagues massives de drones, plus de 5000 seulement pour le mois de juin. Utiliser des missiles à plus d’un million de dollars pièce contre des drones à bas coût n’est pas viable sur le long terme.
L’avantage des Patriots, c’est qu’ils pourraient être livrés rapidement par les Européens. Mais des détails restent à régler, selon Boris Pistorius, le ministre allemand de la Défense. Lundi, lors d’une rencontre avec son homologue américain Pete Hegseth, il a déclaré que l'Allemagne pourrait fournir deux systèmes et pas plus, pour ne pas compromettre sa propre défense.
La visite de Boris Pistorius a aussi souligné que l’Europe reste très dépendante des Etats-Unis en matière d’armement. Berlin souhaite, en effet, acheter aux Américains des lance-missiles Typhon, capables notamment d’atteindre des cibles à 2500 km via des missiles Tomahawk. L’Allemagne ne possède rien d’équivalent, et il faudra encore sept à dix ans avant que des systèmes européens puissent prendre le relais.
Ces lanceurs Typhon joueraient un rôle important dans la dissuasion: ils donneraient à l’Allemagne la capacité de viser le territoire russe, rétablissant un certain équilibre stratégique.
Reste une inconnue: les Etats-Unis déploieront-ils l’an prochain leurs propres missiles à moyenne portée en Allemagne, comme Joe Biden l’a promis à Olaf Scholz à l’été 2024? Une décision toujours incertaine, et sur ce point aussi, Donald Trump détient plus de leviers que ses alliés européens.
Adapté de l'allemand par Tanja Maeder